J’ai réfléchi un moment, avant de commencer cet article.
Je me disais « Oh, tu vas pas étaler ton pathos sur ton blog, Lau’, hein, ça ne regarde personne ».
Et puis… et puis merde.
Il n’y a pas de pathos dans la colère, et là, si les larmes ne sont jamais très loin quand je pense à Cindy, c’est surtout la colère qui m’anime.
Cindy, elle s’est suicidée, oui.
Bien sûr, le dernier geste, ça a été le sien, personne ne l’a physiquement poussée sous ce train.
Mais, alors qu’il serait si facile de résumer son suicide à l’issue fatale de sa maladie (de ses maladies, plutôt… « Trouble de la personnalité borderline », « Anorexie-boulimie »), et si BIEN ENTENDU elle était malade, ça n’est pas de maladie et de diagnostics tirés du DSM que j’ai envie, que j’ai besoin de parler ici.
J’ai envie de parler de « germes » de sa maladie.
S’il peut paraitre incongru de parler de « germe » quand on parle de maladie psychique, j’ai envie de gueuler qu’il est trop facile, trop réducteur de parler uniquement de neurotransmetteurs en pagaille.
J’ai envie de gueuler ma colère contre ceux qui ont flingué Cindy, aussi efficacement, aussi impitoyablement, que si on avait pressé sur la détente d’un flingue contre sa tempe.
Contre le mec qui a violé la gamine ou l’ado qu’elle était. Ou les mecs. J’en sais rien, ses récits ont toujours été flous sur la question.
Mais ça ne change rien au fait que un, ou des mecs, l’ont baisée sans son consentement, et probablement à un âge où elle ne pouvait pas le donner.
Et au delà de ces mecs, il y a toute une société qui amène au viol.
Une image de la femme qui ne sert qu’à vider les couilles et à satisfaire les « besoins » de l’homme. Une image du violeur qui est « l’inconnu dans un parking sombre », alors que la plupart du temps, c’est loin d’être un inconnu.
Un tabou autour du viol, qui fait que les victimes, comme Cindy, gardent trop souvent le silence sur ce « secret honteux », jusqu’à ce que la souffrance les fasse imploser.
Contre un système psychiatrique qui a fini le travail magistralement commencé par ce ou ces mecs.
Contre les psys distribuant des médics à tour de bras, alors que jour après jour, elle s’enfonçait dans son addiction légale et remboursée par la sécu (ça n’est pas un plaidoyer anti-médicaments, dans beaucoup de cas les médicaments sont nécessaires, utile, voire vitaux, hein, mais quand une personne gobe le Xanax par boites entières, quotidiennement ou presque, est-ce qu’il n’est pas temps de se poser des questions ?).
Contre les pharmaciens qui alors que les ordonnances spécifiaient « délivrer la dose journalière uniquement », filaient les médics par pleine boite… Auraient-ils eu la même désinvolture face à des médicaments pour le cancer ?
Contre l’hôpital psy où l’ennui mortel semble être promulgué au rang de thérapie.
Contre les urgences psychiatriques de l’hopital de sa ville, où elle était allée demander de l’aide la veille de son suicide. Elle y a passé la nuit, tout en faisant par SMS ses adieux à l’entier ou presque de ses amis. Au milieu de la nuit, apprenant par plusieurs personnes qu’elle leur avait annoncé son suicide pour le lendemain, j’ai appelé ces urgences psy. Pour leur parler de ces SMS, pour leur demander de veiller sur elle, pour leur demander de ne pas la laisser sortir le lendemain matin, de l’aider…
Je les ai appelés, et ils n’ont rien fait.
Ou plutôt si : ils lui ont envoyé dans la gueule qu’elle faisait de « la demande d’attention ». Lui ont confisqué son portable « pour qu’elle n’inquiète plus son entourage ». Et l’ont laissée sortir le lendemain matin.
J’ai su après coup que son psychiatre également les avait contacté… Sans autre résultat.
Dans quel monde, sérieusement, l’annonce d’un suicide pour le lendemain est une simple « demande d’attention » ?
Dans quel monde, sérieusement ?
Dans le nôtre, manifestement.
Dans notre société, où la parole des personnes psychiquement malades est si souvent regardée à travers des lunettes déformantes de préjugés… Y compris par des « soignants » qui n’en ont que le nom…
Cindy est morte.
Elle s’est suicidée, oui. Mais on l’a tuée, aussi…
Et je suis en colère autant que triste.
Même si pour Cindy, il est trop tard, il n’est pas trop tard, et il ne sera jamais trop tard pour gueuler notre colère, pour lutter contre notre société qui banalise le viol, et pour exiger une prise en charge digne de ce nom (et digne tout court, d’ailleurs, aussi !) des personnes malades psychiques.
Pour Cindy. Pour celles et ceux qui ont vécu le même enfer avec la même issue.
Et pour toutes celles et tous ceux qui se battent encore.