« Les concerné.es » ne sont pas un modèle unique

Note explicative quant au contenu de cet article :
J’ai choisi délibérément d’utiliser une métaphore complètement déconnectée de la réalité humaine, pour ne pas focaliser la réflexion sur telle ou telle oppression.
Mon but n’est absolument pas de déshumaniser les personnes concerné.es par telle ou telle oppression, mais justement, à l’inverse, de ne pas me servir des personnes concerné.es pour expliquer et exemplifier ma réflexion.
Ainsi donc, nous parlerons ici des concerné.es par l’emporte-piècitude, les emporte-pièces étant opprimés par les humains qui les exploitent outrageusement.

Si vous fréquentez un tant soit peu les espaces de discussions militants, à plus forte raison intersectionnels ou inclusif, vous avez probablement déjà entendu parler de l’importance de valoriser / respecter la parole des personnes concernées par une oppression.

Loin – très loin même – de moi l’idée de ne pas adhérer à ce positionnement : je suis clairement persuadée de l’importance de mettre en avant la parole des personnes concernées, à plus forte raison dans notre société ultra normative, qui relaie ultra majoritairement la parole dominante (blanche, hétéro, cis, valide, neurotypique, toussa).

Par contre, j’ai un gros souci avec l’expression « LES personnes concernées pensent que… ».

Formulée comme ça, j’ai toujours le ressenti un peu weird qu’on voit les personnes concernées de cette manière là :

4 T

Similaires.
Globalement semblables.
Fabriqués dans le même moule.

Iels auront dont un vécu similaire, et de fait, des aspirations, des revendications, des besoins similaires.

Alors que, au fil de ma fréquentation des groupes et autres collectifs militants, j’ai pu réaliser au fil du temps – ce qui confirme ma vision de base – que les concerné.es, c’est plutôt quelque chose comme ça :

emporte-pièce diversifiés
Tou.te.s ces emportes-pièces sont concerné.es par l’emporte-piècitude.

Mais de par leurs différences, iels vont la vivre différemment, de positionner différemment, et avoir des besoins spécifiques différents. Et des fois radicalement opposés.
L’emporte-pièce en forme de fleur revendique haut et clair qu’on le lave à la main, parce que sinon, jamais il ne sera propre.
L’emporte-pièce rond, à l’inverse, trouve inutilement violent cette éponge racleuse qu’on passe sur sa peau métallique, et il revendique qu’on le laisse tranquillement se faire laver par le lave-vaisselle.
Le petit emporte-pièce rond, tout en bas, n’est quasiment jamais utilisé, et souffre de son manque de valorisation : il revendique son utilité, sa pleine appartenance à la société des emporte-pièces utiles.
Mais dans le même temps, on peut entendre le gros emporte-pièce en coeur revendiquer qu’on arrête de l’exploiter, de le faire travailler tout le temps.

Ces besoins sont parfois complètement opposés.
Et pourtant, chacun de ces emporte-pièces revendique quelque chose qui est à la limite du vital pour lui.
Vital pour ne pas finir rouillé faute de nettoyage adéquat, vital pour ne pas finir à la poubelle ou dans un carton à la cave faute d’utilité, vital pour ne pas se casser en deux à force d’être trop utilisé.

Souvent, les emporte-pièces s’engueulent entre elleux.
Le petit emporte-pièce rond se voit accusé de vouloir renforcer l’exploitation des emportes-pièces par les humains, vu qu’il revendique le droit à travailler, à être utile, à s’insérer dans un système du travail que le gros emporte-pièce en coeur rejette de tout son « coeur », et qui, de fait, est en train de tuer le gros emporte-pièce en coeur, vu qu’il est exploité à outrance.

L’emporte-pièce en fleur, qui a besoin d’être lavé à la main, se voit accuser d’empêcher les autres emporte-pièce à disposer de leur corps métallique comme bon leur semble, vu qu’il revendique une méthode de nettoyage impliquant qu’on le tripote.

Si une cuillère, alliée sincère de la lutte des emportes-pièce en fleur, relaie le célèbre slogan « Une éponge vaut mieux que de rester crasseux », les emporte-pièces rond vont lui hurler dessus : « tu n’écoutes pas les concernés ».

On a même vu l’emporte pièce rond tenter de se faire le porte-parole de tous les emporte-pièces, proclamant haut et fort que « Les concernés ont besoin de lave-vaisselle ».
Déclenchant à cette occasion un tollé parmi les emporte-pièces en fleur et leurs allié.es.

Par contre, méfiance, quand les humains relaient la parole du tout petit emporte-pièce rond qui revendique le droit de travailler plus, il y a fort à parier qu’ils pensent plus à leur propre envie de pouvoir continuer à exploiter comme bon leur semble leurs emporte-pièces, et voient dans la revendication du petit emporte-pièce un bon moyen pour dire « Non mais regardez, j’ai tout à fait raison de continuer à faire travailler à outrance mes emporte-pièce, même ce petit emporte-pièce le dit, qu’il veut travailler ! ».

Voilà… il est plausible que j’aie collé une migraine à pas mal de monde avec mon utilisation d’environ 50 fois le terme « emporte-pièce » en une seule page de blog.
Mais j’avais envie d’attirer votre attention sur le danger qu’il peut y avoir à faire des « concerné.es » un groupe uniforme, aux besoins uniformes, aux revendications uniformes.

Il y aura forcément des points de convergence, mais aussi des divergences.
Et c’est OK comme ca.

Et non, ça n’est pas « dépolitiser le débat », de prendre en compte les vécus et les parcours spécifiques.
Au contraire, je vois une revendication éminemment politique dans cette attente qu’on cesse d’uniformiser les vécus, les gens.

Remplacer un moule fabriqué par la société par un moule fabriqué par les mouvements militants, ça reste toujours un moule.
Et il y aura toujours des personnes « hors du moule ».
Qui ont le droit d’être entendue et respectées.

Aux yeux des secours, être suicidaire n’est pas une vraie urgence

Gros coup de gueule, parce que le coté « running gag vraiment pas drôle » de mes combats avec des services d’urgence pour envoyer les secours à des personnes de mon entourage en pleine crise suicidaire (voire ayant concrètement fait une tentative de suicide) commence franchement à me sortir par les yeux.

colère

On va commencer par quelques petits récits concrets, pour que les personnes qui ne se sont jamais retrouvées confrontées à ces situations puissent ouvrir un peu les yeux sur cette sympathique réalité.

En commençant par le dernier en date.

Hier soir (ou plutôt la nuit dernière), une amie m’a appelé. Appelons la A.
En pleine crise suicidaire, complètement bourrée, elle m’a appelé pour me dire adieu, me demander de ne pas être triste de sa mort.
Inutile de préciser que je ne l’entendais pas vraiment de cette oreille, et que, après avoir essayé vainement de l’aider à se calmer et de la convaincre de retourner chez l’amie chez qui elle était supposée passer la nuit, je lui ai envoyé les secours.
Enfin, « je »… Par l’intermédiaire d’une autre amie, parce qu’il se trouve que A. se trouvait à ce moment là aux Pays-Bas et que je ne parle pas un traitre mot de néerlandais. Donc une autre amie – qui se dépatouille en néerlandais – a appelé les secours de la ville où se trouvait A, leur expliquant la situation (crise suicidaire + complètement bourrée), leur expliquant où se trouvait A. (à la gare, où elle projetait de se foutre sous un train).

Pendant que cette amie appelait les secours, je restais autant que possible avec A. au téléphone.

Et là où l’épisode vire au gros n’importe quoi, c’est que…

Il a fallu une bonne 20aine de minutes aux services de secours à se décider à bouger (après avoir rappelé l’amie qui les avait appelé, pour leur demander si c’était vraiment « toujours d’actualité »…).
Partis après une 20aine de minutes, ils sont arrivés une bonne 40aine de minutes après l’appel…
Pour demander à A. « Si c’était pour elle que quelqu’un avait appelé ». Elle a répondu que oui, mais qu’elle prendrait le train.
Et… c’est tout. Les flics qui avaient déjà mis un bon 40 minutes à arriver se sont contentés de ça, malgré le fait qu’on leur ait dit que A était suicidaire, à risque de se foutre sous un train.
Relax.

Heureusement, A. a réussi à gérer, à ne pas faire de connerie. Heureusement aussi, A. avait une amie au téléphone (ce qui ne fait pas de miracles, hein, mais peut aider un peu).

Mais ça en dit long sur le « sérieux » de la prise en compte de la crise suicidaire par les secours, n’est ce pas ?

Un autre exemple ?

Une amie a gobé un plein flacon de Tercian.
Il a fallu qu’on s’y mette à trois pour appeler les secours successivement pour qu’ils se décident à prendre en compte l’appel.
Et il a fallu insister lourdement pour qu’ils forcent sa porte, vu qu’ils comptaient à la base faire demi tour face au fait qu’elle ne répondait pas à la sonnette.

Et pour cause : entre temps, le Tercian avalé avait fait son petit effet, et elle était inconsciente. Si nous n’avions pas aussi lourdement insisté, il est plausible qu’elle y serait restée.

(Edit : l’amie en question ayant lu mon article, elle apporte une petite correction… Qui rajoute à l’absurde de la situation.
Les secours n’ont pas eu à forcer sa porte : elle n’était pas verrouillée.
Donc… ils étaient sur le point de faire demi-tour alors qu’ils n’avaient qu’à… appuyer sur la poignée de la porte. Il a fallu insister pour qu’ils fassent ce geste oh combien pénible : appuyer sur une poignée de porte. Pour trouver une personne inconsciente dans son appartement).

Encore un autre ?

Une amie se présente aux urgences psychiatriques. Dit clairement être suicidaire, venir parce qu’elle a peur de faire une connerie. Je l’accompagne.
Les urgences psychiatriques sont surchargées.
On la fait poireauter pendant plus de deux heures dans une salle d’attente bondée (vous avez dit « angoissant » ? Mais non voyons. Surtout pas pour une personne phobique sociale, hein…).
Elle finit par tellement saturer qu’elle retourne à la réception pour dire qu’elle se casse (moi à sa suite pour le coup, parce qu’il est hors de question pour moi de la laisser seule à ce stade là des événements).
La réceptionniste appelle le service des urgences psy, où personne ne juge utile de se déplacer à la réception pour ne serait-ce que prendre 5 minutes pour évaluer la situation.
« Ok, vous pouvez partir ».
Et c’est tout.
Aucune vérification que cette amie ne serait pas seule ce soir là (en l’occurence, j’étais dispo pour passer la soirée avec elle. Mais ils n’ont absolument pas vérifié que c’était le cas).
Aucune vérification de… quoi que ce soit en fait. Juste « Ok, vous pouvez partir ».

Ces trois épisodes se sont bien terminés. Malgré des réponses complètement à coté de la plaque de la part des professionnels, ces trois personnes sont encore en vie.

Un autre me reste spécialement en travers de la gorge, parce qu’il s’est nettement moins bien terminé.

Le 18 octobre 2012, Cindy entre aux urgences psy de Grenoble. Elle est suicidaire. Très.
Son copain arrive à la convaincre d’aller aux urgences psy, de se donner une chance.
Elle y passe la nuit, pour être en sécurité.
Pendant la nuit, elle envoie des SMS pour le moins alarmant à plusieurs personnes, leur faisant ses adieux. Leur annonçant son suicide pour le lendemain.
Ses adieux me revenant aux oreilles, par son copain paniqué, par une amie commune non moins inquiète, j’appelle les urgences psy de Grenoble.
Où la réponse est pour le moins surprenante, quand j’explique la situation.
« C’est de la demande d’attention, elle veut vous inquiéter, on va lui prendre son portable pour qu’elle laisse ses proches dormir ».
C’est très gentil de se préoccuper de notre sommeil, hein, mais c’était pas VRAIMENT CA LA PRIORITE.
Je leur demande explicitement de ne pas la laisser sortir le lendemain, qu’elle est trop à risque, qu’elle a besoin d’aide, vraiment, D’AIDE.
On me fait gentiment comprendre que ça n’est pas moi qui vais leur apprendre à faire leur boulot, avant d’écourter l’appel.
Très moyennement convaincue (doux euphémisme) de la réponse que j’ai eu, je rappelle son copain, lui demandant d’envoyer un mail au psychiatre de Cindy, dont il a l’adresse mail.
Ce qu’il fait.
Sur la base de ce mail, dès son arrivée à son cabinet, le psychiatre appelle lui aussi les urgences psychiatriques pour les informer de risque suicidaire important dans lequel est Cindy.

Pourtant, à 10h du matin le 19 octobre, après un bref entretien avec une psychiatre, on laisse Cindy sortir.
Cindy qui m’appelle pour me reprocher « ma trahison » avec des mots qui resteront gravés longtemps encore dans mon crâne.
Qui m’explique qu’on lui a bien fait comprendre qu’elle n’est qu’une demandeuse d’attention.

Cindy s’est suicidée ce même 19 octobre.

Alors que les urgences psychiatriques avaient tout en main pour savoir que la laisser sortir était une vaste connerie.

Elle est morte de ses souffrances, de sa maladie psychique.
Mais elle est aussi morte de la non-prise en compte de sa situation par des professionnels pourtant formés pour ça.

La crise suicidaire est une vraie urgences vitale et on la traite comme un caprice.

On me répondra peut-être que ces personnes auraient dû demander de l’aide plus clairement.
Ne pas envoyer bouler le flic devant la gare.
Patienter aux urgences psy.
Demander à l’être hospitalisée au lieu de sortir pour aller se butter.

Sauf que (merci Captain Obvious), le fait de ne plus avoir envie, plus la force, plus le courage de continuer à lutter, c’est LA DEFINITION MÊME de la crise suicidaire.
Alors non, on ne peut pas demander à une personne dans cet état de faire des pieds et des mains pour être aidée.
Si déjà elle arrive à mettre d’elle-même les pieds aux urgences psychiatriques, c’est un exploit. Un réel exploit, je veux dire.
Alors non, on ne peut pas lui demander de compenser l’incompétence et le manque de sérieux des professionnels. Vraiment pas.

Le manque de prise en compte des situations de crise suicidaire par les professionnels des secours est un vrai scandale.
Un complet non-sens en terme de compétences professionnelles.
Et un révélateur massif de la psychophobie de notre société, où les malades psychiques sont vus comme capricieux, comme pas crédibles, comme des « demandeur.euses d’attention ».

Et on ne peut pas voir ça comme des incidents isolés.

Le fait qu’à moi seule, je puisse donner 4 exemples concrets de ces situations en dit long.
Je pense que plein, plein, plein de monde aurait des histoires similaires à raconter.
Celles là ont eu lieu dans mon entourage proche, mais j’en ai entendu plein d’autres racontées par d’autres.

(à vrai dire, j’aurais pu en rajouter encore au bas mot 5 anecdotes supplémentaires si je n’avais pas craint de faire fuir les lecteur.trices par un article trop long et par une multiplication d’exemples au final assez similaires les uns aux autres, sur fond de secours qui ne se déplacent pas ou ont une intervention totalement inadéquate, d’urgences psychiatriques où le mot « urgence » est là juste pour faire joli.)

On  ne peut pas  non plus attribuer ça à l’incompétence locale des secours dans tel ou tel pays : ces 4 situations ont eu lieu respectivement aux Pays-Bas, en France et en Suisse…

Donc encore une fois, j’ai envie de m’adresser dans cet article aux professionnels.
Médecins, psychiatres, mais aussi flics, pompiers, ambulanciers :

Quand on vous appelle pour une personne suicidaire, qu’elle ait déjà passé à l’acte ou qu’elle menace de le faire : C’EST UNE URGENCE VITALE.
Tout autant qu’une crise cardiaque.
Tout autant qu’un accident de la route.

Et ces personnes méritent des soins de la même qualité que ceux que vous accorderiez à une victime d’une crise cardiaque ou d’un accident de la route.

Ca n’est pas un caprice. Ca n’est pas « une demande d’attention qu’il ne faut pas prendre en compte ».
C’est une situation où la personne peut mourir.

L’idée reçue disant qu’une personne qui parle de suicider ne le fera pas EST COMPLETEMENT FAUSSE.

Et en minimisant ce risque, je n’ai aucun scrupule à dire que vous avez du sang sur les mains et des morts sur la conscience.

Lau’ explique l’homophobie à Petit Oskar

Petit Oskar, c’est un peu comme Petit Ours Brun, mais en moins mignon, moins doux, et infiniment moins sympathique.

Il a des poils longs sur la tête, toujours bien attachés dans un magnifique catogan, autrement dit une queue de cheval.
D’ailleurs, certains en profitent pour rappeler ce qu’il y a, sous la queue du cheval (et peut-être bien que je suis un peu d’accord avec eux. Peut-être, hein. Juste peut-être).

Oskar Freysinger
(Dessin de Marc Large, dont vous trouverez les travaux ICI )

Petit Oskar, c’est un peu comme un jouet parlant, avec des messages automatiques pré-enregistrés.
Alors quand on parle d’un sujet de société en Suisse, souvent, on sait que Petit Oskar va y aller de son petit message pré-enregistré, tellement prévisible qu’on n’a même pas envie de l’entendre, parce qu’en plus d’être pénibles, ses messages automatiques sont tellement prévisibles qu’on en connait le contenu avant même qu’il ouvre la bouche.

Petit Oskar est un jouet automatique créé en Valais.
Alors évidemment, quand il se passe quelque chose en Valais, Petit Oskar doit y aller de son commentaire.

Et il y a quelques jours, en Valais, il s’est passé un truc.
Au Collège des Creusets (il faut savoir qu’en Valais, « Collège », c’est comme le lycée en France, ou le gymnase à d’autres endroits en Suisse), le rectum… euh, le recteur a annulé un atelier de prévention sur les insultes homophobes et sexistes. Malgré le fait que plein d’élèves s’y étaient inscrits, il a trouvé ça « inutile », le recteur.

Alors forcément, Petit Oskar s’est senti obligé d’y aller de son petit avis. Parce qu’en plus, Petit Oskar, il se trouve qu’il est responsable de l’instruction publique pour son canton (ouais, c’est bizarre de confier des responsabilités à un jouet qui diffuse des messages pré-enregistrés, je suis d’accord avec vous).

Donc Petit Oskar, il a décidé que le recteur n’avait pas le droit d’expliquer lui-même pourquoi il avait décidé d’annuler cet atelier.

Faut le comprendre, Petit Oskar : il avait des messages pré-enregistrés tout prêts à diffuser sur l’homophobie et sur l’homosexualité. Alors il voulait qu’on les entende, ses messages (il est un peu prétentieux, petit Oskar : il pense tout savoir sur tout, y compris sur de trucs où il comprends que dalle, et il aime beaucoup entendre le son de sa voix).

Alors Petit Oskar, il est allé à la Radio, et il a sorti ses messages pré-enregistrés (de merde) :

Il n’y a pas de problème d’homophobie dans les écoles en Valais et tant que je serais chef du département de l’instruction publique on va pas venir parler de ces théories du dgender chez nous.

Alors, Petit Oskar, vu que j’ai pas envie de te laisser continuer de te ridiculiser comme ça, je crois que je vais devoir t’expliquer ce que c’est l’homophobie, parce que je crois que tu n’as pas tout bien compris.

Alors, puisque je suis assez sympa pour t’expliquer, tu vas me faire une faveur : pour une fois, tu vas te taire, et écouter jusqu’au bout, d’accord ?

Viens avec moi, Petit Oskar, je vais te faire visiter une cours d’école.

Tiens, écoute… tu as entendu, là, ces gamins qui s’insultent de « PD » et de « Tafiole » ?
Voilà, je vais pouvoir commencer à t’expliquer, alors.

Tu sais ce qu’elles veulent dire, ces insultes ?
C’est des insultes qu’on utilise très (trop) souvent pour désigner les homosexuels désignés comme hommes.
Tu sais, les mecs qui baisent avec des mecs ? Ceux qui sont amoureux de mecs ?
Ben c’est eux, qu’on appelle « Pédé », en général.
Alors oui, souvent, quand les enfants s’insultent de « pédé », c’est pas pour dire « tu es homosexuel », c’est juste une manière de dire « t’es une merde ».
Mais réfléchis trois minutes.
Attends, puisque tu es prof (ouais, Petit Oskar est prof. Je sais, ça aussi c’est un peu bizarre…) , on va faire une petite équation :

Si on a :

Homosexuel homme = pédé
Et « tu es une merde » = « Sale pédé »

On a aussi : Homosexuel homme = pédé = merde.

Tu trouves toujours que c’est pas homophobe, d’utiliser « Pédé » comme insulte, maintenant, Petit Oskar ?

Tu commences à comprendre où je veux en venir ?

Viens, on continue la visite de la cour d’école.

Là, tu la vois cette adolescente ? Elle est en train de dire que son camarade est « une tapette » parce qu’il « marche comme une fille ».

Non ? Toujours pas d’homophobie ? Vraiment pas ?

Tu entends ces deux mecs qui discutent ? « Et toi, t’as toujours pas de copine ? ».
Tu remarques un truc ?
Il a dit « copine ». Pas « t’as pas de copine ou de copain ? ».
T’as vu ?
C’est ce qu’on appelle « l’hétéronormativité ».
Le fait qu’en fait, par défaut, dans la société, on part du principe que tout le monde est hétéro. La « norme », « ce qui est normal », c’est d’être hétéro.
C’est pour ça que cet ado demande à son pote s’il a UNE COPINE, sans imaginer une demi seconde qu’il puisse éventuellement être en couple avec un mec.

Quoi ? Qu’est ce que tu me dis à l’oreille, Petit Oskar ?
Qu’il n’y a pas d’homosexuels dans cette cours d’école ?

Attends, je vais t’expliquer le concept de « placard ».
Parce que ça aussi, c’est important pour comprendre l’homophobie.
C’est un peu la conséquence en droite ligne de l’hétéronormativité.
Vu qu’on considère que la norme, c’est l’hétérosexualité, c’est vachement difficile de dire « Eh, mec, moi je suis pas dans la norme ». Parce que ça sonne très fort comme « Eh, mec, moi je suis ANORMAL ». Ca pique, hein, d’avoir à dire qu’on est anormal, tu crois pas, Petit Oskar ?
Et vu qu’en plus il y a plein de gens qui, comme toi, disent que « l’homosexualité c’est une maladie » (parce que oui, tu as dit ça, Petit Oskar… sisi), vu qu’il y a plein de gens qui insultent les homosexuel.les, quand on est homo, on le dit pas. On appelle ça « rester dans le placard ». C’est à dire se cacher. Tu sais, comme quand on doit éviter de se faire voir pour éviter de s’en prendre plein la gueule.
En fait, c’est exactement ça : on se cache.
Et on se cache pourquoi, Petit Oskar ?
Je te le donne en mille : à cause de ce truc « qui n’est pas un problème » : l’homophobie.
Et cette invisibilisation (ouais, c’est comme ça qu’on appelle ça, le fait de rendre les homosexuel.les invisibles, de tout faire pour qu’on ne sache pas trop qu’ils existent, de les pousser à se cacher), c’est AUSSI DE L’HOMOPHOBIE.

Et là, tu vois, je n’ai donné que des exemples concernant les « pédés ».
Mais je pourrais t’en donner tout autant sur les « gouines », tu sais Petit Oskar, ces femmes qui ont l’audace d’aimer d’autres femmes, de coucher avec d’autres femmes, tout ça.

Alors tu vois, Petit Oskar, même si je te dis tout ça avec un peu d’humour, tes bouses, elles me font pas rire du tout.
Elles me font pas rire du tout, parce que tu vois, les statistiques (tu dois bien aimer, ça, les statistiques, non ?), elles expliquent que les personnes homosexuelles, elles se suicident beaucoup plus souvent que les personnes hétérosexuelles.
Parce qu’elles se font humilier, rabaisser, insulter, mettre à l’écart, rejeter (des fois même par leur famille).
Parce qu’elles sont sujet de moqueries.
Parce que « être un pédé c’est être une merde ».
Et ces suicides, ils ont le plus souvent lieu avant 20 ans.
Avant 20 ans, Petit Oskar. T’sais, l’âge où normalement on a la vie devant soi, plein de projets d’avenir, où on se projette dans un avenir professionnel, où on se projette dans une vie amoureuse, ‘fin… tout ça quoi.

Alors ta théorie fumeuse sur l’atelier inutile parce que « l’homophobie n’est pas un problème en Valais », va falloir que tu la révises, mec.

Ou alors tu vas aller l’expliquer aux familles et aux potes de ces ados qui se sont buttés, je suis sure qu’ils vont être ravis de t’expliquer leur vision des choses, tu vois ?

Ton attitude, Petit Oskar, d’ailleurs, puisqu’on en est à parler de toi… C’est de l’homophobie, aussi.
Tu vas surement pas vouloir le reconnaitre, c’est pas dans tes messages pré-enregistrés, ça, le « Oui, désolé, j’ai eu tort ».

—-

Pour celleux qui voudraient écouter à leur tour les « messages pré-enregistrés » d’Oskar Freysinger (ci-dessus appelé « Petit Oskar ») sur l’homophobie qui « n’est pas un problème dans les écoles valaisannes », c’est écoutable ici.
Je décline toutefois toute responsabilité pour l’humeur que vous aurez après cette écoute.

[Traduction] Sociopathie, trouble borderline, psychose : 3 maladies psychiques qu’on doit arrêter de haïr

Cet article est paru en anglais sur le site Everyday Feminism. Vous pouvez trouver sa version originale ici
Comme je le précise à chaque traduction, je ne suis pas ni traductrice professionnelle, ni bilingue, et il est possible que j’aie laissé passé quelques erreurs de traductions. N’hésitez pas à me les signaler, je les corrigerai au plus vite.


Quand j’avais 19 ans, j’ai suivi un cours appelé « psychopathologie ». C’était un cours au sujet de la maladie psychique, et c’était mon premier pas dans mon parcours pour devenir travailleuse sociale et psychothérapeute.

A l’époque, pourtant, je n’étais pas vraiment focalisée sur le fait d’apprendre à analyser les autres personnes. J’étais plus intéressée au fait d’apprendre à me comprendre moi-même.

Toute ma vie, j’avais lutté avec des schémas de comportements et d’émotions dont je savais qu’ils étaient « mal », mais que je ne semblais pas arriver à contrôler.

Je mentais compulsivement à propos de choses en apparence sans queue ni tête. J’étais terrifiée à l’idée d’être abandonnée, au point que j’étais furieusement, parfois abusivement, bouleversée quand je pensais que mes amis se voyaient sans moi. J’étais pleine de dégout envers moi-même et de colère, que je contenais et que j’évacuais dans l’automutilation.

J’étais charmante et je me faisais facilement des amis, mais mes amitiés ne duraient jamais plus d’un an ou deux  – et à chaque fois qu’une amitié se terminait, je me détestais au point de vouloir mourir.

J’ai failli mourir, deux fois, par suicide.

Et, bien sûr, j’avais grandis en tant que femme trans dans le placard, racisée, dans une société cisgenre et raciste. Aussi loin que je puisse me souvenir, j’ai été pleine de rage, de peur et de dégout de moi-même, résultant des messages constants que la société, les amis et la famille m’envoyaient pour me dire que j’étais déviante, mauvaise, pourrie jusqu’au trognon.

Beaucoup de mes collègues thérapeutes aiment plaisanter à propos du fait qu’on se tourne vers ce métier en premier lieu pour nous « soigner nous-même ». Quand j’y repense, j’étais vraiment à la recherche de moi-même dans mon manuel de psychopathologie. Je voulais des réponses aux questions que je me posais depuis que j’avais environ 6 ans.

Est-ce qu’il y avait quelque chose de cassé en moi ? Est-ce que ça pouvait être réparé ?

J’ai trouvé ma réponse dans ce manuel – dans un sous-chapitre appelé « Troubles de la personnalité, lettre B ». Mes « symptômes » collaient avec le profil d’un trouble psychique appelé Trouble de la personnalité borderline, une maladie associée à la psychopathie. C’était, selon le manuel, considéré comme incurable.

En d’autres termes, il y avait quelque chose de cassé en moi – et non, ça ne pouvait pas être réparé.

Dans l’idée d’être une professionnelle en santé mentale responsable, je me dois de préciser ici qu’il n’est pas conseillé d’essayer de s’auto-diagnostiquer en utilisant un manuel d’introduction à la psychologie. Ne faites pas ça chez vous !

Par contre, le point sur lequel j’ai envie de me concentrer ici, c’est le fait de vivre avec un trouble psychique qui est « moche » ou socialement indésirable – les troubles comme la psychopathie ou la schizophrénie paranoïde sont en général considérés comme indésirables, bizarres, dangereux ou monstrueux, même parmi les gens qui se considèrent comme « progressistes » à propos des troubles psychiques.

Je veux aussi me concentrer sur la manière dont les mécanismes oppressifs tels que la pauvreté, le racisme et la violence systémique, tout autant que les traumatismes personnels tels que la maltraitance dans l’enfance, sont en fait responsables de créer et maintenir les symptômes des maladies psychiques les plus détestées et craintes.

Les maladies « moches » : les maladies mentales pour lesquelles on n’éprouve pas d’empathie.

La stigmatisation accompagne toutes les maladies psychiques jusqu’à un certain point, mais ces dernières années, certaines maladies psychiques ont meilleure presse que d’autre. La dépression, par exemple, a souvent été représentée dans les médias mainstream, allant des webcomics à des documentaires.

Ces nouveaux messages tendant à suivre le message militant qui lutte pour la destigmatisation des troubles de l’humeur comme la dépression, luttant contre l’idée que les personnes sont responsables de leur état, alors que la dépression est causée par un déséquilibre chimique dans le cerveau.

Toutefois, un traitement similaire et un tel message publique est rarement étendu à des maladies psychiques pour lesquelles on éprouve moins facilement de l’empathie. Je parierais qu’un grand nombre de personnes veulent bien admettre qu’ils éprouvent de l’empathie au sujet de la dépression parce qu’ils ont eux-même été déprimés à un moment donné.

Je doute par contre qu’un nombre aussi grand de personnes diraient qu’elles éprouvent de la compassion pour les psychopathes, les menteurs pathologiques ou les personnes pathologiquement narcissiques.

Dans une société amoureuse de la rhétorique de la pensée positive, les personne soi-disant « toxiques », comme vivant avec les troubles que j’ai cité plus haut, sont devenues les croque-mitaines et les sorcières de la santé mentale – malgré le fait que les statistiques disent que quasiment une personne sur dix aux Etats-Unis présente des trais associés à l’un de ces troubles.

Le revers de la médaille, c’est que la culture populaire est obsédée par des représentations caricaturales ou fétichisées à propos de la psychopathie ou de la psychose, qui sont par exemple apparues à la télévision et dans les films : Dexter, Une Vie Volée, New-York Unité Spéciale, Le Silence des Agneaux, Hannibal, sont juste une partie des titres qui viennent à l’esprit à ce sujet.

Ca ne serait pas politiquement correct (au moins dans les milieux de gauche dans lesquels j’évolue) de dire que les personnes dépressives ou avec des troubles anxieux ne méritent pas de l’empathie, du soutien et de l’amitié.

Par contre, un des qualificatifs les plus dépréciatifs que même les plus acharnés des défenseurs du politiquement correct et de la justice sociale choisissent, c’est le terme « psychopathe ».

Cette attitude s’étend aussi aux professionnels de la santé mentale, pour qui le terme (trouble de la personnalité) « borderline » est souvent utilisé comme un résumé pour dire « patient pas coopérative que je n’aime pas ».

En tant que travailleuse sociale dans un service de psychiatrie de l’enfant, j’ai vu des professionnels décrire des enfants violemment agressifs ou manipulateurs – parfois dès 5 ans – comme étant des « psychopathes en devenir », « causes perdues », ou « bébé meurtriers ».

Ce qu’on oublie quasiment toujours, c’est que les gens ne sont pas agressifs ou manipulateurs sans raisons. Ils ne sont pas simplement des gens « méchants » envoyés sur Terre pour faire du mal aux autres. Les personnalités agressives ou manipulatrices sont le plus souvent développées en réponses à un terrain de vulnérabilité génétique et à de sévères traumatismes d’enfance et/ou systémiques.

Et même si la violence, la manipulation émotionnelle et les abus ne sont jamais acceptables, nous devons trouver des moyens de comprendre pourquoi les gens deviennent violents, manipulateurs ou abuseurs dans le but de les aider à arrêter – parce que l’emprisonnement et la mise à l’écart sont au mieux des pansements sur une jambe de bois.

Les facteurs sociaux de la santé – comme le fait d’avoir un toit, des parents, l’accès à l’éducation, à une alimentation suffisante et garantie, à des soins médicaux – sont massivement déterminants pour créer un environnement dans lequel les gens peuvent se développer psychologiquement dans un sens pro-social et non-violent.

Derrière l’agression et la manipulation, il y a toujours de la peur, et souvent un traumatisme. Quand on s’ouvre à cette réalité, on s’ouvre à la possibilité d’aider les autres à guérir de leur traumatisme, ainsi que de leur manipulation et de leur agressivité – et aussi à remarquer nos propres traumatismes, notre propre agressivité, notre propre manipulation, et à en guérir.

Les maladies mentales suivantes sont souvent mal comprises et diabolisées dans notre société – voici comment y réfléchir plutôt avec compassion.

1. « Psychopathie, « Sociopathie », ou Trouble de la personnalité antisocial

Il n’y a probablement pas de concepts psychologiques qui enflamment plus l’imagination du public que les termes « psychopathe » et « sociopathe ». Dans leur usage populaire, ces termes sont associés à tout et n’importe quoi, des harceleurs de cours d’école aux Supervilains d’Hollywood, en passant par les légendes urbaines sur des tueurs en série démoniaques.

Selon leur image dans les médias, les psychopathes/sociopathes sont des prédateurs, des loups au milieu du troupeau de moutons, qui vivent au milieu de nous sans qu’on les remarque, attendant juste d’attirer des personnes peu méfiantes dans leurs jeux diaboliques.

Vu l’énorme médiatisation autour du concept de psychopathe et de sociopathe, ça peut paraitre étonnant que ni la psychologie clinique, ni la psychiatrie aient adopté « la psychopathie » et « la sociopathie » comme des catégories diagnostiques valables.

C’est vrai, toutes ces fantaisies hollywoodiennes à propos de tueurs cinglés et d’ex-petites amies complètement folles ? Elles sont basées sur un fantasme, une construction culturelle sans rapport réel avec une réalité psychologique.

Le terme diagnostic réel le plus proche de l’idée populaire qu’on se fait de la psychopathie/sociopathie est « trouble de la personnalité antisociale », une maladie psychique caractérisée par de la difficulté à nouer des relations personnelles, un comportement violent et impulsif, et une apparente absence de remords et de préoccupation vis-à-vis des autres. Les individus diagnostiqués avec un trouble de la personnalité antisocial sont souvent impliqués dans des affaires criminelles et dans le système carcéral – en allant de la petite délinquance aux tueurs en série.

Toutefois, un trouble de la personnalité antisociale ne sort pas de nulle part. Les recherches prouvent que ce troubles de la personnalité à l’âge adulte est massivement associé avec des traumatismes dans l’enfance, des abus et de la négligence.

Les personnes avec des traits de personnalité antisociale répondent au monde extérieur avec une intensité et une violence proportionnelles à leur vécu intérieur d’insécurité – le sentiment d’être littéralement en danger physique – qui a été induit dans leur psychisme.

Rien de tout cela ne justifie un comportement violent, bien entendu. Mais ça nous aide à comprendre que la violence est un symptôme d’un système qui va bien au delà de l’individu seul. Un rejet et une haine irréfléchis envers ceux que l’on estime être trop agressifs pour faire partie de la société ne sont pas des réponses satisfaisantes.

On doit arrêter de se reposer sur des hospitalisations sous contraintes et sur le système carcéral pour racheter une bonne conscience à la société vis-à-vis de la violence qu’elle crée.

Nous devons trouver des meilleurs moyens de se comprendre mutuellement, et de vivre ensemble.

2. Trouble de la personnalité borderline

Un autre trouble psychique qui est associé avec la notion culturelle de « psychopathie », c’est le trouble de la personnalité borderline. Ce diagnostic est associé avec des traits d’instabilité émotionnelle et de dégout de soi-même, un sentiment intense de vide et un besoin immense d’intimité, de la manipulation envers les autres, et de l’automutilation.

Les représentations culturelles habituellement associées avec le trouble de la personnalité borderline incluent « l’ex-petite amie cinglée », « la mère folle », et à peu près tout ce qui est fait comme stéréotype de la « femme folle ».

Ca n’est pas un hasard, l’immense majorité des personnes diagnostiquées borderline sont des femmes – ce qui en soi indique qu’il ne faut pas se fier aux apparences.

Dans la culture des professionnels en santé mentale, les individus diagnostiqués borderline sont généralement considérés comme une plaie par la plupart des cliniciens – si un patient est compliqué, par exemple, ou impoli, il a des chances d’être catalogué à un moment donné à la va-vite comme étant « borderline » dans une réunion d’équipe.

Ce mépris se retrouve dans la culture populaire, qui perçoit souvent les personnes borderlines comme étant « trop envahissantes », « toxiques » et/ou « émotionnellement manipulatrices ».

Ce qui ne se dit habituellement pas à propos du trouble de la personnalité borderline, c’est qu’il est massivement relié avec des expériences traumatisantes, en particulier des abus sexuels et des maltraitances / négligences subies dans l’enfance.

C’est là que la féministe en moi veut en venir – Et si le diagnostic de trouble de la personnalité borderline était une manière sexiste de disqualifier les femmes (et d’autres personnes) dans leur réponse valables à des expériences traumatisantes, en les désignant comme « folles » ?

Ca ne serait certainement pas la première fois que le discours psychiatrique serait utilisé pour asseoir la domination patriarcale sur des réalités féminines physiques et psychiques – il fut un temps où les femmes qui disaient avoir été violées par leur mari ou leur père étaient régulièrement diagnostiquées comme étant « hystériques ».

Et quand je repense à ma propre enfance, à comment mon expérience de vie a contribué à faire de moi la personne que je suis aujourd’hui, cela fait absolument sens pour moi de coller au profil de diagnostic du trouble de la personnalité borderline (c’est d’ailleurs assez étonnant que personne ne m’ait jamais diagnostiqué avant que je trouve ce diagnostic par moi-même).

Parce que effectivement, c’est complètement sensé de devenir une menteuse quand on t’apprend que ta réalité est mauvaise, sans valeur, et va faire que tu seras blessée.

Ca fait sens, de manipuler les autres pour obtenir de l’amour, quand tu n’as jamais été capable de recevoir de l’amour autrement. Ca fait sens de se détester et de se faire du mal, quand personne n’a jamais pris le temps de te dire que les mauvaises choses qui te sont arrivées n’étaient pas toujours de ta faute.

Parfois, je me demande où se trouve vraiment la « maladie » – est-ce qu’elle est chez les personnes que la souffrance psychique et physique amène à réagir avec rage, peur, et – oui – parfois de la violence aux effets traumatisants d’une société oppressive ?

Ces gens que nous stigmatisons, exhibons dans les médias, criminalisons au delà de tout espoir qu’ils reçoivent les soins de santé mentale adéquats et respectueux dont ils ont besoin ?

Ou est-ce la société qui est malade ?

Est-ce que le trouble de la personnalité borderline est un « trouble », ou juste des gens qui réagissent comme chacun.e réagirait à des choses terribles ? A vous de me le dire.

3. Psychose

Au milieu des années 50, ma grand-mère est partie de Chine pour arriver dans une petite ville rurale du Canada. Elle ne parlait pas un mot d’anglais, n’avait aucun.e ami.e, pas de travail, et était coupée de tout lien avec la grande majorité des membres de sa famille.

Peu de temps après son arrivée, elle a développé un trouble psychotique sévère – ce qui est décrit par la psychiatrie comme étant « une rupture avec la réalité » – avec lequel elle a vécu pour le reste de sa vie.

Dans les moments les plus difficile, elle était extrêmement paranoïaque, impossible à comprendre, et en colère contre la terre entière.

A ce jour, la stigmatisation et la peur qui entourent cette histoire continuent de hanter ma famille. Après autant d’années, ça reste une plaie à vif. De par mon travail en tant que thérapeute, j’ai pu réaliser que la même aura de honte entoure beaucoup de famille dont un ou plusieurs membres ont vécu la psychose.

La psychose est généralement définie par le fait d’expérimenter des hallucinations (le fait de voir, entendre, percevoir, sentir ou goûter des choses qui « ne sont pas vraiment là ») et/ou des délires (avoir des croyances qui sont en rupture avec la compréhension majoritaire de la réalité, par exemple la croyance d’être dieu, ou d’être en contact avec des aliens).

Cette caractéristique de plusieurs troubles psychiques, incluant la schizophrénie, le trouble schizophréniforme, les épisodes maniaques et d’autres, est souvent considérée comme étant la marque des formes les plus sévères de troubles psychiques.

Non seulement c’est le genre de « folie » qu’il est souvent impossible de dissimuler, mais c’est aussi celui qui est le plus souvent rejeté socialement comme étant effrayant, bizarre, dangereux et dégoutant.

Les personnes psychotiques, souvent perçues à tort comme étant anormalement violentes par le grand public et par les personnes chargées de faire respecter la loi, ne sont en fait pas plus à risque d’être violentes que qui que ce soit d’autre. Par contre, cela ne les protèges pas de la discrimination à l’emploi et au logement, des violences policières et de l’emprisonnement.

Il n’est pas surprenant, à partir de là, de ne pas voir très souvent la psychose représentée dans les mêmes campagnes de sensibilisation aux troubles psychiques qui luttent pour destigmatiser la dépression et d’autres maladies psychiques « plus communes ».

C’est déjà assez difficile d’attirer l’attention du public sur des maladies qui rendent difficile le fait d’être heureux.se ou de socialiser dans des groupes – mais c’est carrément quasi impossible d’obtenir la sympathie du public vis à vis de celleux qui ont des troubles psychiques qui les amènent à vivre dans une réalité alternative.

Les personnes qui vivent, ou ont vécu, avec une psychose sont souvent décrit comme étant des « timbrés », « tarés », « causes perdues », et tout plein d’autres qualificatifs dégradants et péjoratifs autour de la maladie mentale. Je vois tout le temps cette attitude, autant dans les conversations des non-professionnel.les que dans celles des professionnel.les.

Et silencieusement, secrètement, je pense à ma grand-mère : une jeune femme seule, effrayée, piégée dans la pauvreté, le sexisme et le racisme, dans un pays étranger, persécutée par des visions horribles et des voix fantômes. Je pense à comment la psychose est souvent héritée d’une génération à l’autre.

Je me demande à quel point sa « folie » a été causée par les circonstances de sa vie ? Par l’oppression et la violence systémique, par le manque de réaction et le rejet des personnes autour d’elle ?

Et je me demande, si un jour j’ai des petits enfants, s’ils vont penser à moi, leur grand-mère folle, de la tendresse au lieu de la honte.

Aimer la folie

Rien n’est simple quand il s’agit de troubles psychiques complexes – il n’y a pas de réponses faciles, de slogans politiques, de webcomics ou de campagnes de sensibilisation qui peuvent englober la réalité complexe et difficile du fait de vivre avec un trouble qui peut être effrayant ou blessant pour les autres.

En tant qu’auteure et que mère, Jade Campbell écrit :

« C’est facile de partager des memes sur Facebook disant que vous êtes solidaires des personnes malades psychiques, mais tant que vous n’y êtes pas vous-même, dans le coeur du problème, vous ne pouvez  pas comprendre ce que c’est. Est-ce que vous accepteriez, si un incident lié à la santé mentale avait lieu en face de vous ? Est-ce que vous auriez de la compassion, ou est-ce que vous jugeriez ? »

Pourtant, la réalité de beaucoup d’entre nous, et de beaucoup de personnes que nous aimons, c’est de vivre dans la peur de leur propre esprit. Nous vivons dans la terreur de l’idée, de la possibilité, que nous soyons des marchandises avariées, incapables d’amener quoi que ce soit d’autre que de la douleur et de la honte à nous-même et à ceux qui nous entourent.

Je suis persuadée que personne « ne devient fou.folle » tout.e seul.e. Que nous vivons dans une société qui est génératrice de folie de par sa capacité à traumatiser, et par son déni et son rejet de sa propre complicité dans la création d’individus dérangés et violents.

Si chacun.e avait accès à la sécurité et aux soins, si notre système social était plus ouvert à la diversité des expériences psychologiques et de leur expression, je doute sincèrement que la maladie mentale telle que nous la connaissons existerait.

C’est ce pour quoi nous devons lutter : une plus grande compréhension des mécanismes qui font que l’oppression sociale et les traumatismes intergénérationnelles nourrissent la violence et générèrent plus de traumatismes. On doit réaliser que chacun.e existe sur un spectre qui va de la santé psychique à la maladie psychique, et que personne ne vit sans être affecté.e d’une manière ou d’une autre par le coté « maladie » du spectre.

Nous devons apprendre à reconnaitre, et à aimer la folie que nous trouvons dans chacun.e d’entre nous, pour être capable de mieux contenir et soigner la folie que nous rencontrons dans le monde.

Kai Cheng

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Kai Cheng Thom est une contributrice pour « Everyday Feminism ». C’est une femme trans d’origine chinoise, auteure, poétesse, et artiste de performances habitant à Montréal. Elle est également détentrice d’un Master en travail social clinique, et elle travaille à créer des soins de santé mentale accessibles et politiquement conscientisés pour la jeunesse marginalisée de sa communauté. Vous pouvez trouver son travail sur son site web et sur « Monster Academy« 

 

Page Facebook du blog

Un petit message très vite fait, pour vous informer que le blog a désormais une page Facebook.

C’est pas histoire de me la péter ou autre, c’est juste pour que ça soit plus simple pour suivre les nouveaux articles, pour les personnes qui n’ont pas de compte WordPress (vu qu’on m’a signalé qu’il y a quelques bugs avec le suivi par notification e-mail, les e-mails allant régulièrement dormir dans la boite à courrier indésirable).

Voilà voilà, c’était juste la petite information du jour, vous pouvez l’oublier aussi sec si elle ne vous sert à rien, ou aimer la page pour avoir les notifications des nouveaux posts du blog, ou la passer à des gens, ou … bah comme vous voulez quoi !

Ca peut aussi être une manière de me contacter (en MP sur la page, ou en commentaire), si vous avez des remarques, des corrections à apporter, des suggestions, des trucs qui vous font réagir, ‘fin… Si vous voulez me contacter, quoi !

Alors le lien, c’est ICI

Et je vous offre une photo de chats, en prime.
Parce que les chats, c’est le bien. Et que ces deux là c’est mes squatteurs de canapé attitrés.

Chats

Décès de Laurence Chirac, ou quand les journalistes feraient mieux de la fermer

J’avais échappé à cette information (ou cette information m’avait échappé, voyez ça comme vous voulez), mais une personne suivant mon blog a attiré mon attention sur le traitement médiatique de la mort de Laurence Chirac, fille de l’ancien président Jacques Chirac.

Laurence Chirac

Pour les personnes qui, comme moi jusqu’à hier, seraient passées à coté de cette information :

La fille ainée de Jacques Chirac est récemment décédée d’un malaise cardiaque, faisant suite à de nombreuses années d’anorexie (elle est décédée à 58 ans de cette maladie avec laquelle elle vivait depuis son adolescence).

Quand on a attiré mon attention sur cette actualité, j’ai googlé « décès fille Chirac ». Et le premier article sur lequel je suis tombée, c’est cet article du journal « Le Monde ».

Qui m’a mis d’assez mauvais poil pour que je décide de fermer la page, et d’attendre quelques heures et une nuit de sommeil pour écrire mon article, histoire de ne pas pondre une pleine page de jurons divers, variés, surement très colorés mais pas très constructifs.

J’ai lu plusieurs autres articles, et ils me laissent tous le même goût amer.

Pour plusieurs raisons :

« La souffrance des proches », elle est réelle, mais breaking news, ils ne sont pas les seuls à souffrir.

Tous les articles, absolument tous, évoquent « le drame du clan Chirac », la souffrance des proches, la difficulté à vivre avec une fille anorexique.
Et c’est à peu près tout.
On ne parle pas du parcours, de la maladie de Laurence Chirac. Mais juste de ses répercussions sur la vie de ses proches.

Dites, M’sieurs Dames les journalistes… J’voudrais pas avoir l’air pénible, mais… Vous êtes au courant que la première personne à souffrir, et d’ailleurs celle qui est morte, dans l’histoire, ça n’est pas Jacques et Bernadette Chirac ?
Loin de moi l’idée de minimiser leur souffrance : ils ont perdu leur fille, et c’est une douleur que je ne souhaite à personne. Cette douleur, je l’ai lue sur le visage des parents de deux des mes meilleurs amies, et ouais non. Très loin de moi l’idée de la minimiser.

Mais vous êtes au courant, quand même, que cette maladie, elle tue des milliers de personnes chaque année ?

Est-ce que la mort d’une personne plus ou moins connue qui en était atteinte, ça ne serait pas au moins l’occasion, tant qu’à tenir à parler de la vie privée des peoples, de sensibiliser sur cette maladie ?

Au lieu de ça, vous enfoncez la porte (déjà très largement ouverte, vous en faites pas) de la « souffrances des proches ».
Sauf que là, tout ce que vous arrivez à faire (en plus de faire vendre vos torchons), c’est à culpabiliser les personnes anorexiques (et les autres personnes souffrants de troubles alimentaires ou autres troubles psychiques) sur « ce qu’ils font vivre à leurs proches ».

Et vous renforcez un cliché bien dégueulasse, celui du malade « qui est un boulet pour son entourage ».

Vous voulez quelques exemples des phrases que vous auriez mieux faire de ne jamais écrire, en la matière ?

Allez, en voilà quelques uns :

 » Laurence Chirac, morte jeudi 14 avril d’un malaise cardiaque, était leur fille aînée, leur drame intime et sans doute leur culpabilité secrète. » (Le Monde) (C’est sûr que se faire résumer à « la culpabilité secrète de ses parents », c’est incroyablement aidant, pour les malades…)

« Laurence… Longtemps, les proches de Chirac ont baissé la voix quand ils prononçaient son nom » (Le Figaro) (S’agirait quand même pas de parler de la maladie, hein. Pire, de la maladie PSYCHIQUE. Oulalala non. Baissons la voix. Tabou. Chut. Silence. Crevez en silence, les malades, faites pas trop de bruit, ça fait moche dans le paysage…)

«  »Il n’y a aucune raison de le nier, cela a été le drame de ma vie. J’ai une fille qui a été intelligente, jolie, et qui, à 15 ans, a été prise d’anorexie mentale », avait raconté l’ancien président de la République dans un livre-entretien avec Pierre Péan publié en 2007. « On a essayé, avec des gens gentils, de l’occuper à un semblant de travail, même non rémunéré… mais il n’y a rien à faire. » Longtemps, Jacques Chirac s’est imposé, selon Franz-Olivier Giesbert, « de venir déjeuner chaque jour avec Laurence, comme les médecins le lui ont recommandé ». (Paris Match) (Alors là, ça a beau être les mots d’un père, j’ai quand même un peu de mal à avaler qu’ils soient ainsi retransmis dans la presse, hein. Qu’une personne en souffrance puisse dire un peu de la merde, je peux le concevoir. Que la presse en fasse un tel écho, juste non. « On a essayé de l’occuper à un semblant de travail, même non rémunéré » ?! Waouw. C’est sur que c’est tellement valorisant comme approche que je ne comprends pas qu’elle n’ait pas instantanément guéri, avec un tel soutien, hein ! Et il s’est « imposé de venir déjeuner avec elle » ? C’était à ce point là une corvée, de manger avec sa fille ?)

« «Dans un monde poli­tique où la moindre faille peut être exploi­tée, il n’était pas ques­tion qu’il en parle.» D’ailleurs, la jour­na­liste raconte dans son livre qu’aucune photo de Laurence n’or­nait jamais le bureau de son père. » (Gala) C’est vraiment la honte d’avoir une fille anorexique, non vraiment. Ouais ? NON. C’est une maladie, bordel. Une maladie comme une autre. Est-ce que ça aurait été la honte d’avoir une fille atteinte d’un cancer, aussi ? Non, hein. Alors arrêtez de dire de la merde, sérieusement ! Je ne sais pas si c’est vraiment pour ça ou pour la protéger des médias qu’elle a été tenue aussi éloignée que possible de la vie politique de son père. Mais le simple fait qu’on puisse évoquer Laurence Chirac comme un éventuel obstacle à la carrière politique de son père, même si ça n’est que l’élucubration d’un journaliste, est proprement à vomir.

Vous voyez en quoi, Messieurs Dames les journalistes, en parlant de « la souffrance des proches », on en arrive très (trop !) vite à donner une image vraiment bien crade des personnes malades ?
Vous voyez en quoi vous enfoncez les personnes qui luttent encore contre cette maladie, avec vos petites phrases toutes pourries ?
Vous imaginez un instant ce que peut ressentir une personne concernée par l’anorexie en lisant cette merde ?
Vous imaginez combien de personnes vont être poussées à fermer leur gueule, à ne pas parler de leurs problèmes, à ne pas chercher d’aide, pour « ne pas être un boulet pour leurs proches », avec des propos pareils ?
Et vous imaginez combien de personnes vont en crever, de ne pas avoir pu chercher d’aide ?

Bon. Ensuite.
Continuons à décortiquer les nombreux cotés foireux de ces articles, vous voulez bien ?

Passons maintenant aux théories fumeuses psychanalytiques reprises par les journaux :

« L’anorexie, assure les médecins, est souvent liée à un rapport particulier au père. » (Le Monde).
(Déjà, je vais faire ma chieuse sur l’orthographe trois secondes, mais c’est « assurent les médecins ». Oui, c’est vil d’attaquer sur l’orthographe, j’ai pas une orthographe parfaite loin s’en faut, m’enfin meuf, t’es payée pour écrire. Déjà que niveau contenu c’est pas folichon, hein…)
Donc, pour en revenir au fond après cette petite digression orthographique.
Le rapport au père, le rapport à la mère, et autre bullshit psychanalytique, vous savez que ça fait partie des trucs qui VRAIMENT ne font pas avancer les choses pour les personnes malades ?

Une amie à moi, ex-anorexique, m’a raconté avoir pété littéralement un plomb devant un médecin qui tenait ce genre de propos à elle et à ses parents.
Parce que déjà qu’elle se rendait bien compte qu’ils étaient morts d’inquiétude pour elle, et qu’elle se sentait coupable de ça… En plus, un médecin leur claquait dans la gueule devant elle qu’ils étaient coupables de sa maladie.
Est-ce que vous pensez que ça l’a aidée à demander de l’aide ? A accepter de l’aide ? A se sentir mieux ?
Devinez quoi ? NON.

Est-ce que vous pensez, sincèrement, que faire culpabiliser les proches va les aider à être plus aidant envers la personne malade ? NON PLUS.

La culpabilité, c’est un boulet complètement à chier, générateur de tellement de souffrances, et en prime ABSOLUMENT INUTILE.
Personne ne guérit par culpabilité.
Et personne n’aide mieux ses proches par culpabilité, non plus.

(Et sérieusement, il y a environ 233453 autres raisons pour avoir des troubles du comportement alimentaires, autre que « le rapport au père » ou « le rapport à la mère », hein. Stop avec ces idées réductrices, fausses, culpabilisantes, et qui font passer à coté de la complexité des troubles du comportement alimentaires.
Ces idées réductrices, courantes dans le grand public mais aussi parmi le corps médical, sont la cause de prises en charge déplorables des personnes atteintes de TCA.
Et ne font qu’ajouter à leur dangerosité, et à leur mortalité.).

Pour conclure…

Je n’ai rien lu dans ces articles qui soit un vrai hommage à Laurence Chirac, à qui elle était. On parle de manière réductrice de ses TCA, on parle de « la souffrance qu’elle a causé à ses proches », mais rien, rien ne lui rend hommage, rien ne la rend « humaine ». C’est juste « la fille de ». Et « une anorexique ».

Je n’ai rien lu non plus dans ces articles qui puisse le moins du monde sensibiliser le grand public aux troubles du comportement alimentaires.

Juste des lieux communs.
Juste des portes ouvertes psychophobes enfoncées.

Du voyeurisme people pur et dur.
Qui fait passer à coté d’une réalité qu’on préfère ignorer : des personnes atteintes de TCA, il en meurt chaque jour. Alors ouais, elles ne s’appellent pas toute Laurence Chirac.
Mais ces personnes meurent de la même manière. Par suicide, d’arrêt cardiaque, et autres conséquences de leur maladie.
Et le voyeurisme médiatique autour de la mort de Laurence Chirac ne doit pas faire oublier ces nombreuses autres victimes des troubles alimentaires.

L’anorexie (et les troubles alimentaires en général), c’est trop grave pour en faire un potin mondain dans la presse people.
C’est une maladie. Trop souvent mortelle.

Les attirances sexuelles sont-elles oppressives ?

Bon.

Un sujet qui fait régulièrement débat entre féministes, et que finalement, j’ai envie de décortiquer un peu ici.

Entendons nous, ce que je vais dire là n’engage que moi, ça n’est pas le reflet d’un quelconque courant féministe, c’est juste des réflexions entre moi et moi-même que je mets par écrit et que je fais partager.
Chacun.e en fait ce qu’iel veut, hein !

Donc :

Affirmer une préférence sexuelle (ou juste AVOIR une préférence sexuelle) qui exclut telle ou telle catégorie opprimée est-il synonyme a « être [quelque chose]-phobe » ?

En clair, pour donner un exemple :
L’hétérosexualité est-elle une marque d’homophobie, par exemple ?
Le fait de n’avoir des relations sexuelles qu’avec des personnes minces est-il une marque de grossophobie ?
Ou, à l’inverse :
Une personne mince qui n’est attirée que par des personnes grosses fétichise-t-elle forcément d’une manière malsaine les personnes grosses (ce qui est aussi une forme de grossophobie) ?

L’argument des personnes défendant ce point de vue est que nos attirances sexuelles font partie des construits sociaux, tout comme tout ce qui régit nos relations sociales / interpersonnelles.
Et que donc, on ne peut pas extraire les attirances sexuelles du champ de tout ce qui est influencé par les constructions oppressives de notre société (racisme, sexisme, homophobie, transphobie, etc etc).

Il me serait bien difficile de réfuter en bloc cet argument, à vrai dire.
Bien sûr que « qui nous trouvons belle/beau » et « qui nous trouvons attirant.e » est influencé par les critères de notre société.
A plus ou moins grande mesure, selon la prise de conscience et de distance que nous avons faite vis-a-vis de ces critères dominants, certes (et aussi selon que nous soyons nous-même plus ou moins proches des critères dominants).

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Mais par contre, je suis toujours mega mal à l’aise quand on en arrive à des débats comme :

« une personne qui ne couche pas avec des personnes grosses est-elle grossophobe ? ».
« une personne qui ne couche pas avec des personnes racisées est-elle raciste ? »
« une personne qui ne couche pas avec des personnes trans est-elle transphobe ? ».

Parce qu’en allant aussi loin que ça dans la réflexion, on en arrive vite à un truc TELLEMENT PAS ORIGINAL dans notre société, à savoir les injonctions autour du sexe.

Il y en a BEAUCOUP (beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup. J’ai dit beaucoup ?).
Il faut aimer le sexe, mais pas trop quand même si on est une femme – ou assignée comme telle. (coincée vs salope, quoi).
Il faut aimer telle ou telle position sinon on manque de piquant (ou on est une vieille bique coincée qui ne vit pas avec son temps).
Il faut … il faut plein de trucs, chacun.e a surement sa propre liste de « il faut » à fournir.

Et toutes ces injonctions, elles foutent un merdier sans nom dans une notion quand même UN TOUT PETIT PEU capitale autour du sexe, j’ai nommé :

LE CONSENTEMENT.

Et bon. Le consentement, c’est pas comme si notre société était vraiment vraiment très très protectrice envers cette notion hein. Mais alors vraiment, vraiment pas, même.
On est nourri.es dès le biberon à la culture du viol en poudre, diluée dans un jus d’injonctions, aromatisée avec un fort arôme de culture patriarcale.

Le devoir conjugal à satisfaire, l’injonction à une sexualité reproductrice efficace, tout ça tout ça tout ça… C’est déjà autant d’obstacles à une sexualité épanouissante, consentie, sans violence.

Chaque injonction autour de la sexualité en rajoute une petite couche à la difficulté d’avoir un consentement réel, complet, sans pression extérieure ni auto-pression.

Donc je suis quand même fichtrement mal à l’aise quand on va sur le terrain de la sexualité, des préférence et des attirances sexuelles, pour donner le message à des gens qu’iels sont oppressif.ves.

Parce que même si les critères de beauté communément admis (qui sont, comme il se doit, blancs, minces, valides, hétéro et cis, hein !) ont forcément un impact dans la représentation de la personne qu’on va avoir envie d’avoir dans notre lit…
La sexualité reste un sujet éminemment intime.

Alors oui, « le privé est politique ».

Mais quand il s’agit de risquer de renforcer la culture du viol en rajoutant tout pleins de leviers de pressions implicites ou explicites (« Quoi ? Tu ne veux pas coucher avec moi ? Tu ne serais pas un peu grossophobe ? »), en rajoutant tout plein d’auto-pressions aussi (« Merde, je n’ai pas envie de lui donner l’impression de le.a rejeter à cause de son poids, mais quand même, je ne suis pas attiré.e par ellui, merde qu’est ce que je dois faire, merde merde merde »)…

J’ai quand même envie de dire qu’on se balade sur une pente allègrement savonneuse.

Et que je n’ai honnêtement pas envie – en l’état actuel de la société avec l’omniprésence de la culture du viol – de voir empruntée, pour ma part. Trop dangereux. Même « pour la cause », pour la déconstruction des préjugés, pour tout ca. TROP-DANGEREUX.

Il y a encore trop à faire dans la démolition caillou par caillou de la culture du viol pour pouvoir – à mon sens – se permettre de rajouter des pressions et des injonctions autour de la sexualité.

Par contre, qu’on s’entende bien, hein.

C’est pas une porte ouverte à dire tout plein de trucs cradement oppressifs à tour de bras et la bouche en coeur sous prétexte de justifier tes préférences sexuelles hein.
Ouais, toi là bas dans le fond, je t’ai vu, en train de préparer ton argumentation toute pleine de préjugés pour expliquer avec qui tu couches et avec qui tu ne couches pas.
Oublie l’idée. Tout de suite. Vraiment.

Tu couches avec qui tu veux hein. C’est pas le problème. (Ouais enfin. Tant que l’autre personne en a envie aussi. Cela va sans dire, mais dans notre société, j’ai quand même envie de le préciser, figurez vous !).
Mais, si tu as le droit de dire que tu te sens plus à l’aise de coucher avec [x type de personne], ça ne te donne absolument pas le droit de donner des raisons faussement « objectives » pour expliquer que les autres types de personnes sont repoussantes, hein.
Non.
Personne n’est « repoussant ».
C’est juste toi qui n’est pas attiré.e.
C’est pas pareil.
Et la différence est VRAIMENT VACHEMENT IMPORTANTE.

Un serrage de main qui fait couler beaucoup d’encre et saliver les racistes

Habituellement, je m’abstiens de faire un article spécifiquement au sujet d’une oppression / discrimination où je ne suis carrément pas concernée. Histoire de pas dire milles conneries par ligne, de préférence.
Je vais faire une petite exception vu que ça concerne l’actualité Suisse, et que je vois que le bruit fait par cette sombre histoire de non-serrage de main ne retombe pas.

serrer la main

Pour les non-suisses (quoi qu’il me semble que cette histoire ait dépassé les frontières suisses, ce qui me fait d’ailleurs doucement ricaner parce que franchement, qu’un truc aussi « hautement captivant » qu’une histoire de main serrée ou pas serrée par des ados fasse parler la presse internationale me laisse carrément perplexe), petit rappel des faits pour que vous sachez de quoi je parle.

En résumé : dans deux écoles du Canton de Bâle, des élèves de confession musulmane ont été dispensés de l’obligation de serrer la pince à leurs enseignantes de genre féminin.
(Vous avez vu à quel point l’information est hautement capitale, vraiment ?)
Forcément, sur fond d’islamophobie et de racisme latents dans notre société, ça fait un tollé géant.
Voilà un article paru dans le journal « Le Matin » (c’est pas du journalisme de haut vol, je vous préviens… Mais c’est un choix délibéré parce qu’il est d’autant plus représentatif du coup de « ce qui se dit dans les chaumières »), qui donne un petit aperçu du fameux tollé.

Autour de moi, dans mes contacts, dans mes potes y compris ceux qui sont franchement peu intéressé habituellement pas le féminisme ou le racisme ou toute autre question de justice sociale, tout le monde y va de son petit avis.

Et je vais faire comme tout le monde : y aller de mon petit avis, en commençant par vous raconter une petite anecdote.

Sur toute ma scolarité, en Suisse donc, j’ai eu un seul prof au secondaire qui exigeait qu’on lui serre la main.
C’était un gros emmerdeur réac’ à souhait, qui avait des exigences de discipline en classe qui frisaient le militaire (pour la petite histoire, il était gradé dans l’armée, et … ça se remarquait, hein. Manifestement, il semblait confondre ses cours d’allemand et l’armée).
Qui passait le 3/4 de son temps à nous hurler dessus.
Et qui a largement contribué à me dégouter de l’allemand.

Donc, il exigeait qu’on lui serre la main en sortant de classe.

En bonne emmerdeuse que j’étais déjà, je me suis pris quelques heures de colle pour avoir « malencontreusement » glissé une punaise entre mes doigts au moment de lui serrer la main, tellement cette exigence me semblait absurde et tellement j’ai toujours refusé de me plier à des règles dont je ne vois pas le sens.

Tout ça pour dire que les arguments tournant autour de « l’exigence universelle de respect impliquée par le serrage de main » sont du parfait bullshit, sachant que la grande majorité des profs n’ont pas cette exigence (et que pourtant, je ne pense pas que tous ces autres profs n’en ait rien à foutre d’être respectés par leurs élèves).

Bon. Revenons-en à nos moutons de main serrée ou pas serrée dans le canton de Bâle.

Donc :

Moi aussi je trouve la décision des autorités scolaires à chier.

Mais pas dans le même sens que les gros réac’.

Je trouve effectivement qu’ils ont eu tort de dispenser ces élèves-là du serrage de main obligatoire.
Mais pas dans le sens « ils devraient les forcer à serrer la main », mais dans le sens « Ils devraient arrêter de forcer les élèves à serrer la main de leur prof ».

Ça résoudrait le problème de contradiction entre les convictions religieuses des élèves et les règles scolaires.
Et ça résoudrait le problème aussi pour toutes les autres personnes qui sont mal à l’aise avec le fait de serrer la main ou d’avoir un contact physique.

Parce que oui, des raisons de ne pas être à l’aise avec le fait de serrer une main, il y en a tout plein. Et je n’en trouve pas une qui soit plus ou moins valable que l’autre.

Pour pas mal de personnes avec des troubles psy ou neuroatypiques, le contact physique, c’est pas anodin, et ça n’est pas quelque chose de facile.
Et je trouve un peu aberrant que l’école, au nom d’exigences autoritaristes complètement dénuées de sens, on les oblige à serrer la patte à leur prof.

Que ça puisse avoir du sens d’apprendre les règles de socialisation (serrer la main, ce genre de trucs) aux enfants à l’école enfantine (la maternelle, en France), ma foi… Je peux encore voir un certain sens (quoi que le faire de manière obligatoire n’en mets pas moins des élèves en difficulté, s’ils ont du mal à gérer le contact physique…).
Mais à 14-15-16 ans, âge des élèves concernés par cette polémique, les règles de socialisation, on les connait. Donc il n’y a définitivement aucun sens à faire du serrage de main à la sortie de la classe une obligation.

A plus forte raison :

Est-ce que vraiment le respect se signale par une main serrée ou pas ?
Est-ce que dire « bonjour » à quelqu’un à 1m de distance, ou lui serrer la main, ou lui claquer la bise, c’est forcément signe d’une gradation dans le respect qu’on porte à la personne ?
Quand j’arrive au travail, je dis « bonjour » à mes collègues. Je ne vais pas leur serrer la main un par un. Doit-on en comprendre que je ne les respecte pas ?
Le respect c’est une attitude générale, c’est pas une main serrée…

On est en train de faire une polémique, largement récupérée et instrumentalisée par des racistes de tout poil (Coucou l’UDC, oui, c’est à vous que je parle, entre autre !), à partir d’un problème qui serait un non-problème si les autorités scolaires avaient un demi-doigt de bon sens.

Et de respect envers leurs élèves. Ouais.
Parce que le respect ça va dans les deux sens.

[Traduction] Qui sont les « bons schizophrènes » ?

[Cet article est traduit de l’article Who gets to be the « good schizophrenic » ? , initialement paru en anglais sur BuzzFeed.
Comme à chaque traduction, je rappelle que je ne suis ni traductrice professionnelle, ni bilingue, et que malgré un niveau correct d’anglais, je peux avoir fait des erreurs de traduction. Si vous en repérez, n’hésitez pas à me le signaler en commentaire de l’article.

De plus, pour respecter l’écriture initiale de l’auteure, et aussi étant donné la complexité du texte, je n’ai pas utilisé l’écriture inclusive dans cet article. J’espère que tout le monde pourra tout de même s’y intéresser, malgré cette entorse à mes habitudes.]

schizophrénie
Quand vous êtes désigné comme fou, avoir « le bon » type de diagnostic peut faire la différence entre une vie productive et une condamnation à perpétuité.

Chaque matin, je prends une petite pastille rose ; chaque soir je prends un et demi du même médicament rose. C’est, comme me l’explique mon psychiatre, ce qui m’a permis de fonctionner ces deux dernières années sans hallucinations ni délires. Mais quasi pendant toute l’année 2013, j’ai été une épave psychotique. J’appelle cette année « Mon année de mort ». Mon grand-père, que j’aimais, est mort, et j’étais trop cinglée pour pouvoir aller à son enterrement. En prime, mon année s’est terminée avec un sérieux délire psychotique appelé « Syndrome de Cotard », qui m’avait amené à penser que j’étais morte. J’ai passé quasi toute mon année à combattre des idées persécutantes : il y avait des araignées dans mon cerveau, mon mari avait empoisonné mon thé, il y avait des caméras m’espionnant dans chaque recoin de mon appartement, etc.

2013 a aussi été l’année où j’ai dû renoncer à mon dernier signe extérieur de santé mentale, autrement dit mon travail à plein temps dans une start-up en pleine croissance. Pendant des années, arriver à conserver un emploi avait été ce qui, comme je le pensais sincèrement et peut-être un peu désespérément, me différenciait des autres malades. Mais j’ai dû quitter mon poste parce que mon emploi, malgré divers arrangements, exacerbait ma maladie.

En 2006, étudiante en licence à Stanford, j’ai commencé à présenter les symptômes d’un trouble schizo-affectif de type bipolaire, qui peut être décrit comme le mariage d’une schizophrénie et d’un trouble bipolaire. Le trouble schizo-affectif fait partie de la liste « Schizophrénie et autres troubles psychotiques » dans le DSM-5, et n’est pas une des 5 sous-catégories de la schizophrénie elle-même. Quoi qu’ils en soit, les deux troubles partagent le point 295 du DSM où sont décrits trois troubles – la schizophrénie, le trouble schizophréniforme et le trouble schizo-affectif – et sont du coup considérés comme apparentés.

Pourtant, mon diagnostic officiel – celui enregistré dans mon dossier médical – n’est devenu « trouble schizo-affectif » qu’au moment où je suis tombée tellement malade qu’on m’a prescrit un traitement par électroconvulsivothérapie (NdT : plus connue sous le nom d’électro-chocs). Mon trouble avait été suspecté, mais jamais officiellement diagnostiqué, en partie parce que le trouble schizo-affectif a un pronostic plus sombre et est plus stigmatisé que la bipolarité, et que même les psychiatres peuvent devenir hésitants face à ce qu’impliquent certains codes du DSM. Et aussi, la psychiatrie fonctionne en soignant les symptômes et pas la cause, ce qui fait que ma médication n’a pas été modifiée au moment de mon changement de diagnostic.

Dans « Blue Nights », Joan Didion fait remarquer que « Je n’ai jamais vu de situation où un diagnostic a amené à un traitement, ni à quoi que ce soit d’autre qu’à une fragilité confirmée, et donc renforcée ». Vivre à l’ombre d’un nouveau « code » n’a eu aucune fonction curative, mais ça a impliqué que « bien fonctionner » serait difficile, et ça m’avertissait du fait que dépasser ce diagnostic serait une manœuvre délicate. Un thérapeute m’avait déjà dit, quand j’avais un peu plus de vingt ans, que j’étais sa seule patiente qui était capable d’avoir un travail à plein temps. Avoir un travail, selon les chercheurs en psychiatrie, est considéré comme la caractéristique principale qui indique qu’on « fonctionne bien ».

Pendant ma première hospitalisation psychiatrique, j’ai rencontré deux patientes qui étaient traitées comme étant très visiblement différentes de nous autres – je les appellerai Pauline et Laura.
Pauline était une personne d’âge moyen, et bavarde.
Laura était la seule autre femme asiatique de l’hôpital, et ne parlait à personne.
Entre patients, nous parlions rarement de nos diagnostics – à cette époque, j’étais diagnostiquée comme étant bipolaire avec des traits de trouble de la personnalité borderline – mais tout le monde savait que Pauline et Laura étaient toutes les deux schizophrènes.

Pauline était amicale, et passait beaucoup de temps à se déplacer dans sa chaise roulante en monologuant de manière décousue à propos des « expérience de contrôle mental des psychiatres ». Ses histoires étaient assez paranoïaques pour qu’on se rende compte qu’elle était psychotique, mais étaient assez réalistes pour être perturbantes pour une personne fragilisée. Dans les périodes les moins cohérentes, ses histoires étaient dissoutes en un non-sens verbal appelé « salade de mots », dans laquelle chaque mot n’était que vaguement relié au précédent, et où l’entier de son discours ne voulait absolument rien dire. Ces problèmes de communication l’avaient amenée à être exclue sur ordre médical des sessions de thérapie de groupe, pourtant habituellement obligatoires. Je traitais Pauline comme si elle était contagieuse. Après chaque interaction avec elle, j’étais contaminée par l’angoisse d’être comme elle, même si à cette époque je n’avais pas encore connu d’épisode psychotique. Peut-être que je sentais la psychose en moi, bien qu’elle soit encore cachée à cette époque.

Et il avait Laura, avec qui je n’ai jamais interagi, parce que j’avais peur d’elle, et de la folie que son existence impliquait. Mais je me rappelle d’elle en train de hurler, alors qu’on la sortait de force des WC, interrompant sa tentative pour se faire vomir ses médicaments. « C’est du poison », criait-elle aux deux infirmières qui la tiraient par les bras. « Ils essaient de m’empoisonner ! Ils essaient de me tuer ! »

Une hiérarchie naturelle s’était mise en place dans l’hôpital, basée à la fois sur notre propre sentiment de « bien fonctionner », et sur l’évaluation que les médecins, les infirmières et les travailleurs sociaux qui nous traitaient avaient de notre « bon fonctionnement ».
Les dépressifs, qui constituaient la majorité de la population de l’hôpital, étaient au sommet de l’échelle, qu’ils soient ou non traités par électroconvulsivothérapie. Comme nous étions à l’Institut Psychiatrique de Yale (maintenant connu sous le nom de Hôpital Psychiatrique de Yale), beaucoup de ceux qui étaient hospitalisés pour dépression étaient des étudiants de Yale, et donc considérés comme des personnes brillantes qui étaient simplement en souffrance face à une situation difficile.
Au milieu de l’échelle, il y avait les personnes souffrant d’anorexie ou de trouble bipolaire – deux troubles qui pourtant ne sont pas directement liés, mais qui étaient ainsi regroupés par l’absence d’autres diagnostics au sein de l’hôpital. J’étais considérée comme faisant partie de ce groupe, et peut-être même qu’on me classait avec les dépressifs à cause de mon statut d’étudiante à Yale.
Les personnes atteintes de schizophrénie, enfin, étaient tout en bas de l’échelle, exclues des thérapies de groupe, perçue comme folles, comme démentes, et comme incapables de s’adapter à la normalité.

J’ai vu cette hiérarchie psychiatrique ailleurs – cette hiérarchie entre ceux qui pouvaient être considérés comme « fonctionnant bien » et « doués », et ceux qui peuvent être perçus comme n’étant capables ni de l’un, ni de l’autre. Un mème très partagé a circulé sur Facebook il y a quelques mois. Il listait les soi-disant avantages de diverses maladies psychiques. La dépression développerait la sensibilité et l’empathie ; le THADA rendrait les gens capables de traiter plein d’informations à la fois ; les troubles anxieux rendraient utilement prudent.
Je savais avant de lire la liste que la schizophrénie n’y apparaîtrait pas.
Comme au sein de chaque groupe marginalisé, il y a ceux qui sont considérés comme « plus adaptés socialement » que les autres.
Etre vu comme un échec par la culture dominante peut amener à vouloir de distancer des personnes du même groupe marginalisé qui sont considérées comme encore moins capable de succès.

Le livre « Furisously Happy  : A Funny Book About Horrible Things » (« Furieusement Heureuse : Un Livre drôle au sujet de choses horribles »), de Jenny Lawson, m’a été souvent recommandé comme étant un livre hilarant qui faisait du bien aux personnes vivant avec des troubles psychiques. Lawson, la bloggeuse très appréciée qui tient le blog The Bloggess, a reçu plusieurs diagnostics, notamment la dépression et le trouble de la personnalité évitante. Elle explique dès le début de Furiously Happy qu’elle est sous anti-psychotiques – non pas qu’elle soit psychotique, mais parce que cela diminue la durée de ses épisodes dépressifs. « ll n’y a rien de mieux que d’apprendre qu’il y a un médicament qui peut soigner un terrible problème » écrit-elle, « sauf si tu apprends aussi que ce médicament permet de traiter la schizophrénie (ou éventuellement qu’il tue des des fées à chaque fois que tu le prends) ».
Cette phrase, pour moi, a tracé une ligne sur le sable : ma maladie psychique, et les médicaments que je devais prendre pour la soigner, faisaient de moi quelqu’un d’aussi peu fréquentable qu’une tueuse de fées. Mais si j’avais pris de l’Haldol en traitement d’une dépression, je serais restée du bon coté de la folie.

Lawson, j’ai envie de le penser, essaie d’être honnête mais n’a pas de mauvaise intention. Personne n’a envie d’être folle, et encore moins d’être vraiment folle – comme une psychotique. Selon les stéréotypes, les schizophrènes sont vus comme faisant partie des membres les plus dysfonctionnels de la société : nous sommes sans-abris, incurables, incompréhensibles, et nous sommes des assassins. Nous sommes des tueurs de masse comme James Holmes, Jiverly Wong, Maj. Nidal Hasan et Jared Loughner.
Les gens comme Elyn Saks, lauréate du Prix MacArthur, enseignante en droit à l’Université de Californie du Sud, avocate et auteure d’un mémoire acclamé par les critiques sur la vie en étant schizophrène font moins les gros titres.
Dans un article écrit en 2008, Saks raconte : « Quand ma demande de réadmission à la faculté de droit de Yale a été examinée, le psychiatre a suggéré que je devrais commencer par travailler pendant un an dans un travail sans responsabilité, pourquoi pas dans un fast-food, pour me permettre de consolider mes progrès pour mieux m’en sortir quand je serais réadmise à Yale ». Le critère pour qu’on lui donne le droit de retourner dans une faculté de droit de haut niveau comme celle de Yale semblait donc être d’être capable d’avoir un travail, pour prouver qu’elle était de retour parmi les gens productifs – tant la schizophrénie est perçue comme annulant les capacités qui avaient permis dans un premier temps à une personne comme Saks d’entrer en faculté de droit.

Mais Saks est exceptionnelle. Mon désir de me comparer à la lauréate d’un prix d’excellence en dit long sur mon ambition. Ca en dit long aussi sur mon désir de m’éloigner de la réalité de ceux qui ne vivent pas bien avec leur schizophrénie, et qui seraient en difficulté dans tous les cas pour travailler.
Pendant que j’étais en conflit avec ma compagnie d’assurance à propos de ma rente d’invalidité, j’ai péniblement essayé de leur expliquer que je suis incapable de travailler chez McDonald’s, mais que je suis capable de mener une affaire basée sur du travail en freelance. Mettez-moi dans un environnement stressant sans possibilité de contrôler mon environnement ou mon planning, et je commencerai rapidement à décompenser et à avoir des hallucinations redoutables. Par contre, pouvoir travailler à mon compte, même si ça représente tout de même un défi, permet plus de liberté quant à mon planning et exerce moins de pression sur mon esprit. Comme Saks, je « fonctionne bien », mais je suis une personne qui fonctionne bien avec une maladie imprévisible et invalidante. Je pense à cela en contemplant Susan, une femme décrite dans le livre d’Andrew Solomon « Far from the tree », qui est décrite comme répondant bien à la médication anti-psychotique : « Par moment, il y a des petites choses qui se déclenchent ici et là, mais ça dure seulement un jour ou deux. Certaines personnes, quand elles sont stressées, leur dos les lâche. Moi quand je suis stressée, c’est mon esprit qui me lâche. Mais après, il revient ».
Je n’ai surement pas le « bon genre » de folie. Parfois, mon esprit me lâche, et je me retrouve effrayée à l’idée qu’on empoisonne mon thé ou qu’il y ait des cadavres sur ma place de parking. Mais après il revient.

Vu que je suis capable d’accomplir des choses, je ne me sens pas à l’aise avec des personnes visiblement psychotiques, ou avec des personnes schizophrènes dont on s’attend à ce qu’elles ne dépassent pas un certain niveau sur la Sacrosainte Evaluation de leur Fonctionnement. Ma tendance à éviter les Pauline et les Laura perdure, et à vrai dire elle s’est même renforcée quand mon diagnostic a été modifié et est devenu plus proche du leur.
Je suis mal à l’aise, parce que je n’ai pas envie d’être associée au gars qui hurle dans le bus, ou à la femme qui raconte des trucs décousus dans un hôpital psychiatrique.
Je suis mal à l’aise parce que je sais que ces personnes, sur plein d’aspects, sont proches de moi d’une manière que les personnes qui n’ont jamais vécu la psychose ne peuvent pas comprendre, et parce qu’en les fuyant, c’est une grand part de moi-même que je fuis.
Dans mon esprit, il y a une ligne entre moi et les personnes comme Pauline ou Laura ; mais pour les autres cette ligne est mince, voire tellement négligeable qu’il n’y a pas de ligne du tout.

La grossophobie ne touche pas que les personnes obèses

« Non mais tu es pas réellement gros.se, tu ne peux pas lutter contre la grossophobie sans prendre la place des personnes concernées ». (version « militant.e vener »)
« Non mais qu’est ce que tu nous fais chier avec ta lutte contre la grossophobie, t’es même pas gros.se » (version « quidam lambda »).

JE-NE-SUIS-PAS-D’ACCORD. Avec aucune de ces deux phrases.
Genre du tout.

Et c’est des trucs que j’ai souvent entendu autour de moi.
Bon. Pas directement adressés à moi (sans quoi j’aurais ri relativement fort, et envoyé la personne prendre un rendez-vous en urgence chez un bon opticien, parce que… Parce que 130kg, quoi. Ca devient assez difficilement argumentable que « je ne suis pas grosse ». Je le suis. Mais pas de panique, c’est pas une insulte, et je ne suis pas en train de me rabaisser moi-même. Je dis que je suis grosse exactement de la même manière que je dis que j’ai les yeux bleus : c’est une constatation. Ca fait un bail que j’ai arrêté de dévaloriser mon corps sur la base de mon poids).

Mais bon. Bref.
Il y a un questionnement récurant autour de la légitimité des gens « pas gros.se » à lutter contre la grossophobie. Et même de la légitimité des « juste un peu gros.ses mais pas obèses ».

Alors entendons nous :

Je suis bien d’accord qu’il y a des enjeux de la lutte contre la grossophobie qui sont pas mal étrangers aux personnes « pas grosses » ou « juste un peu grosses mais pas obèses ».
Non, ces personnes ne vont pas se retrouver à payer deux sièges dans un avion.
Non, ces personnes ne vont pas se retrouver à ne pas pouvoir passer un scanner parce que l’appareil est trop petit pour elles.
Non, ces personnes ne vont pas se faire malmener par leur médecin qui va les soigner en partant du présupposé que tous leurs problèmes de santé viennent de leur poids.
Non, ces personnes ne vont pas devoir payer nettement plus cher leurs fringues en les achetant dans des magasins spécialisés grande taille.

Sur ces enjeux là, et quelques autres encore, ouais, effectivement, les personnes « moins grosses » n’ont pas à occuper le centre de la discussion.

On est bien d’accord.

Maintenant, pour tout ce qui est de l’aspect « lutte contre le body shaming grossophobe », il s’agit quand même d’avoir un peu plus de nuance.

Pour plusieurs raisons, que je vais détailler de ce pas :

C’est très vite fait de basher les personnes atteintes de dysmorphophobie :

Je l’évoquais dans un autre article, mais c’est une chose sur laquelle je trouve important d’insister.
La dysmorphophobie, c’est – en gros – le fait d’avoir une perception biaisée, faussée, de son propre corps.
C’est notamment fréquent chez les personnes atteintes de troubles du comportement alimentaire, qui se perçoivent fréquemment comme nettement plus grosses qu’elles ne le sont objectivement.

Et non. Il ne s’agit pas d’une manière détournée d’avoir des compliments (« Mais non, t’es pas grosse, tu es très belle »), comme on l’entend souvent chez « le quidam lambda »)
Et non, transposé au contexte militant, il ne s’agit pas non plus d’une manière d’éviter de prendre conscience et d’assumer ses privilèges de mince.

Etre atteint.e de dysmorphophobie n’est pas fun.
Vraiment.
Etre atteint.e de dysmorphophobie, c’est ne pas pouvoir croiser son reflet dans le miroir sans crise d’angoisse, pour beaucoup de personnes.
Si la crise d’angoisse quotidienne devant le miroir est un privilège, franchement, j’en veux pas, de ce privilège.

dysmorphophobie

Dans sa perception, une personne atteinte de dysmorphophobie EST grosse. Pour de vrai. Le poids objectif ne change rien à cette perception.
Et par conséquent, toute la grossophobie qu’on reçoit en tant que message quasi unique dans la société (dans la pub, dans les médias, dans l’humour foireux), elle atteint RÉELLEMENT ces personnes, avec tout autant de cruauté que les personnes objectivement grosses. (et elle ne fait que renforcer leur trouble psy, d’ailleurs, parce que vu qu’elles se perçoivent comme grosse et que la société dit que « être gros c’est mal », ça ne fait que renforcer l’obsession de perdre du poids. Tu le vois, le gros cercle vicieux bien crade ?)

Et, pour parler en terme de militantisme : basher ou exclure les personnes atteintes de dysmorphophobie de la lutte contre la grossophobie, c’est psychophobe.

La société donne un message très biaisé aux personnes, spécialement assignées femmes, sur « ce que c’est d’être gros.se »

Je rappelle que le monde de la mode présente la plupart de ses vêtements féminins sur des modèles portant une taille 34 environ. Les mannequins portant du 40-42 sont présentés comme des mannequins « grande taille ». (manière polie de dire « mannequins gros.ses ») On nous martèle donc que si on porte du 40-42, on est grosse.
On serait donc de bien mauvaise foi de reprocher à une personne portant du 40 de se percevoir comme grosse. Parce que c’est ce que la société lui claque dans la gueule. Partout. Tout le temps.

Et à partir du moment où la société te dit en permanence que tu es grosse, OUI, tu es atteinte par les saloperies sur les gros.ses. Oui. Là encore, le poids objectif, les normes médicales et que sais-je encore n’ont que peu d’impact dans le ressenti objectif des personnes qui vivent ce message là au quotidien.

Pour en lire plus sur ce sujet des mannequins « grande taille » qui ont en fait un poids carrément dans la moyenne, je vous invite à lire cet article, sur le site de « Ma grande Taille »

Dire « tu es trop mince pour lutter contre la grossophobie », c’est donner une validité au discours social qui indique qu’il y a des gens « trop gros » et des gens « dans la norme ».

Alors que la norme concernant le poids, c’est une construction sociale, qui n’a pas d’objectivité médicale.

On combat le diktat de l’IMC (indice de masse corporelle), qui est de plus en plus remis en question en tant qu’unité objective de mesure et d’évaluation de la santé de quelqu’un.

Et d’un autre côté, on renvoie des personnes au fait qu’elles n’ont pas un IMC suffisant pour se sentir atteintes par la grossophobie ?

Euh. Faille logique détectée. N’est ce pas ?

(On m’a signalé que cette partie de mon article était carrément nébuleuse.
Et à la relecture, effectivement, la faille logique me parait très claire… Mais la faille dans la clarté de mes explications aussi, à vrai dire. Donc je vais essayer d’ajouter / préciser un peu, histoire que ça soit plus clair.)

Donc.

La société – s’appuyant sur le monde médical – classe les gens selon leur rapport taille/poids.
Si, déjà sur le plan purement médical, cette évaluation en fonction du rapport taille/poids commence à être sérieusement remise en question par certains médecins, parce que le poids n’évalue pas (que) la masse graisseuse, mais que plein d’autres choses rentrent en ligne de compte (la masse musculaire, la densité osseuse,…), et que l’IMC seul ne donne pas d’indice si fiable que ça sur la santé d’une personne…
Dans le grand public, cette évaluation des gens en fonction de leur corpulence, on l’a vu, elle va souvent dans le fait d’attribuer une valeur (esthétique, morale, voire professionnelle) aux personnes en fonction de leur corpulence et de leur poids).

Et c’est un des grands axes de lutte contre la grossophobie, le fait de mettre un terme à cette catégorisation des personnes en fonction de leur poids. C’est une priorité.

Or il y a un problème logique dans le fait de dire, d’un coté : « Non, la classification des personnes en fonction de leur poids n’a aucun sens ».
Et de dire de l’autre : « Mais toi tu es trop mince pour savoir de quoi tu parles à propos de la grossophobie ».
C’est détruire d’une main une classification… et la reconstruire de l’autre.

Qui plus est, la notion de « trop gros.se » est subjective, mais notre société s’accorde quasi unanimement à dire que « trop gros.se c’est mal ».
Ce qui amène des personnes OBJECTIVEMENT pas trop grosses à ramasser des messages super violents en terme de grossophobie en pleine tronche (dans la presse et la mode comme dit plus haut, mais aussi par leurs proches).
Donc déterminer un poids objectif à partir duquel on est réellement victime de la grossophobie devient vite… Assez peu réaliste. Et aussi carrément pas souhaitable, parce que ça revient à légitimer le « à partir de tel poids / de tel IMC, on est réellement trop gros.se ».

En conclusion, j’ai envie de dire :

Oui, lutter contre la grossophobie, c’est lutter contre les discriminations, maltraitances médicales et autres vacheries qui touchent les personnes obèses.
Mais c’est AUSSI lutter contre l’injonction permanente à éliminer le moindre bourrelet, la moindre trace de graisse, la moindre cellulite, à être mince, à être « comme les mannequins ».
Ces deux aspects coexistent. Oublier ou minimiser l’un ou l’autre, c’est oublier une partie de la lutte contre la grossophobie.
Et oublier de défendre les personnes qui sont touchées par cette grossophobie rampante, plus « discrète », plus sournoise que les discriminations à proprement parler… C’est laisser sur le bord du chemin une proportion pas négligeable des personnes qui font les frais de la grossophobie. Et dans certains cas, c’est également être psychophobe.