« Self-Care » pour crise de colère

Entre personnes avec des troubles psy et/ou neuroatypiques, on parle souvent du « self-care ».
En gros : de prendre soin de soi-même.

C’est important d’en parler, c’est aussi une manière de pouvoir être autonome par rapport à nos situations, de gérer par nous-même les moments difficiles, et donc de s’émanciper un tant soit peu des autres, que ça soit les proches ou les soignants.

Donc oui, apprendre à prendre soin de soi-même dans les moments difficiles, c’est capital.

Sauf que…

Quand on parle du « self-care », et qu’on échange des astuces, il y a comme un gros trou noir dans les astuces de gestions des trucs autres que « Je suis trop déprimé.e pour m’extraire de mon lit » ou « je suis en PLS en crise d’angoisse dans un coin ».

Entendons nous bien : c’est TRES BIEN qu’on échange des astuces pour gérer le manque d’énergie généré par la dépression, et pour sortir des gros états anxieux bien pénibles.

MAIS ça ne répond pas aux besoins de tout le monde.

Personnellement, quand je lis maintenant ces astuces, je me marre jaune en me disant que si j’avais cherché, il y a quelques années (pendant ma période la plus difficile), des astuces et des manières de gérer pour mes difficultés, bah… Je n’aurais rien trouvé.

Parce que pour moi (comme pour beaucoup de monde, hein…), une crise d’angoisse, ça n’était pas « hyperventiler roulée en boule dans mon lit », mais au contraire avoir à canaliser une agitation monumentale, incapable de tenir en place, irritable à l’extrême, alternant crise de larme et crise de colère.
Bref, vraiment pas le genre d’état où des conseils comme « regarder un film avec une tasse de thé chaud en câlinant mon chat » pouvaient vraiment me parler. (A vrai dire, mon chat, dans ces états là, il me fuyait comme la peste pour échapper au tourbillon de mon agitation).

Et j’en ai un peu assez qu’on limite le « self-care » aux personnes qui ont une manière « socialement acceptable » d’aller mal.

Parce que oui, c’est nettement plus socialement acceptable (et accepté) de se rouler en boule que d’avoir une agitation désorganisée, une agressivité et une colère toujours prêtes à flamber…

Et pourtant, on existe, nous les « angoissé.e.s énervé.e.s de la vie ».

Et on a aussi besoin de trucs et astuces pour gérer ces moments là. D’autant plus que, en plus d’être des moments d’angoisse odieux à supporter, ces comportements ont tendance à nous isoler socialement (et c’est légitime aussi : nos proches n’ont pas forcément les nerfs pour encaisser stoïquement les crises de colère…), et à être très stigmatisés.
On correspond un peu plus au cliché du « fou dangereux », l’écume aux lèvres prêt à cogner tout ce qui bouge (même si on ne le fait pas).
Et même dans les milieux sensibilisés à la psychophobie, ça reste un tabou, ces crises de colère. Parce que c’est pas « très très safe », comme manière d’aller mal…

crise de colère

Alors déjà, j’ai envie de dire aux personnes concernées par ces crises de colère :

NON, vous n’êtes pas des monstres.
NON, vous n’êtes pas des enfoiré.e.s qui aiment faire du mal.
NON, vous ne faites pas exprès.
NON, vous ne pouvez pas « juste faire un effort pour arrêter de faire ça ».
NON, vous n’êtes pas des « dominant.e.s » ou des « oppresseur.euse.s » juste parce que votre angoisse se manifeste d’une manière « pas safe ».
OUI, vous allez mal, vous avez mal, ça vous explose dans la tronche et ça fait sacrément peur, et sacrément mal de vivre ça.
OUI, vous avez tout autant le droit à de l’aide, du soutien et une écoute que la personne qui va angoisser de manière plus « orthodoxe ».

La colère, c’est une manière de rendre l’angoisse moins menaçante. C’est une manière de se défendre contre un danger, réel ou supposé. C’est un mécanisme de défense.
Appelez ça comme vous voulez.
Mais ça n’est pas un truc que vous calculez pour faire chier le monde.
Et vous n’y êtes pour RIEN si des gens récupèrent ça pour illustrer leurs a-prioris sur « les fous-folles qui sont forcément violent.e.s et/ou agressif.ve.s ». Vous n’êtes PAS responsables de la psychophobie, ça n’est pas « à cause de gens comme vous qu’on a peur des fous-folles ».

Maintenant, une petite liste des techniques que j’ai pu utiliser pour canaliser mes crises de colères.
C’est une liste complètement non exhaustive, mais si vous pouvez y piocher une ou deux idées qui vous aident, TANT MIEUX. (et n’hésitez pas à rajouter vos astuces à vous en commentaires de cet article, si vous avez d’autres idées. Je les ajouterai à la liste) :

– Ecrire sans auto-censure.

Que ça soit sur une page Word, dans un post à audience restreinte sur les réseaux sociaux, sur un forum. Peu importe.
Le faire lire ou pas à d’autres, ça vous appartient (mais si possible, au cas où vous le faites lire, essayez de le faire lire à une personne qui n’est pas l’objet de votre colère. Et qui est au courant que vous êtes en pleine crise de colère et que c’est votre manière de l’extérioriser sans trop faire de dégats).
Je ne compte pas le nombre de messages privés que j’ai envoyé à des ami.e.s bienveillant.e.s et au courant qui contenaient plus d’insultes que d’autres mots. Sortir la rage par les mots, des fois ça m’aidait.
« Sans auto-censure », c’est aussi sans se faire chier avec l’orthographe et la syntaxe. Dans ces états là, mes mains allaient beaucoup plus vite que mon cerveau, et ça n’était souvent qu’une bouillie de lettres plus ou moins incompréhensible. Mais peu importe. Le fait « d’agiter mes mains » sur un clavier, c’était une manière de sortir à la fois la colère et l’agitation.

– Gueuler.

A s’en faire péter les cordes vocales si besoin est.
Perso, soit je sortais dans la forêt près de chez moi pour gueuler en ayant relativement peu de chance de tomber sur quelqu’un (c’est arrivé quelques fois que je fasse flipper un.e inconnu.e promenant son chien, mais bon. Tant pis. Je pense qu’iels s’en sont remis.e.s relativement aisément).
Soit le gueulais le visage dans mon oreiller, pour étouffer le son et éviter que les voisins ne supposent que quelqu’un se faisait égorger dans l’appart’ d’à coté.
Que ça soit gueuler des insultes, gueuler tout ce qui me passait par la tête, ou juste gueuler en mode « son inarticulé ». Juste gueuler.

– Cogner.

Pas des gens. On est d’accord.
Mais des objets.
Idéalement des objets assez mous pour ne pas se faire mal, mais quand même assez durs pour opposer une résistance et demander une certaine force (le must : un matelas ou un canapé). (le must du must : un punching bag. Mais on n’a pas tou.te.s ça sous la main, ni forcément la place pour en avoir un).
Mais ça, c’est seulement idéalement, et j’avoue que j’ai laissé quelques phalanges dans des confrontations entre mon poing et un mur. Bon. C’est pas cool d’avoir les mains bleues, c’est pas idéal d’avoir éventuellement une sympathique petite fracture, mais ça reste souvent « moins pire » que de flinguer totalement sa vie sociale en insultant allègrement les gens qu’on aime.
Autre option pour limiter les dégats : cogner avec un objet sur un objet.
Là encore, la forêt derrière chez moi m’a été bien utile : fracasser un gros bout de bois contre un tronc d’arbre, ça demande assez d’énergie pour sortir sa rage sans se massacrer les mains.

– Chialer

Ouais, des fois « ça ne vient pas », mais quand ça vient, y a aucune raison de s’en priver.

– Détruire des trucs

J’ai détruit beaucoup de trucs que je n’avais pas très envie de détruire, à la base : j’ai fait une consommation de claviers, de souris d’ordinateurs et de téléphones portables assez impressionnante, à cette époque. Vu que je savais qu’ils risquaient d’être en première ligne pour encaisser mes crises, j’étais devenue un peu fataliste et prévoyante : acheter du premier prix et du seconde main (parce que bon, la souris ultra cher qui finit fracassée dans un mur, ça fait un peu mal au cul, à la longue), et toujours avoir une souris, un clavier, et un téléphone portable « d’avance », histoire de ne pas me retrouver dans des situations frustrantes (qui avaient tendance à faire remonter la crise de colère).

Sinon, j’ai essayé de canaliser mes envies de tout péter sur des trucs moins utiles, voire des trucs « prévus pour être détruits ».

Massacrer à coup de cutter des bouteilles en plastique, ou les piétiner.
Déchirer rageusement des vieux journaux ou du carton.
Péter des bouteilles en verre prévues pour être balancées au recyclage (Mh. Attention tout de même avec ça si vous avez tendance à l’automutilation : les éclats de verre, ça peut être TRES tentant de les récupérer pour se les envoyer dans la peau, et le but n’est pas que votre canalisation de crise de colère finisse en session de découpage de peau…).
Démolir des meubles qui attendaient d’être amenés à la déchetterie.
Bref, péter des trucs de toutes manières prévus pour être jetés.

– Prendre une douche froide

Parce que ça sollicite l’organisme de manière assez intense et abrupte, des fois, ça aide à se calmer.

– Jouer à des jeux vidéos violents

Par contre, cette technique peut être très frustrante – et faire monter la colère – si l’agitation vous empêche d’avoir une bonne coordination, et que donc vous perdez répétitivement vos combats en trois secondes chrono.

– Faire du sport

A plus forte raison si comme moi, vous n’avez aucune condition physique, et que ça vous épuise rapidement.
Cela dit, ça marche aussi si vous avez une bonne condition physique, vous risquez juste de devoir courir/nager/sauter/faire des pompes/… plus longtemps !

– S’attaquer méthodiquement au problème qui est à l’origine de l’angoisse

C’est une lectrice qui m’a fait penser à rajouter ce point. Pourtant, il me parle particulièrement. Mais je n’avais pas pensé à le mentionner.

Toutefois, il ne parlera surement pas à tout le monde : pour certaines personnes, s’attaquer au sujet de son angoisse tout en étant en pleine montée d’angoisse, ça va empirer les choses. D’ailleurs, beaucoup d’astuces de self-care pour gérer l’angoisse vont dans le sens de s’éloigner de la source de l’angoisse le temps de retrouver son calme.

A l’inverse, pour d’autres (dont je suis, parfois. Pas toujours), s’atteler à régler le problème ayant causé l’angoisse, ça peut aider à reprendre le contrôle, et donc à faire baisser l’anxiété.
C’est clairement à chacun.e de sentir ce qui lui fait le plus de bien, à ce sujet.

Je mettrais juste un bémol (parce que c’est un travers que j’ai) : si votre angoisse concerne une autre personne (une inquiétude pour une personne, ou encore un conflit que vous avez eu avec quelqu’un), s’y attaquer directement en pleine crise, c’est casse-gueule, parce que ça peut amener à avoir des comportements TRES contrôlants et intrusifs vis à vis de l’autre. Ce qui risque, outre le fait que ça peut blesser l’autre, d’empirer le conflit ou de foutre le bazar dans votre relation avec cette personne. Dans ces cas là, il vaut clairement mieux attendre d’avoir récupéré un peu de calme et de self-control pour se confronter au problème…

– Ecouter de la musique « qui bouge », et éventuellement chanter / gueuler avec

– Prendre un anxio

Ca sort un peu du « self-care » tel qu’on l’entend, parce que ça suppose quand même qu’on se soit fait prescrire un médic, mais je le mentionne quand même.
En effet, c’est souvent pas forcément évidant de penser à le faire, dans ces cas là.
Parce que vu que sur le moment, ça n’est pas à proprement parler l’angoisse qu’on ressent, mais la colère (même si elle est une « traduction » de l’angoisse par notre cerveau), on n’y pense pas forcément, même si notre psy / notre médecin nous a prescrit des anxios à prendre en cas de montée d’angoisse.
Pourtant, ça peut aider.
(Entendons nous BIEN, ça n’est pas une injonction à prendre des médics. Juste un rappel bienveillant que si vous avez des anxios à prendre lors de montées d’angoisse, là, c’est peut-être tout à fait le moment où ils pourraient vous aider).

Voilà. Je suis au bout de ma liste de « trucs et astuces de gestion de crises de colère ».
Comme dit, n’hésitez pas à ajouter les vôtres, via les commentaires.

Et encore une fois : il n’y a rien de monstrueux et de « méchant » et de « oulalala c’est pas quelqu’un de bien » dans le fait de vivre avec une particularité psy qui se traduit par des crises de colère.
Et vos difficultés et vos souffrances sont tout aussi légitimes et réelles que si vous hyperventiliez bien sagement roulé.e en boule !

Take care.

La psychophobie, ça tue.

Elle s’appelait Anouk.
C’était une amie, et une camarade de lutte contre la psychophobie.
Elle est morte il y a trois semaines, à 42 ans.

J’ai hésité longtemps à raconter son histoire ici, parce que c’est SON histoire.
Et puis on m’a fait remarquer qu’elle n’avait pas hésité à témoigner à visage découvert des maltraitances psychiatriques qu’elle avait vécu, et qu’elle aurait très probablement voulu que son histoire puisse servir à d’autres.
Et peut-être que ça pourra – au moins – rendre sa mort un peu moins absurde.

Elle avait 42 ans.
Et elle est morte chez elle, d’un AVC ou d’une crise d’épilepsie qui a mal tourné.
Après un parcours complètement absurde de psychophobie médicale, de non-prise en compte de ses souffrances physiques et psychiques.
Un parcours qu’elle avait entrepris de dénoncer, et que je vais continuer à dénoncer ici, parce qu’elle ne peut plus le faire, mais qu’il est hors de question que sa voix s’éteigne avec elle.

Anouk, elle était bipolaire.
Elle trainait aussi un certain nombre de traumatismes avec elle, maltraitances familiales, mobbing à son boulot. Qui ne faisaient qu’ajouter à ses souffrances psychiques.

Ses souffrances, elles ont été prises en compte d’une manière tellement absurde que, si ça n’était aussi aussi moche, j’aurais envie de rire.
Et d’ailleurs, on en a ri. Avec Anouk. Parce que l’humour noir était souvent son rempart contre l’injustice.

Balance de l'injustice
La balance de l’Injustice
Parce qu’une plume pèse des fois plus qu’un kilo de plomb
(Crédit photo :
idée : Sarah Vorster
prise de vue : Chloé Debauges)

Février 2017. Elle se présente, d’elle-même, aux urgences psychiatriques de l’hôpital du Vinatier, à Lyon.
Elle est suicidaire, et elle cherche de l’aide pour ne pas faire de la merde.
La voyant boire du thé (oui, elle était prévoyante, Anouk. Quand elle savait qu’elle allait passer des plombes dans une salle d’attente, elle embarquait de quoi ne pas se dessécher. Un thermos de thé, en l’occurrence)… La psychiatre lui dit que « Il faut boire moins de thé, c’est un excitant, vous vous sentirez mieux ».
Vous ne voyez pas le rapport ?
Moi non plus.
Donc, face à une personne en pleine crise suicidaire, la préoccupation de base de la psychiatre, c’est… sa consommation de thé.
Je veux bien croire que le thé puisse éventuellement avoir un rôle dans un problème d’insomnie, mais… Ca n’est pas pour ça qu’Anouk venait. Elle venait parce qu’elle avait envie de crever.
Est-il besoin de le préciser : elle n’a pas eu l’aide nécessaire, ce soir là, aux urgences psychiatriques.
Elle est rentrée chez elle.
Le lendemain ou le surlendemain, elle faisait une tentative de suicide.
On lui a envoyé les secours, parce qu’elle nous avait parlé de sa TS, et qu’on ne voulait pas la laisser mourir en gardant les mains dans nos poches.

Emmenée sans ménagement par les secours, elle est amenée aux urgences de l’hopital Herriot.
Et ça n’était que le début du cauchemar :
Déshabillée sans aucun respect de son intimité, pour lui passer une blouse d’hôpital deux fois trop petite pour elle… (quand la grossophobie et la psychophobie se tiennent la main, ça donne ça…)
Contentionnée dans une « chambre » (qu’Anouk a toujours appelé une « cellule », et pour cause…).
Sans aucune réponse à ses appels, elle a fini par devoir uriner sous elle. La dignité, c’est tellement surfait.
Avec des liens aux poignets si serrés qu’elle s’est retrouvé avec une tendinite…
C’est là les seuls « soins » qu’elle a eu. Ils lui ont a peine demandé ce qu’elle avait pris. Aucune surveillance médicale à proprement parlé. Pas de lavage d’estomac. Rien. Juste rien. A part la sangler à un lit.

Inutile de préciser que dès qu’elle a retrouvé assez de contrôle sur elle-même pour « donner le change », elle a servi aux « soignant.e.s » (qui n’en ont vraiment que le nom, là), le discours qu’iels avaient envie d’entendre « Je n’ai plus envie de mourir, je suis partie en vrille parce que j’avais bu et que j’ai eu l’alcool triste, oui oui tout va bien, laissez moi rentrer maintenant ». Pour se tirer le plus vite possible de là.
Elle est ressortie en allant aussi mal qu’avant sa TS, sans avoir eu quoi que ce soit qui se rapproche d’une aide ou d’un soutien.
Pourtant, le site des urgences psychiatriques de l’hôpital Herriot mentionne, en tête de liste des « pathologies prises en charge », la crise suicidaire…

Cet épisode, Anouk l’évoque mieux que moi, dans son blog : lien
Et dans une vidéo qu’elle avait faite pour dénoncer la banalisation de la contention dans les médias, lorsque « Fort Boyard » a sorti son nouveau jeu, « L’Asile » : lien

Et le cauchemar ne s’arrête pas là.

En plus de ses troubles psychiques, Anouk avait des tumeurs dites « bénignes » (à ne pas confondre avec « sans gravité », vu qu’elles ont fini par la tuer) au cerveau.

Tumeurs qui ont mis des mois à être repérées, alors même qu’Anouk répétait aux médecins qu’elle se réveillait régulièrement avec du sang dans la bouche tellement elle s’était mordue dans son sommeil.
Elle était – à raison – persuadée de faire des crises d’épilepsie dans son sommeil.
Pendant des mois, la réponse aura été : « C’est psychologique ». Sans autre investigation.
Une « folle » ne peut évidemment pas avoir de problèmes physiques, n’est ce pas ? C’est forcément « dans sa tête » (on en a souvent ri, d’ailleurs, avec Anouk, sur cette expression « c’est dans ta tête », vu à quel point elle tombait totalement à propos concernant des tumeurs au cerveau…).
Quand finalement les tumeurs – et l’épilepsie qui allait avec – ont enfin été confirmées, ça n’est pas pour autant que la situation d’Anouk a été prise en compte correctement.
Même avec des tumeurs bien visibles au scanner, elle a continué d’avoir le message qu’elle « exagérait ».
Même quand les crises nocturnes ont laissé la place à de violentes crises diurnes.

Quelques jours avant sa mort, Anouk était aux urgences, après série de crises d’épilepsie suffisamment violentes et longues pour qu’elle refuse de laisser trainer la situation plus longtemps.
Enfin, aux urgences… Principalement « dans le couloir des urgences » (on remercie le manque de moyen des services d’urgence, hein !).
Epuisée par l’attente et le manque de sommeil (au bout de plus de 15h, ça se comprend un peu…), mise à bout de nerfs par le manque de considération du personnel soignants, elle a fini par sortir contre avis médical.
Et relater cette visite aux urgences sur son blog : lien

Tout au long de ce parcours médical, à chaque fois qu’elle essayait d’obtenir une copie de son dossier (pour pouvoir la transmettre à son médecin, ou tout simplement pour être au courant de ce qui lui arrivait, vu que les informations ne lui étaient données qu’au compte goutte « parce qu’elle était fragile, alors vous comprenez… »), elle a dû faire des pieds et des mains. Alors qu’avoir accès à son dossier médical est un droit.

Elle est morte quelques jours après cette dernière visite aux urgences.

Alors ouais, peut-être qu’une meilleure prise en charge n’aurait rien changé à l’issue fatale de sa maladie.
Peut-être que, même avec toute la bonne volonté du monde, il aurait été impossible de la soigner.
On ne le saura jamais, parce que les soins qu’elle a reçu ont été totalement déplorables.

Avant même sa mort, on l’avait tuée et enterrée.
Alors même qu’elle cherchait de l’aide, des soins, des solutions, on l’a enterrée sous la psychophobie, contre laquelle elle se battait et militait.

Anouk, c’était une amie.
Anouk, c’était une femme formidable, pleine d’humour malgré ses emmerdes.
Anouk, elle méritait tellement, tellement mieux que le mépris du corps médical…

Repose en paix, Anouk.
On continue le combat.

Abilify MyCite, le médicament connecté : les dérives de la psychiatrie concentrées en un cachet

Il y a quelques jours, une information m’est passé sous les yeux, qui m’a franchement fait dresser les poils le long de l’échine.

L’Abilify, pas mal de monde connait : c’est un médicament anti-psychotique qui a également un effet thymorégulateur (= stabilisateur d’humeur).
Il est utilisé dans le traitement des troubles psychotiques, des troubles bipolaires, et aussi de certaines dépressions.

L’Abilify MyCite, par contre, c’est tout nouveau, ça vient de sortir (ou du moins : ca vient d’être approuvé par la FDA, l’agence qui contrôle et réglemente les médicaments mis sur le marché aux Etats Unis.)

abilify mycite

Mais qu’est-ce donc que l’Abilify MyCite, pour qu’il suscite chez moi une telle réaction de frayeur (et aussi de colère) ?

Ce petit bijou médico-technologique est un médicament ( de même composition que l’Abilify « classique ») qui a la particularité d’avoir un capteur ingérable intégré.
En gros, le.a patient.e porte un récepteur.
Le capteur dans le cachet envoie un signal au récepteur quand le cachet arrive dans le système digestif.
Le récepteur porté par le.a patient.e envoie, à son tour, via une application, un message sur le téléphone portable du/de la patient.e, lui permettant de suivre son ingestion de médicaments.

Jusque là, vous me direz peut-être que pour les patient.e.s un peu « tête en l’air », ou qui ont des problèmes de mémoire ou d’organisation, c’est plutôt un bonus : ca permet de vérifier si on a bien pris son médicament, d’éviter les oublis de prise ou les médicaments pris à double.
Et je suis assez d’accord.
Si ce n’est que des outils pour gérer ce problème, il en existe déjà plein, allant des classiques semainiers (ces boites à médicament avec des petites cases pour répartir les médicaments par jour et heure de prise) aux applications comme Medisafe qui envoient des rappels à l’heure prévue pour la prise du médicament.

MAIS la suite me fait froid dans le dos.

Le.a patient.e « peut » autoriser d’autres personnes, via l’application, à avoir accès à ces données. Son médecin, des proches…

« Peut ». C’est le mot clé qui me pose problème.

A quel moment « peut » va devenir « doit » ?

Sachant que beaucoup de patient.e.s sont dans des démarches de soin sous contrainte, quelle marge de manœuvre aura la personne pour dire « non non, je ne veux pas que mon médecin / tel ou tel proche ait accès à ces données » ?

Je n’ai aucune confiance dans le respect de la vie privée et de la liberté individuelle des patient.e.s, vu comment la psychiatrie est massivement utilisée comme outil de contrôle social.
Je n’ai aucune confiance dans le respect de l’auto-détermination des patient.e.s dans un monde où les maltraitances psychiatriques sont tellement courantes qu’elles relèvent plus de la norme que de l’exception.
Je n’ai aucune confiance dans le respect de l’intimité des patient.e.s alors que la société se permet d’avoir son avis sur absolument tout ce que font les malades psychiques (y compris ce qui n’est pas en lien avec leur pathologie), sous prétexte de « les protéger » ou de « protéger les autres ».

J’ai honnêtement tendance à penser que c’est à cette fonction de surveillance de la prise de médicament par une tierce personne qu’ont, en tout premier lieu, pensé les concepteurs du médicament.
Parce que des systèmes nettement moins compliqués pour aider les patient.e.s qui ont du mal à se souvenir de prendre leur médicament, il y en a déjà. Plein.

Et le fait qu’on invente un tel système de surveillance, comme par hasard spécifiquement pour les médicaments psychiatriques, renvoie à tout ce que la psychiatrie actuelle a de sécuritaire et de coercitif.
Parce que franchement, le problème de régularité de la prise de médicaments, il existe pour tous les traitements, hein.
Et souvent même avec des conséquences beaucoup plus immédiatement vitales que dans un traitement psychiatrique.
Mais, étrangement, c’est un anti-psychotique connecté qu’on invente.
Pas un anti-cancéreux.
Pas un médicaments pour les problèmes cardiaques.
Pas un anti-épileptique.

Non non. Un anti-psychotique.

Renvoyant, encore une fois, au fait que quand même, ces foutu.e.s malades psy, on peut définitivement pas leur faire confiance.

Je vais maintenant lister les énormes problèmes qu’un tel système implique :

– L’ingérence dans la vie des patient.e.s

Je l’ai déjà développé plus haut, je ne vais donc pas m’étendre beaucoup plus.

– Le renforcement de l’angoisse des patient.e.s vis à vis des traitements psy

Je connais pas mal de personnes avec des troubles psychiques qui sont très angoissé.e.s à l’idée de prendre un traitement psychotrope. Déjà parce que c’est très stigmatisé, et que le regard posé à la pharmacie sur quelqu’un qui va chercher un anti-psychotique n’est pas du tout le même que celui posé sur quelqu’un qui va chercher un médicament contre l’hypertension…

Mais aussi parce que, dans les angoisses de pas mal de personnes, revient l’idée que les médicaments sont là pour leur nuire, pour les empoisonner, ou… pour les contrôler.

Ca va devenir très difficile de les aider à rationaliser cette angoisse pour accepter des médicaments qui peuvent les aider, alors qu’à coté de ça, on se félicite d’avoir inventé un médicament qui… peut contrôler leur prise de médicaments.

Surtout s’agissant, oh ironie, d’un médicament notamment destiné aux personnes souffrant PRECISEMENT de paranoïa.

L’expression « Même un paranoïaque a de vrais ennemis » n’a jamais été aussi vraie, pour le coup !

– L’officialisation de l’incompétence et de la flemme du psychiatre

Soyons honnêtes trois secondes…

Si un.e psychiatre a besoin d’une appli qui lui dit « votre patient.e ne prend plus ses médicaments », on peut vraiment se poser de questions sur sa capacité à instaurer une relation de confiance avec ses patient.e.s…
Et on peut aussi vraiment se poser des questions sur sa capacité d’observation. Parce que dans le cas où une personne décompense parce qu’elle ne prend plus ses médicaments, il y a en principe d’autres signes repérables qu’un message envoyé à une application…
(Et dans l’hypothèse où le.a patient.e ne décompense pas alors qu’iel a arrêté son traitement, on peut aussi se demander si le traitement est bien bien utile…).

Mais c’est sûr que ça implique un peu plus de discussion et d’empathie avec le.a patient.e que le simple fait de lire les résultats sur une application, on est d’accord.
Temps que beaucoup de psychiatres n’ont pas forcément à cœur de prendre…

– La psychiatrie coercitive techniquement assistée

Alors que, en de multiples endroits du globe, la psychiatrie est empêtrée dans une dérive sécuritaire, la recherche va, encore une fois, dans le sens de faciliter cette mission de « contrôle » qu’ont les psychiatres. Au lieu de continuer à travailler à développer des médicaments avec moins d’effets secondaires, on travaille à développer des médicaments qui sont des outils de contrôle…
Les priorités laissent songeur…

– La protection des données, on en parle ?

Etant donné que les informations sont communiquées via une application en ligne, on peut vraiment se questionner quant à la protection des données.
C’est vrai pour toutes les données personnelles en ligne, mais s’agissant d’un sujet qui est complètement stigmatisé, on peut vraiment se questionner sur le fait que le nom de personnes, associé à « prend de l’Abilify », soit en vadrouille dans les entrailles d’internet…

– Le renforcement dans l’imaginaire collectif des stéréotypes négatifs sur les malades psychiques

Si même les médecins se disent qu’il faut surveiller les patient.e.s, c’est que ça doit être vrai, n’est ce pas ? (Indice : non).

S’il est nécessaire de vérifier qu’iels prennent bien leur traitement, avec des dispositifs aussi sophistiqués, c’est qu’iels doivent vraiment être dangereux.ses, n’est ce pas ? (Indice : non plus).

Si même les médecins n’ont pas confiance en les patient.e.s psy, c’est bien parce qu’on ne peut pas avoir confiance en ces personnes, n’est-ce pas ? (Indice : toujours pas).

Ces stéréotypes négatifs sont source de beaucoup, beaucoup de souffrance, d’isolement, de stigmatisation envers les malades psychiques.

Ces stéréotypes, ils sont à l’origine de discriminations à l’embauche, de discrimination au logement.

Ces stéréotypes sont, in fine, à l’origine de beaucoup de suicides.

Donner un tel message, venant de personnes supposées soigner, c’est carrément criminel.

Générer une angoisse supplémentaire autour du traitement psychiatrique, alors que de base les maladies psychiques sont DEJA génératrices d’angoisses, c’est éloigner encore plus les malades d’une aide qui peut leur être vitale.

Et ça aussi c’est carrément criminel.

Quelques souvenirs d’élève neuroatypique

Avant toute chose :

Cet article se base sur MES souvenirs.
Il n’a en aucun cas la prétention d’être représentatif de TOUS les parcours d’élèves neuroatypiques, ni même de tous les parcours d’élèves avec un TDAH (trouble de déficit d’attention avec hyperactivité).

C’est juste un témoignage.

Un témoignage que j’ai envie d’adresser avant tout aux enseignant.e.s, parce que ces personnes peuvent faire une sacré différence entre « un parcours d’élève neuroatypique qui se passe bien », et « un cauchemar qui fait qu’on a la boule au ventre à l’idée d’aller en classe et d’y passer sa journée ».

Je n’ai pas la prétention non plus d’avoir des recettes et des solutions. J’ai juste envie de raconter ce qui m’a aidé, et ce qui m’a déglingué la tronche pendant ces années. A vous d’y regarder, de voir si vous reconnaissez certaines de vos attitudes… et d’en faire ce que vous pouvez.

TDAH

Toute gosse, j’étais infiniment plus à l’aise avec les adultes qu’avec les enfants. Genre VRAIMENT beaucoup plus à l’aise.
Les autres enfants, c’était un peu des créatures étranges fonctionnant selon des codes que je ne comprenais pas tellement.
Ma prof d’école enfantine (« maternelle », pour les français.e.s) m’a littéralement sauvé la mise : elle me trimballait partout avec elle. Elle devait aller chercher un truc en salle des profs ? « Viens avec moi ».
Alors oui, ça faisait que mes camarades me regardaient un peu bizarre, mais ca évitait qu’elle me retrouve en larmes ou plus ou moins prostrée à son retour. Et ça m’évitait pas mal d’angoisses (pour la petite histoire, une fois elle n’a pas pu m’emmener avec elle. J’ai tellement stressé que j’ai somatisé : en quelques heures je me suis couverte de plaques rouges. Une pousse d’eczéma géante. Le médecin a demandé à ma mère si j’avais vécu un truc particulièrement stressant, parce que ce genre de trucs étaient typiquement psychosomatiques. Et oui, j’avais vécu un truc particulièrement stressant : rester seule au milieu d’un groupe d’enfants pendant 5 minutes.)

Elle me laissait aussi – même si ses collègues lui disaient de « ne pas encourager ça » – venir à l’école avec mon doudou. Mon « coïcoï » comme je l’appelais. Un morceau de tissu informe que je secouais devant mon visage (des fois en disant « coïcoïcoïcoï » répétitivement – d’où son nom) pour me rassurer et m’apaiser quand je stressais. J’ai arrêté un jour de le prendre. De moi-même. Parce que je me sentais de m’en passer. Personne ne m’a forcé. Alors que ma maman voulait plutôt confiner le coïcoï à la maison parce qu’elle trouvait ça « trop bizarre », elle lui avait dit que surtout pas, que si j’en avais besoin bah je pouvais le prendre, que le but n’était pas de me faire flipper gratuitement, et que je m’en passerais quand je pourrais m’en passer. Bien vu.

Elle a passé pas mal de temps à m’expliquer.
Oh, pas tellement pour ce qui est de la lecture et de l’écriture, ça, ça allait plutôt bien (elle devait plutôt m’extraire du « coin bibliothèque » où j’avais tendance à me retrancher autant que possible !).
Mais à m’expliquer « comment ça marche avec les autres enfants ».
Elle faisait de la traduction « Laurence – Enfant neurotypique » (et réciproquement), pour me permettre de ne pas trop être un alien dans la classe. Et ça marchait plutôt bien.

Cette enseignante, je lui dois une fière chandelle, vraiment. Si j’avais commencé l’école avec un.e enseignant.e qui avait essayé de me conformer à tout prix à un fonctionnement standardisé, ça aurait été un pur enfer.
Elle, elle m’a permis de voir que l’école ça pouvait être cool. Et ça m’a un peu outillé pour la suite… Parce que par la suite, sa bienveillance et son ouverture se sont avérées loin d’être la norme.

Par la suite, ça a été… Un peu plus compliqué, on va dire.

Je vais donner des exemples en vrac.

Non, tous les enfants n’ont pas la POSSIBILITÉ de rester immobiles à leur place sans se balancer, bouger, tripoter des objets.
En tous cas, moi, je n’avais pas cette possibilité.
Et il ne sert à rien de :
– Leur retirer par surprise leur chaise de sous les fesses (ça fait très peur, et en plus, sans déconner, vous savez que la colonne vertébrale et le cocxyx c’est fragile ?).
Je ne me suis pas blessée sérieusement, mais j’ai eu mal au cocxyx pendant des jours.
– Leur demander de rester assis sur leurs mains (c’est humiliant, c’est inconfortable, et vraiment : c’est inutile).
– Les envoyer hors de la salle de classe avec leur chaise en leur disant « va te balancer dehors ». Effectivement, pour me balancer sur ma chaise, hors de la classe, ça allait aussi. Pour suivre le cours, déjà nettement moins, par contre.

Non, tous les enfants n’ont pas le sens inné du respect des conventions sociales.
Quand j’ai fait remarquer à l’enseignante qu’elle avait fait une erreur d’orthographe au tableau noir, je ne SAVAIS PAS qu’on est supposé se taire quand on voit un adulte faire une erreur. Je ne savais pas non plus que j’allais tellement vexer l’enseignante qu’elle m’a fait la misère pendant deux ans, encourageant littéralement mes camarades à me harceler.

Non, tous les enfants n’ont pas la même maitrise de leurs émotions.
Encourager mes camarades à se moquer de moi ne m’a pas fait acquérir une meilleure maitrise de mes émotions, non plus.
« Riez tous, Laurence s’énerve ».
« Regardez le bébé, elle pleure ».
Non, ça ne m’a pas fait apprendre à me maitriser. Ça m’a juste fait apprendre que les adultes, en qui jusque là j’avais une confiance assez aveugle, sont parfois des belles crevures.

Non, tous les enfants n’ont pas les mêmes capacités à coordonner leurs mouvements, à la gym.
Je n’ai jamais su faire une roulade (et je ne sais toujours pas, d’ailleurs).
Me dire de « faire un effort » n’a jamais été un remède miracle contre la dyspraxie, et me faire recommencer et recommencer encore alors que j’avais peur de me faire mal parce que je me retrouvais dans des postions complètement improbables ne m’a pas appris à faire une roulade. Juste à détester la gym, et à détester mon corps, aussi.

Non, un enfant neuroatypique qui se retrouve cible de harcèlement scolaire n’est pas COUPABLE du harcèlement subi.
Pourtant, c’est le message que j’ai eu. Que c’était normal que les autres ne m’aiment pas et m’en foutent plein la gueule. Parce que quand même, je le cherchais un peu, à faire des trucs bizarres.
On me l’a expliqué à moi. On l’a expliqué à mes parents. On m’a envoyé voir la psy de l’école, non pas pour m’aider à supporter ce harcèlement, mais pour que j’apprenne à me comporter « mieux » pour ne pas être harcelée.
J’ai continué à être harcelée. Et en plus, je me disais que j’étais vraiment une grosse merde de « ne pas savoir y faire avec les autres ». Mon estime de moi qui a mis plusieurs dizaines d’années à se reconstruire vous en remercie, vraiment !

Je ne sais pas ce que j’attends de cet article.
Peut-être juste qu’il puisse rappeler aux enseignant.e.s que, même si je conçois tout à fait que ça ne soit pas simple à gérer d’avoir dans sa classe un.e ou des enfant(s) dont le comportement détonne avec le reste du groupe, même si je conçois tout à fait que vous n’êtes pas formé.e.s spécifiquement « pour ça », avoir un poil de bon sens et d’humanité, ça n’est pas en option.
Imaginer qu’humilier un enfant va lui apprendre à se conformer à une norme, c’est complètement absurde. C’est psychophobe, mais c’est aussi ABSURDE. Comment pouvez-vous imaginer une seule seconde que ça va aider l’enfant ? Et même si vous vous en foutez d’aider l’enfant (ce qui est probable, si vous adoptez des comportements de crevure pareils), comment vous pouvez imaginer que foutre un enfant complètement en vrac va l’amener à avoir une attitude plus adéquate en classe ?

Oui, les fous-folles peuvent s’entraider

Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler d’une idée reçue récurrente sur les personnes atteintes de troubles psy :

« Il ne faut pas rester entre vous, vous vous tirez vers le bas ».

Je pense que pas mal toutes les personnes ayant des troubles psychiques l’ont entendue, donc elle vaut le coup qu’on s’y attarde un peu.

Avant d’être la personne revendicatrice râleuse que je suis aujourd’hui, j’ai passé aussi pas mal de temps, à l’époque où j’allais vraiment mal, à squatter ces « lieux de perdition » que sont les forums d’entraide en ligne entre personnes avec des troubles psy.

Bah je vais vous dire un truc : bien loin de me tirer vers le bas, ça m’a sauvé la vie.

Littéralement.

Sans les personnes rencontrées là, que je pouvais appeler à des heures improbables, et surtout dans des états parfois assez catastrophiques (vous connaissez beaucoup de personnes qui vont vous répondre peinard à minuit quand vous les appelez en pleine crise d’angoisse et que avoir une personne au téléphone vous parait être la seule solution fiable pour éviter de faire n’importe quoi avec votre boite d’anxiolytiques ?), je ne sais pas comment j’aurais géré les moments les plus compliqués.

Sans les personnes rencontrées là, à qui je pouvais dire sans passer complètement pour un alien, que j’étais roulée en boule dans mon lit depuis des heures et que je n’avais pas la force de mettre un doigts de pied hors du lit, et qui sont restés avec moi au bout du fil à m’encourager et me motiver jusqu’à tant que j’arrive à dépasser le blocage, l’angoisse et l’épuisement, il y a pas mal de rendez vous importants auxquels je n’aurais tout simplement pas pu aller.

Sans une des personnes rencontrées là, qui a pris d’autorité pour moi un rendez vous avec une assistante sociale parce que ça me terrifiait de trop de faire cette démarche, j’aurais probablement perdu mon appartement, à un moment donné.

Ces personnes, je leur ai renvoyé l’ascenseur autant que possible, en étant là pour elles quand la situation était compliquée de leur coté.

Des anecdotes dans ce genre là, j’en ai encore plein d’autres me concernant. Et tout autant concernant d’autres  personnes.

Entraide troubles psy

Et pourtant, j’ai pu constater que c’était loin d’être valorisé et encouragé, cette entraide.
J’ai souvent entendu des gens autour de moi me dire que je devrais éviter, que ça me « tirais vers le bas ».
J’ai entendu des gens de l’entourage de mes ami.e.s fous-folles dire que j’étais « une mauvaise fréquentation » pour la même raison.
J’ai entendu des ami.e.s fous-folles dire que leur psychiatre les engueulait de passer autant de temps à échanger avec d’autres fous-folles…
J’ai entendu des trucs encore plus choquants, des personnes interdites de se parler en hôpital psy parce que leur entraide et leur amitié mutuelle déplaisait aux soignants.

Au-delà de l’anecdotique, il me parait super important de s’attarder à réfléchir à ce qu’implique cette idée reçue, parce que, quand on y regarde de plus près, elle est VRAIMENT complètement… Crade. Destructrice. Dévalorisante.

Je vais passer en revue les choses que cela sous-tend et implique, de dire aux fous-folles que leur entraide, c’est de la merde.

– « Vous êtes incapables de savoir ce qui vous fait du bien ».

Bah ouais.
A chaque fois que vous nous dites que « ça nous tire vers le bas », c’est ça que vous nous dite.
Parce que nous, on le voit bien, que ça ne nous tire pas vers le bas. Et on vous le dit, aussi.
Mais on est manifestement trop cinglé.e.s à vos yeux pour accorder foi à notre évaluation là dessus.

– « Vous êtes incapables d’apporter du positif autour de vous »

C’est bien connu, les « fous-folles » détruisent leur entourage, n’est ce pas ?
C’est ce qu’on entend plus ou moins à chaque fois qu’un article, une réflexion se penche sur l’entourage des personnes avec une maladie psy. La souffrance de leur entourage (c’est hyper valorisant, comme idée, y a pas à dire…).
Alors comment donc pourrions-nous nous entraider ?

Et bien en fait oui, on peut. Et on le fait.
On le fait sur les fameux forums d’entraide. Celles et ceux qui sont hospitalisé.e.s le font aussi dans les services psy.

On s’entraide. On s’écoute. On ne se juge pas. On comprends ce que vit l’autre, parce qu’on vit un truc similaire ou voisin. On se soutient face à la psychophobie ambiante, aussi.
D’ailleurs, ne serait-ce pas aussi cette dernière chose qui dérange les « gens normaux » (Du moins, celles et ceux qui se considèrent comme tel…) ? Le fait qu’on se soutienne et que notre soutien nous donne la force de ne pas accepter stoïquement toutes les idées reçues, toutes les discriminations, toutes les violences ?

– « Vous ne pouvez pas trouver quoi que ce soit de positif dans votre situation ».

C’est vrai quoi, la maladie psy ou la neuro-atypie, c’est voué à être une longue nuit opaque hein.
Imaginer qu’on puisse trouver du positif HORS de la norme neurotypique, ça défrise beaucoup de neurotypiques.

Et quand on y réfléchir, c’est parfaitement logique :

Imaginer qu’il existe des possibilités qui sortent des codes neurotypiques, c’est carrément dangereux pour cette norme.
Elle ne repose sur rien d’autre que sur de l’arbitraire : tel fonctionnement est normal, tel autre est pathologique. Et ce, sur la base de rien de tangible, de rien de concret.
Donc si on commence à pouvoir valoriser des fonctionnements qui sortent de cette norme, si on commence à accepter ne serait-ce que l’idée que tout n’est pas noir et glauque dans les fonctionnements qui sortent de la norme psychiques… On commence à donner aux gens l’autorisation de ne pas se battre à TOUT PRIX (en premier lieu celui de leur bien être…) pour coller à cette norme. Brrr. Attention, danger !

Et pourtant…

Sans cette entraide, on serait beaucoup à ne pas avoir remis la tête hors de l’eau, voire à ne plus être de ce monde.
Gardez ça en tête, vous les proches, vous les psychiatres, vous les « normaux ». Même si ça égratigne votre égo, même si ça vous rappelle que vous ne pouvez pas tout contrôler, et surtout pas NOUS contrôler. Même si ça égratigne vos mythes foireux sur notre compte.

Et si vous êtes concerné.e.s par les troubles psy, gardez en tête que vous êtes valables, que vous apportez du positif autour de vous, que vous êtes capables de vous entraider, et que celles et ceux qui voudront vous prouvez le contraire ne savent en aucun cas mieux que vous même qui vous êtes et ce que vous valez !

Gros.se = riche ? Pas sûr…

Ces derniers jours, un dessin de l’illustrateur Nawak a fait polémique.
Une image d’un gros mangeant du fastfood et écrasant la terre sous son poids.

gros riche nawak
(Dessin par Nawak)

Je n’ai pas envie de nourrir la polémique sur cet illustrateur ou ce dessin en particulier.
Je le cite juste à être d’exemple.
Le problème n’est pas Nawak, mais bien cette idée reçue, qui est TRES répandue.

D’ailleurs, quand on cherche un peu, on trouve plein de dessins humoristiques représentant la société de consommation, les riches, les oppresseurs par… un.e gros.se.

Vous voulez quelques exemples supplémentaires ?
Allons-y.

gros richegros riche 3

 

 

J’aurais pu en citer plein d’autres.

Entendons nous : je vois l’idée que ces dessinateurs essaient de faire passer : dénoncer l’inégale répartition des richesses dans la population mondiale, et la société de consommation. J’imagine bien qu’il n’est pas facile de rendre cette idée « lisible » au travers d’un dessin, mais il n’empêche qu’utiliser constamment les gros.ses comme illustration des consommateur.trice.s riches est une représentation particulièrement fausse.

Statistiquement, il y a beaucoup, beaucoup plus de personnes obèses parmi les classes sociales défavorisées que parmi les riches.
La raison est assez simple à comprendre : vivre sainement coute cher.

S’acheter des légumes frais, des fruits frais, de la viande de bonne qualité (pour les personnes non-végétariennes), c’est notablement plus cher que de s’acheter une pizza surgelée.

Le temps de travail rentre en ligne de compte, aussi.
Beaucoup de personnes venant de classes sociales pauvres cumulent les boulots, ou ont des horaires de travail difficilement compatibles avec le fait de passer du temps aux fourneaux.
Des postes de travail notablement plus pénibles, aussi. Vous auriez envie de passer une heure debout dans la cuisine après 8h de travail à la chaine à l’usine, ou sur un chantier ?

A coté de ça, faire du sport aussi a un certain coût financier et en terme de temps. Que beaucoup ne peuvent pas se permettre.

Pour toutes ces raisons, les classes sociales les plus touchées par l’obésité sont celles qui sont en bas de l’échelle sociale.

Utiliser un.e gros.se pour représenter la richesse et la société de consommation est donc non seulement réducteur, mais en premier lieu complètement faux.

Cette idée reçue amène à des situations particulièrement dégueulasse.

Je vais vous raconter une anecdote.

Un mec fait régulièrement la manche près du supermarché où je fais mes courses. Je lui fais, quand je peux, quelques courses alimentaires.
Il m’est plusieurs fois arrivé d’entendre des gens dire des trucs du genre « Va pas me faire croire qu’il a pas de thune, gros comme il est ».

Sauf qu’en fait, « gros comme il est », ça lui arrive de me demander « tu peux m’acheter un kilo de carottes / de pommes ? Ca fait une semaine que j’ai pas pu manger de fruits ou légumes… ». Parce que ouais, avec l’argent de la manche, il va plutôt s’acheter du pain et du fromage qui tiennent au bide… que des fruits et légumes. Logique, n’est ce pas, quand on y réfléchit trois minutes ?

Pour rester sur la « richesse » des gros.ses, je rappellerais également que les gros.ses font parties des personnes les plus discriminées à l’embauche, et également des personnes à qui ont permet le moins d’accéder à des promotions sur leur lieu de travail.

Plutôt un mauvais point, si on veut devenir riche, vous en conviendrez…

Alors, ami.e.s dessinateur.trice.s, ça serait vraiment chouette que vous arrêtiez de renforcer de cliché quand vous voulez dénoncer les inégalités sociales ou la société de consommation. Ce que vous faites est contreproductif si vous avez en ligne de mire plus de justice sociale, dans la mesure où en faisant ça, vous enfoncez une catégorie de personnes qui est DEJA plutôt en bas de l’échelle.

Vous êtes sur.e.s de gueuler sur Hanouna pour les bonnes raisons ?

Avant toute chose, vu que mon titre est un peu provoc’, je vais commencer par dire quelque chose qui est une évidence pour toute personne qui me connait (mais pas forcément pour les autres) :

NON, je ne défends pas Hanouna. DU-TOUT. Ce qu’il a fait de manière répétitive dans ses diverses émissions, à savoir faire de l’homophobie, du sexisme, du racisme, du validisme, de la grossophobie, de la psychophobie (bref, de tout ce qui peut se trouver comme discriminations crasses) son fond de commerce sous couvert d’humour EST grave, et mérite amplement qu’on gueule très fort et qu’il soit sanctionné.

A plus forte raison, je ne suis pas hétéro, et les conséquences dramatiques de son dernier « canular » (à savoir : un mec de 19 piges s’est fait virer de chez lui par ses parents, qui ont appris à cause d’Hanouna et son canular que leur fils n’est pas hétéro) me touchent tout particulièrement et me prennent au bide.

Si j’avais la possibilité de faire caca sur ses chaussures pour lui exprimer métaphoriquement tout le bien que je pense de son attitude, je le ferai avec un plaisir non dissimulé.

Caca
(Je n’avais pas envie de voir Hanouna en photo sur mon blog. Alors à la place, j’ai mis un caca)

Maintenant que l’évidence est énoncée, je vais pouvoir devenir casse-gonades, et titiller un peu.

Parce que y a quand même un truc qui me chiffonne, dans la levée de bouclier quasi unanime (à l’exception des fans inconditionnels qui défendent leur idole), contre Hanouna (et ce, déjà avant sa dernière bouse).

Vous êtes tellement nombreux.ses à le condamner que je me demande un peu où vous êtes, tou.te.s, quand il s’agit de dénoncer l’homophobie, le sexisme, le racisme, la psychophobie, le validisme dans euh… VRAIMENT BEAUCOUP D’AUTRES EMISSIONS.

Parce que ouais, Hanouna est peut-être un peu moins « subtile » dans ses « blagues » que d’autres, mais n’empêche que la TV mainstream, elle en est complètement truffée, de trucs discriminants crasseux.
Alors pourquoi ca vous fait hurler chez Hanouna, alors que chez les autres, il n’y a que les militant.e.s convaincu.e.s et acharné.e.s qui réagissent ?

Vous êtes où, quand Ardisson humilie les gros.ses ?
Vous êtes où quand Ruquier donne pendant des mois la parole à Zemmour ?
Vous êtes où quand les Enfoirés font de « l’humour » sur les troubles psy en se foutant allègrement des personnes suicidaires (un comble dans un spectacle destiné à récolter des fonds pour les Restos du Coeur, dont une part non négligeable des bénéficiaires ONT des troubles psy…) ?
Vous êtes où quand Arthur fait des vannes plus que douteuses sur l’homosexualité d’un des participants à ses « Vendredi tout est permis » ?

Parce que je vous cherche, hein, mais je vous vois pas beaucoup gueuler. Du moins, INCROYABLEMENT MOINS que s’agissant de Hanouna.

Pour le coup, avide de comprendre, j’ai cherché des réponses en lisant un peu les commentaires, les discussions, les débats sucités par la polémique autour de Hanouna.

Et ce que j’ai lu, j’avoue, ne m’a pas fait très très plaisir.

J’ai lu beaucoup, beaucoup d’élitisme crasseux.
« Ouais, c’est de la télé populaire quoi, de la merde, de la télé pour les gens cons, de la télé de bas étage, faut vraiment manquer d’instruction pour regarder ça ».
Ouais ben pour le coup, les gens, si Hanouna et ses « blagues » homophobes, sexistes, racistes et autres me donnent envie de déféquer sur ses chaussures, ben je viendrais bien déposer le reste du contenu de mes intestins sur les vôtres, hein.

Il va falloir qu’on parle, très sérieusement.
Trasher sur les homos, c’est mal, mais trasher sur les classes populaires, c’est bien ?
Trasher sur les femmes c’est mal, mais on peut trasher sur les personnes qui n’ont pas un niveau « intellectuel » suffisant à votre goût ?
Vous gargariser de votre niveau d’études en trashant sur les gens qui n’ont pas Bac + Tout Plein, c’est supposé être OK ?
L’homophobie est plus acceptable si elle est exprimée avec des grands mots d’universitaire ?

J’ai vu aussi quelques bons « francais de souche », vous savez, ceux qui votent Marine le Pen et ses sbires, en profiter pour caler quelques petites vacheries racistes. Parce que quand même, il est pas très très blanc, Hanouna, et son nom n’a pas l’air sorti d’un village du Périgord.

Et enfin, j’ai vu quelques « antisionistes » (qui cachent leur antisémitisme en l’appelant autrement parce que c’est plus joli) en profiter pour rappeler l’air de rien que Hanouna est juif.

Et là aussi, j’ai senti très fort mon sphincter anal se relâcher en visant leurs godasses, hein.

Alors ouais. Vous qui dénoncez si fort Hanouna… Prenez cinq minutes pour vous demander pourquoi.
Si c’est sincèrement parce que vous vomissez l’homophobie, que vous conchiez le racisme, que vous gerbez le sexisme, que vous avez des boutons à l’idée du validisme… Alors ouais, continuez de dénoncer. Et je le fais aussi.

Par contre, si vous en profitez pour cracher à l’aise, planqués dans la masse, votre mépris pour les classes sociales « plus basses » que la vôtre, ou votre racisme et votre antisémitisme, vous seriez bien aimable de FERMER VOS GUEULES, et de commencer par balayer devant votre porte. Il semblerait qu’il y ait un peu de caca sur votre paillasson.

MON esprit, MES choix !

« Tu devrais voir un psy ».
« Ne vas surtout pas voir de psy, c’est tous des vendus aux pharmas qui gavent leurs patient.es de médicaments ».
« Prends tes cachets ».
« Ne prends surtout pas de médicaments ».
« Bois de la tisane ».
« Tu devrais faire de la méditation ».
« Tu devrais aller à l’hôpital ».
« Les hôpitaux psy c’est des prisons, faut surtout pas y aller ».
« Tu ne devrais pas fumer d’herbe, ça va empirer les choses ».
« L’herbe c’est le bien, ça va t’aider à dormir, à être moins angoissé.e ».
« Tu devrais faire du sport ».
« Tu devrais manger bio, les additifs alimentaires causent les troubles psy ».
« Les diagnostics c’est juste des étiquettes du système, il ne faut pas que tu tombes là dedans. »
« Il faut absolument que tu sois diagnostiqué.e »
« Dans telle autre culture, tes symptômes sont considérés comme un don, tu devrais te rendre compte que dans le fond, tu as de la chance »
« Tu ne fais pas ce que je te conseille, c’est que tu ne veux pas réellement t’en sortir »
« Tu dois absolument… »

illustrations injonctions

Il faut, tu dois, tu devrais, fais ci, fais pas ça, il faut, tu dois, tu devrais, fais ci, fais pas ça, il faut, tu dois, tu devrais, fais ci, fais pas ça… En boucle.

Ca, c’est le quotidien quand tu es malade psy, neuroatypique, fou, folle, cinglé.e.

Tout le monde se sent en droit d’avoir son petit avis sur ce que TU devrais faire avec TON PROPRE esprit.

Parfois même les autres personnes malades psy ou neuroatypiques, d’ailleurs. Qui oublient que ce qui est vrai pour elles, ce qui marche pour elles… N’est pas forcément une vérité universelle pour toutes les personnes malades psy ou neuroatypiques. Ni même pour toutes les personnes avec le même diagnostic.

Comme si tout le monde savait mieux que toi ce dont tu as besoin, ce dont tu n’as pas besoin, ce qui se passe dans ta tête, ce qui te fait souffrir, ce qui ne te fait pas souffrir, ce qui te soulage, ce qui ne te soulage pas.

Ca ne vous parait pas dingue, à vous ? Aussi dingue que tous les symptômes possibles et imaginables ?
Et ça ne vous rendrait pas dingue, littéralement dingue, au sens médical du terme, qu’on vous ressasse sans cesse que ce que vous ressentez est faux, que ce que vous faites est faux, que ce que vous décidez est faux ?
Ca ne vous rendrait pas dingue, qu’il y ait à peu près autant d’injonctions (souvent contradictoires d’ailleurs) qu’il y a de personnes dans votre entourage, et autant de reproches de ne pas suivre ces injonctions qu’il y a d’injonctions ?

Moi, ça m’impressionne, à quel point on peut être dépossédé de son propre esprit, de son propre cerveau, de ses propres neurotransmetteurs qui fonctionnent ou ne fonctionnent pas, de sa propre lecture du monde.

Alors oui, vous me direz peut-être « Mais c’est logique, vu que la maladie psy altère les perceptions, c’est normal qu’on sache mieux que la personne malade ce qui est bon pour elle ».

Et en plus, vous avez une bonne excuse : là où la maladie physique se voit, s’observe… la maladie psychique ne se voit pas. Elle ne se mesure pas avec des radiographies, des analyses. (Quoi que… ça n’est pas tout à fait vrai : l’imagerie médicale commence à pouvoir mettre en évidence les différences de fonctionnement cérébral entre une personne neuroatypique ou malade psy, et une personne neurotypique ou sans trouble psy. Mais le fait est que malgré tout, savoir que telle ou telle zone du cerveau est plus ou moins active ne vous permet pas, pour autant, d’avoir une « photographie », une idée précise de ce que perçoit et ressent la personne concernée)

Avec toute la bonne volonté du monde, vous ne pouvez PAS voir le monde à travers les yeux de quelqu’un d’autre, fusse-ce une personne très proche.
Donc vous ne comprenez pas tout, vous spéculez, vous essayez d’imaginer, de vous mettre à la place. De trouver des solutions. D’aider (parce que oui, c’est souvent plein de bonnes intentions, sincères qui plus est).
Mais vous savez quoi ? Ca ne marche pas.
Même si vous êtes aussi passé « par là ».
Parce que personne ne passe « par là » exactement de la même manière. Et personne ne gère sa situation exactement de la même manière.

Et en plus d’être forcément faussé parce que vous projetez VOTRE vision de ce qui est bien, bon, aidant sur la vie de quelqu’un d’autre… C’est nocif.

Comment vous vous sentiriez, vous, même sans neurotransmetteurs en pagaille, même sans neuroatypie, même sans trouble psy… Si votre entourage se mettait subitement à vous dire sans cesse que vous devez douter de ce que vous pensez, ressentez, décidez pour vous-même ?
Sachant que pas mal de troubles psy ont déjà en eux-même pour effet de saper la confiance en soi-même, est-ce que vous mesurez à quel point, en donnant à une personne le message que tout ce qu’elle pense est faux, vous faites « le jeu » de la maladie, vous renforcez ce sentiment de ne rien valoir, d’être inapte et incapable ?

Si on parle souvent de respecter le choix des gens concernant leur propre corps (« Mon corps, mes choix » étant une phrase qui parlera surement à pas mal de personnes même vaguement sensibilisées en terme de féminisme), on oublie souvent que c’est vrai aussi concernant l’esprit. Y compris d’un esprit qui ne fonctionne pas tout à fait dans la norme.

Mon esprit, mes choix.

Requiem pour un harceleur

[Ne cherchez pas une vocation militante à cet article. C’est du défoulement, du vidage d’abcès. S’il a une utilité, c’est peut-être d’être un témoignage parmi plein d’autres quant au harcèlement. Fondu dans une masse bien trop massive. Et, aussi, éventuellement, de dire qu’on a le droit de ne pas sacraliser les morts et de garder notre colère contre eux malgré leur mort. La mort n’efface et ne pardonne pas tout.
Je ne pense pas avoir donné dans cet article de détails permettant de le reconnaitre. Si toutefois vous deviez le reconnaitre, je vous demande, par respect pour sa famille, de ne pas rendre public son nom. Ça ne changerait plus rien. Il est mort. Il ne paiera plus rien. Et sa famille n’a pas à payer pour lui. Elle a le droit de faire son deuil, de pleurer sa mort.]

C.

Tu ne seras ici qu’une initiale. Ne crois pas que c’est toi et ta mémoire que j’essaie de protéger, ta réputation je m’en fous, tu n’imagines pas à quel point.
C’est par respect pour ta famille, et uniquement pour elle, que je ne donne pas ton nom. Et aussi par respect pour mes principes. Les dénonciations publiques sont à mon sens une porte beaucoup trop dangereuse pour que j’accepte de la pousser.

Pourtant, je le sais, et tu le sais aussi : je ne mens pas.

Alors tu es mort ?
C’est fini, pfiou, envolé, y a plus.
La nouvelle de la mort d’un mec de mon âge serait supposée me toucher.
Ou la nouvelle de la mort d’un enfoiré est peut-être supposée me faire plaisir.

Mais en fait, non, ça ne me fait pas plaisir.
Ca ne me fait pas plaisir, du tout, de voir les hommages à ton nom, les articles de presse qui vantent ta générosité, ta gentillesse, ta bonté. Qui pleurent la mort d’un homme bien, trop tôt, tellement trop tôt. Bla. Bla. Bla.
Qui parlent du fait qu’il était impossible d’être en conflit avec toi, tellement tu étais merveilleux.
Ouais, les articles de presse. Parce qu’entre temps tu avais « réussi ». Tu avais glâné ta petite respectabilité merdique, ton succès, ta pseudo-célébrité de pacotille de journaliste de bas étage.

Ca ne me fait tellement pas plaisir que ça ré-ouvre, 11 ans après, la plaie des 8 mois d’enfer que tu m’as fait passer.
« Nous a fait passer » serait plus exact, parce que je n’étais pas seule dans cette merde (et c’est d’ailleurs de ça que tu as tiré ton emprise, vu que tu m’utilisais comme arme contre ma meilleure amie, et réciproquement). J’y étais d’ailleurs surement moins qu’elle, vu les liens qu’elle avait avec toi.
Mais je ne vais parler que pour moi. Parce que mes mots ne sont pas les siens, qu’elle dirait surement les choses autrement.

Tu étais le petit ami de ma meilleure amie.
La première fois que je t’ai vu, j’ai été mal à l’aise en face de toi. Pourquoi ? Je n’en sais rien. J’ai cherché à rationaliser ce malaise, cherché à me dire que je n’avais aucune raison d’avoir peur de toi.
Et j’y suis arrivée. J’ai oublié ce signal d’alarme irrationnel, je l’ai laissé dans un coin.
Et je t’ai trouvé « gentil et généreux », moi aussi.
Comme tous ces gens qui pleurent ta mort.
Je t’ai parlé de moi, aussi, un peu. Sans savoir à ce moment là que chaque mot, chaque truc un peu personnel que je t’avais révélé me reviendrait dans la gueule plus tard.

Jusqu’à ce que tu la trompes. Oh, je n’ai pas arrêté de te trouver « gentil et généreux » pour si peu. Je me suis dit, comme elle d’ailleurs, que tu étais paumé, que tu avais fait de la merde.
Tu es venu chialer ton « désespoir » de « l’avoir perdue » en la trompant.
J’ai été triste pour toi, triste que tu ailles mal.

Et puis.

Et puis avec le temps, tu as arrêté de chialer. Tu as commencé à exiger. Exiger que je lui demande de te parler, exiger qu’elle t’écoute, te parle. Alors que TU avais merdé. Exigé. Exigé.
Et à partir de là, tu n’as plus fait que ça. Exiger.
Exiger d’abord poliment, mais exiger quand même.
Et après beaucoup moins poliment. Parce que non. Je ne suis pas la Poste. Je ne fais pas passer des messages. Je n’allais pas tenter de la forcer à aller contre ce dont elle avait besoin.
Et ça, tu n’as pas aimé.

Et tu as commencé ton petit jeu. Celui qui a duré 8 mois. D’insultes. De menaces. De tentative pour m’éloigner d’elle, parce que j’étais un obstacle sur ta route. De tentatives pour la forcer – et tu as bien failli y arriver – à planter la vie qu’elle avait construit pour aller te rejoindre. Tout en jouant avec elle.
« On va se remettre ensemble ».
« En fait peut-être pas. »
« Mais si, quand même ».
Pendant 8 mois, mec.

8 mois où je l’ai vue crever à petit feu, où j’ai eu peur pour elle.

8 mois pendant lesquelles je recevais quotidiennement des mails d’insultes odieux, des mails de menaces aussi. Et quand je ne répondais pas aux mails, tu passais aux SMS, jusqu’à ce qu’excédée et lassée je réponde à tes mails.
Et si je ne répondais pas pendant assez longtemps, tu commençais à la harceler elle pour qu’elle me demande de te répondre. Ce que je faisais. Pour éviter qu’elle se ramasse l’orage.
8 mois.

T’as une idée de ce que c’est, 8 mois, C., quand à chaque fois qu’on ouvre sa boite mail, on se demande non pas SI on va avoir reçu de la merde, mais quelle quantité de merde, et de quelle nature cette fois-ci.
Des menaces ? Des insultes ? Les deux ? Ou peut-être quelques invitations à me suicider, en me décrivant précisément les méthodes qu’il te plairait de me voir utiliser. Ou éventuellement dénigrer mes proches, vu que tu savais que je suis capable d’encaisser beaucoup, mais pas qu’on touche aux gens que j’aime.

Il a fallu que j’aille jusqu’à garder consciencieusement tes mails. Oh, pas tous. Juste ceux de la fin. Juste ceux des quelques dernières semaines. Et que je te menace d’envoyer le tout à ton employeur, qui aurait été « ravi » d’apprendre que tu utilisais ta boite mail professionnelle et tes heures de travail à me harceler plutôt qu’à bosser.
A partir de là, étrangement, vu que je menaçais de toucher à ta façade, à ta pseudo-respectabilité de pacotille, à ta réussite professionnelle chérie… Tu as magiquement arrêté ton harcèlement.
J’ai pu le faire parce que mon amie avait trouvé la force de te couper les ponts complètement, et que tu n’avais plus la ressource de la harceler elle pour me me forcer à répondre.

Ces mails, je les ai relus en apprenant ta mort.
Parce qu’à force de lire que tu étais une merveille, j’en venais à douter de mes propres souvenirs.
C’était ta force, ça aussi. Donner une telle apparence de mec gentil qu’on en venait à ne plus rien comprendre à ce qui nous arrivait.

Et il semblerait que tu ne te sois pas arrêté après mon amie et moi.
Que tu aies refait le même genre de plan à la copine suivante. La même manipulation, la même emprise.
Avec elle aussi. Au moins avec elle.
En vrai, tu as fait ça à combien de personnes, Monsieur Respectabilité et Gentillesse incarnées ?

Alors tu vois, les articles dégoulinant de larmes qui annoncent ta mort… Non, ils ne m’ont ni rendue triste, ni fait plaisir. Ils m’ont foutu dans une colère noire. Ton impunité, ton image intacte de fragile, gentil et généreux, ça me fout littéralement la gerbe.

Ma seule satisfaction, ça n’est pas que tu sois mort, parce que les morts sont tellement sacrés et intouchables que jamais personne ne pourra dire ouvertement quel salopard tu étais.
Non. Ce qui me satisfait dans tout ça, c’est que tu es hors d’état de nuire. A plus personne.
Tu n’imagines pas combien je regrette de ne pas avoir porté plainte, et de ne pas t’avoir dénoncé à ton employeur.
Que tu n’aies pas été confronté directement aux conséquences de tes actes.

Contrairement aux articles élogieux sur ta petite personne… Je ne te souhaiterai pas « bon voyage », ni de « reposer en paix ».
Juste de te faire bouffer par les vers.
En espérant que tu sois moins toxique pour eux que pour les humains.

Le consentement expliqué avec des arachides (ou « Non, consentir à un rapport sexuel ne signifie pas consentir à n’importe quel acte »)

Cet article comporte la description précise d’un abus sexuel. Si vous ne vous sentez pas de lire ça, c’est le moment de fermer cette page. Prenez soin de vous avant tout.

Il y a quelques semaines, à Lausanne, en Suisse, un homme a été condamné pour viol (à de la prison avec sursis, hum. Mais bref. La sanction prononcée n’est pas le sujet de cet article, même s’il y aurait fort à dire sur le fait de condamner un violeur « uniquement s’il recommence », n’est-ce pas ?).

Pour revenir en bref sur ce qui a motivé cette condamnation:

Après s’être connus via une appli de rencontres, l’homme et sa partenaire ont eu une relation sexuelle. Qui était – sur le principe – consentie des deux cotés.
MAIS après une première pénétration avec un préservatif, l’homme a demandé à sa partenaire des jeux sexuels sans préservatif, ce qu’elle a refusé.
Puis, il l’a à nouveau pénétrée, en lui tenant les poignets ce qui fait qu’elle n’avait aucun moyen de voir que, en fait, entre les deux pénétrations, il avait retiré sa capote… Chose qu’elle n’a donc vu qu’à la fin du rapport sexuel.

A plus forte raison, alors que la femme, légitimement très inquiète du risque de MST, demandait à l’homme de passer un test de dépistage, il a disparu de la circulation, ne donnant plus signe de vie.
Pour assurer sa sécurité, la femme a dont dû passer par le (lourd et contraignant) traitement de prophylaxie post-exposition pour au moins éviter le risque de VIH, n’ayant aucun moyen de savoir si l’homme était ou non porteur du virus du SIDA.

Cette condamnation a fait couler beaucoup d’encre dans la presse et dans les commentaires sur les sites des journaux.
Beaucoup d’encre qui, à vrai dire, ne fait pas vraiment du bien à lire. (Si vous tenez vraiment à vous écorcher les yeux, les commentaires de cet article sont représentatifs d’une bonne partie des horreurs qu’on a pu lire sur le sujet…)

Beaucoup de commentateurs (mais aussi un chroniqueur judiciaire d’un journal genevois, avocat de son état, donc faisant figure d’autorité en matière de droit) se permettent des propos carrément infects sur la victime du viol.
Qui « n’assume pas ».
Qui « est une manipulatrice ».
Qui « n’a pas à se plaindre, après tout, elle a voulu du cul, sinon elle n’aurait pas été sur Tinder ».
Qui « n’avait qu’à porter un préservatif féminine », et qui « est irresponsable de ne pas l’avoir fait ».

Et évidemment, plaignent ce « pauvre homme », dont la vie est « brisée » par cette « condamnation injuste ».

J’avoue qu’il m’est assez difficile de rester pédagogue, diplomate et modérée face à de tels propos, mais bon. Je vais essayer quand même.

Et utiliser des arachides pour vous expliquer le problème.

arachide

Et pour ce faire, je vais vous demander un petit effort d’imagination.

Transformons pour un instant cette situation de relation sexuelle en une invitation à manger chez quelqu’un.
Vous acceptez l’invitation d’une connaissance pour un repas, mais au moment de discuter du menu, cette personne vous propose de vous préparer un poulet à l’arachide. Vous lui précisez alors : « Non. Ne mets pas d’arachide dans le repas, j’y suis allergique ».

Au moment du repas, cette personne vous sert un plat contenant des arachides, qu’elle prend soin de dissimuler dans une sauce.
Trouvez-vous ça normal ?

J’imagine que la réponse est unanimement non, n’est-ce pas ?

Vous trouveriez même probablement qu’il est complètement légitime de déposer plainte contre cette personne qui a mis votre santé en danger en toute connaissance de cause, vu que vous aviez pris soin de lui préciser votre allergie à l’arachide. Et que vous trouveriez juste que cette personne soit condamnée alors qu’elle a joué avec votre santé.

Pourquoi cela serait-ce différent concernant la relation sexuelle ?

J’imagine aussi que vous serez d’accord pour dire que sous le terme générique de « relation sexuelle », on peut, tout comme en cuisine, avoir une multitude de menus différents. Et que pas tout le monde est tenu d’accepter chaque menu. Et aussi que certains menus comportent plus de risques que d’autres, n’est-ce pas ?

Pourquoi donc ce qui vous parait – totalement légitimement – inacceptable dans votre assiette devient acceptable dans le cadre d’une relation sexuelle ?

Oui, forcer quelqu’un (par la violence ou par la ruse) à un « menu » sexuel qui ne lui convient pas est un viol, MEME SI LE RAPPORT EN LUI-MÊME ETAIT CONSENTI.
Cela ne s’applique pas uniquement au port ou non du préservatif (oui, je t’ai vu, le petit malin là-bas dans le fond, qui pense que mon analogie ne tient que lorsqu’il y a un risque pour la santé physique de la personne…) : subir par exemple (et parce que c’est un grand classique du genre, malheureusement) une sodomie à laquelle on n’a pas consenti met AUSSI notre santé en danger. Peut-être pas directement notre santé physique (quoi que…), mais notre intégrité psychique. Est-il besoin de rappeler l’existence du syndrome post-traumatique très fréquent chez les victimes d’abus sexuels, avec son cortège de troubles anxieux, troubles dépressifs et suicides ?

Dire oui pour une bouffe entre amis ne signifie pas forcément être d’accord de manger des arachides, ni d’ailleurs être obligé de finir son assiette.
Dire oui pour un acte sexuel ne signifie pas forcément être d’accord pour toute forme d’acte sexuel, ni d’ailleurs être obligé d’aller jusqu’au bout de ce qui a été prévu si sur le moment on ne le sent plus.

Et c’est quand même sacrément triste de devoir rappeler ces évidences, parce qu’elles sont visiblement très loin d’être claires pour tout le monde.