Les troubles psy : facteur explicatif lors d’actes criminels violents ?

Ces derniers temps, avec la vague d’articles et discussions fleurant bon la psychophobie qu’on voit surgir à chaque acte terroriste (ou considéré comme tel) commis par « des fous », la réponse assez unanime des personnes luttant contre la psychophobie est de rappeler que les troubles psychiques ne sont pas la cause, et de ramener la discussion sur le plan sociétal.

Et c’est important de le faire (ramener la discussion sur un plan sociétal, donc).

Par contre, au fil du temps, un malaise face au coté « sans nuance » de cette réponse est monté en moi.

Parce que à force de dire « les troubles psychiques n’ont rien à voir avec ça », j’ai quand même le sentiment qu’on passe à coté d’une partie de la réalité.
Et qu’on pourrait bien, à aller uniquement dans cette direction là, avoir sans le vouloir une attitude qui serait, elle aussi, psychophobe dans son refus de prendre en compte cet aspect-là de la réalité.

Je m’explique :

Prenons le jeune homme qui a tiré sur des gens dans un centre commercial en Allemagne.

Très rapidement, les journaux ont titré sur sa dépression (dont je vais supposer qu’elle est réelle. A priori, il avait un suivi psychiatrique à ce sujet, j’imagine donc que ça n’était pas pour passer le temps qu’il allait voir un psy, n’est ce pas ?).

La réponse unanime des militant.es contre la psychophobie a été de rappeler – à juste titre – que prendre un flingue et tirer sur des gens ne fait pas précisément partie des symptômes typiques de la dépression.

Et ça, évidemment, je ne vais pas dire le contraire : effectivement, ça n’est pas la dépression qui rend violent.

Par contre (et c’est là que j’ai un certain malaise à voir complétement évacué le facteur « troubles psychiques »), tout ce qu’il y a AUTOUR de la dépression peut amener, et ça j’en suis passablement persuadée, à des passages à l’actes aussi extrêmes que celui ci.

La colère générée par la stigmatisation des troubles psychiques, en premier lieu.
Dans le cas du jeune homme qui a tué plusieurs personnes à Munich, on sait qu’il était visiblement, entre autres, victime de harcèlement scolaire.
Sans dire que c’est une excuse, sans dire que ça « donne le droit » de tuer des gens, je peux concevoir que la colère et l’impuissance accumulées, ravalées, digérées, absorbées jour après jour, puissent amener à haïr l’humanité entière, ou à trouver des boucs-émissaires dans tel ou tel groupes de personnes.
Et donc à de tels passages à l’acte.
Je le répète : ça n’est pas un « permis de tuer », ni une explication unique, ni LA cause.

Mais nier complètement que ça puisse être un facteur, même au nom de la déstigmatisation des troubles psychiques, je le ressens vraiment comme une pente glissante, dans la mesure où on se permet de passer un grand coup de gomme sur tout un aspect de la réalité d’une personne pour éviter qu’elle ne rejaillisse sur les autres personnes atteintes de troubles psychiques.

Le besoin d’appartenance, ensuite.

Je vais vous dire un truc : quand j’allais vraiment mal, ce qui m’a tenue debout, c’est de me sentir « faire partie » d’un groupe. De pouvoir me reconnaitre dans d’autres personnes.
J’ai eu du bol : ce besoin, j’ai pu le combler en me rapprochant d’un forum d’entraide consacré aux troubles psychiques, où j’ai rencontré des gens « comme moi », qui sont devenus des amis (y compris IRL), des piliers, des soutiens précieux, et qui, aussi, m’ont permis de me sentir utile au travers de cette entraide, de voir que je n’étais pas une merde absolue, que je pouvais aussi apporter quelque chose autour de moi.
Je suis sérieuse quand je parle de « chance ». C’est pour beaucoup les hasards des rencontres, IRL et sur internet qui m’ont offert cette opportunité.

Mais ça m’amène à une certaine compréhension (et là encore, ça ne veut pas dire « c’est une excuse », mais bien « c’est un facteur explicatif ») envers des personnes qui vont se raccrocher à des appartenances disons… nettement moins recommandables, extrémistes violents de tout poil…

J’ai vu, dans des circonstances similaires, une personne de mon entourage se raccrocher à un groupe crasseusement néo-nazi et violent.
C’était assez effrayant de le voir répéter comme un bon perroquet bien dressé les discours de ses nouveaux « amis », quasiment mécaniquement.
Quand on discutait avec lui, en le connaissant un peu, on réalisait vite que dans le fond, il s’en foutait totalement, des idées politiques de ces gars. Il avait juste enfin trouvé des gens qui l’acceptaient tel qu’il était (ou du moins, qui en donnaient l’impression), et il aurait été prêt à énormément de trucs (y compris bien dégueulasses) pour continuer d’être accepté.

Faudrait-il uniquement le condamner pour les idées racistes et la violence qu’il véhiculait à l’époque, parce que « la dépression ne rend pas néo-nazi », ou ne serait-il pas plus utile (et moins psychophobe…) de prendre en compte – sans justifier et dédouaner pour autant – ce qui n’avait amené à ça, à savoir, oui, aussi ses troubles psy, son isolement, et son besoin d’appartenance ?

(Pour l’anecdote, une fois qu’il a été en meilleur état psychique, il a totalement coupé les ponts avec ses « amis » néo-nazis, et, sans dire qu’il « n’est pas raciste », il ne l’est du moins pas plus que le quidam lambda non sensibilisé à la question, avec quelques bonnes vieilles idées reçues certes, mais qui n’irait jamais jusqu’à la violence et la discrimination consciente et assumée…).

La sur-médiatisation des actes criminels (en particulier terroristes ou jugés comme tels) n’aide en rien :

Là aussi sans excuser ni dédouaner, je peux comprendre la logique qui amène une personne à qui l’entier ou presque de la société renvoie qu’il est le looser absolu, la sous-merde dont la vie est sans utilité, à vouloir « partir sur un coup d’éclat ».
Et la « voie royale » pour faire un gros coup d’éclat, actuellement, c’est de prendre un flingue et de tirer dans le tas.
Là, les médias vont diffuser ton image, ta photo, ton nom. Tu vas sortir de l’anonymat et devenir « quelqu’un », après avoir été un « rien ».
(C’est d’ailleurs pourquoi je trouve particulièrement pertinente la demande des auteurs de cette pétition que les médias ne diffusent plus le nom, la photo et l’histoire des terroristes suite à un attentat).

Le virilisme de la société rentre aussi en ligne de compte : aller mal, pleurer, se faire aider, se faire soutenir, ça n’est pas des comportements que la société accepte de la part « d’un homme, un vrai ».
Ceci aussi est un facteur explicatif (ai-je déjà dit qu’une explication n’est pas une excuse ?) au fait que certains vont chercher à appartenir non pas à un groupe d’entraide ou que sais-je encore, mais à s’identifier à un quelconque mouvement violent : quoi de plus « viril » que de cogner, insulter, voire, pourquoi pas, prendre un flingue et tuer ?

Je conclurais cet article en disant que effectivement, NON, les troubles psys ne sont pas EN SOI générateurs de violence.
Par contre, la stigmatisation, l’isolement, la marginalisation des personnes malades psychiques font partie des facteurs à prendre en compte (ajoutés à pleins d’autres) quand on cherche à comprendre ce qui peut amener un mec dépressif de 18 piges à prendre un flingue et tirer dans la foule d’un centre commercial.
Dire « les troubles psy n’ont rien à voir avec l’acte criminel », c’est donc un raccourci sacrément hasardeux, qui ne permet ni d’aider des gens en détresse à ne pas s’embarquer dans des comportements criminels, ni de faire réfléchir la société sur les conséquences dangereuses possibles – y compris pour les autres – de la stigmatisation des personnes malades psy.

On ne peut pas lutter contre la psychophobie en ne luttant que pour les malades psy « qui nous arrangent », ceux qui ne font pas la une des journaux par des actes violents qui font flipper.