De l’idole au vrai salaud, une réflexion utile ?

Il est possible que je choque avec cet article.

Avant de développer précisément ce que mon article EST, je vais préciser ce qu’il N’EST PAS, histoire d’éviter de blesser inutilement.

Donc mon but N’EST PAS de défendre les diverses stars qui se sont retrouvée à la une de l’actualité pour des faits de violence conjugales, d’abus sexuels et autres joyeusetés. Leurs actes DOIVENT être condamnés, c’est une certitude.
Mon but N’EST PAS non plus de dénigrer les personnes qui ont été légitimement choquées par l’annonce qu’un Cantat avait battu à mort sa compagne, qu’un Pistorius avait tué par balles sa copine, ou qu’un Polanski avait sexuellement abusé d’une personne mineure (entre autres exemples). C’est choquant, et c’est légitime d’être choqué.e de l’apprendre.
Mon but n’est pas d’inciter à continuer à admirer l’oeuvre (artistique, sportive) de ces personnes en faisant abstraction de leurs actes. Là dessus, chacun.e fait selon sa conscience, selon son ressenti (par contre, je ne pense pas non plus que continuer d’écouter Noir Désir soit FORCEMENT une manière de légitimer l’acte de Cantat, par exemple, comme on l’entend parfois. Je pense qu’on PEUT – pas qu’on doit, mais qu’on PEUT – séparer l’œuvre et l’artiste, admirer l’œuvre et condamner les actes de l’artiste tout à la fois !).

Voilà.

Maintenant que j’ai expliqué ce que cet article N’EST PAS, je vais pouvoir en venir au but.

A chaque fois qu’une célébrité se retrouve sur le devant de la scène non pas pour son oeuvre, mais pour ses actes de violence, le débat féministe s’empare à pleine main de l’affaire.

star-violentes

Le procès de la personne est fait, refait, analysé.
ll devient le salaud ultime, la personnification de tout ce que la société a de pourri, une incarnation du patriarcat.
Toute forme de nuance est impossible, il a tué / battu « parce que c’est un mec dans un système patriarcal ». Aucun autre facteur ne peut être évoqué.

Tout le monde s’improvise expert en droit, en psychiatrie légale, pour contester toute implication d’une éventuelle maladie psy, pour comparer les peines prononcées, pour (forcément) trouver la peine du coupable trop légère.

Le débat vire systématiquement à la foire d’empoigne, entre les « fans » qui défendent leur idole, et les féministes. Les un.es lui trouvant plein d’excuses irrationnelles, les autres s’appliquant à démonter ces excuses.

Et moi, je me demande en fait : qu’est ce que ça apporte ?

Au delà du fait de gérer émotionnellement le fait qu’on est légitimement choqué.e d’apprendre qu’un artiste ou un sportif qu’on admirait s’est avéré avoir maltraité sa compagne, je veux dire.

Est-ce que ca fait véritablement avancer une réflexion plus globale sur la violence conjugale, sur notre société qui rend implicitement tolérable de fracasser la tronche de sa compagne ?

Est-ce que décortiquer un cas individuel est utile à la réflexion de société ?

Parce que décortiquer un cas individuel, ça implique deux choses :

– Si on veut être complètement honnête humainement et intellectuellement, ça implique de prendre en compte AUSSI les facteurs individuels. Est-ce qu’il n’y a QUE les facteurs systémiques qui rentre en compte dans la violence : je ne crois pas. EVIDEMMENT qu’ils entrent en compte, qu’ils y sont pour beaucoup, qu’ils sont centraux. EVIDEMMENT qu’ils doivent faire partie de l’analyse. Mais eux seuls ne suffisent pas à TOUT expliquer.
Et si on prend en compte ces facteurs individuels, on s’éloigne d’une réflexion globale, systémique.
– Si on choisit de complètement ignorer les facteurs individuels, on a une analyse tronquée de la situation. Objectivement tronquée. Donc qui prête le flanc à beaucoup de critiques (souvent pleines de mauvaise foi de la part de fans indécrottables et de masculinistes montant au créneau pour défendre le mâle ainsi pourfendu par les « méchantes féminazies »). Mais étant donné que ces critiques ont un fond de vérité tout de même (si on ne prend en compte qu’une partie des facteurs d’une situation, on ne peut pas l’analyser de manière entièrement correcte, c’est une réalité), d’une part il devient très facile de démonter le positionnement des féministes sur la question. Et d’autre part, est-ce qu’on peut revendiquer une meilleure justice, une société plus juste… tout en refusant au coupable, fut-ce d’actes atroces, le fait que tous les facteurs l’ayant amenés à son acte soient pris en compte ?

D’autre part, au delà de la question du fait d’avoir une analyse correcte de la situation… Il y a aussi l’utilité objective du débat, et l’énergie qu’il monopolise :

Pendant qu’on est en train de se prendre la gueule à débattre de la question avec les fans de la star et avec les masculinistes vener, est-ce qu’on agit ?
Pendant que notre attention est focalisée sur le buzz médiatique du moment, qu’est ce qui se passe chez nos voisins, ou dans notre propre couple, ou dans la société de manière globale ?
Les faits divers fascinent, hypnotisent.
(A ce sujet, je vous invite à lire cet article. C’est une premier que je cite Causette, je n’ai vraiment pas une grande affection envers ce magazine qui a écrit beaucoup de grosses bouses sur pas mal de sujets, mais cet article ci me parle).

Mais ne nous font-ils pas oublier l’essentiel ? Le fond ? L’action de fond ? Et ce qui se passe juste sous notre nez ?

De l’obligation de perfection au silence radio

Ca fait quelques mois que je n’avais plus écrit ici.
Une certaine lassitude, un ras le bol de passer plus de temps à gérer des shitstorms autour de mes articles, qu’à écrire mes articles.

managing-a-shitstorm

Si au moins les shitstorms et autres réactions parfois surréalistes étaient venues des gros réac’ que j’épingle dans mes articles, des « hommes-hétéros-blancs-pleins-de-thune-cisgenre-valides », j’aurais pris la chose avec plus de philosophie : quand on écorche un système, il se rebiffe, c’est obligé.
Mais, ma foi, les gros réac’, ils m’ont toujours relativement laissé tranquille. Enfin, relativement, quoi. Des insultes par ci par là, quelques bons gros trolls faschos et masculinistes en mal de casser de la militante féministe, mais boarf… Rien qui soit dans le fond de nature à me bouleverser particulièrement. Je suis assez imperméables à ces insultes là.

Mais non.
Les plus massives, et de loin les plus nombreuses, des shitstorms venaient (et viendront encore, je suppose) du milieu militant féministe lui-même.

Pas assez ceci, trop cela, un terme mal choisi, une phrase mal formulée ou piochée au milieu d’un article en faisant caca sur le contexte, un peu trop de nuance, pas assez de réflexion en noir et blanc bien tranchés…

Et des pages et des pages d’échanges sur Facebook, sur Twitter, pour expliquer, recontextualiser, défendre, m’entendre dire que « Tu défends ton article, tu refuses de te remettre en question », m’entendre traiter de raciste, de transphobe, de grossophobe, de ceci, de cela. Et surtout, le sceau ultime du déshonneur, de PERSONNE PROBLEMATIQUE.
Avec les injonctions à « ne pas partager mon blog parce qu’il donne une visibilité à une personne problématique ». Avec, et là je crois que c’est ce qui me reste le plus en travers, les attaques par ricochet sur des personnes de mon entourage : « Ah, tu es en contact avec Lau’… ! Evidemment que tu ne peux dire que de la merde, pour supporter une personne pareille ». Outch. C’est tellement militant, de s’en prendre à l’entourage d’une personne et de lui faire payer l’addition par ricochet, n’est ce pas ?
Avec toutes les dynamiques d’exclusion et de stigmatisation interne au mouvement militant qui vont avec.

J’ai eu beau en rire, j’ai eu beau ironiser, j’ai eu beau me dire et me répéter que ça ne me toucherait pas et que ca ne saperait pas ma motivation, le fait est que le constat est là. Dernier article en octobre, plus rien depuis.

Et là j’ai envie de sortir du silence, et de ne pas laisser crever ce blog.

Je me suis demandé comment recommencer à écrire ici, quel bout de la pelote de ficelle j’allais bien pouvoir attraper pour revenir.

Et je me suis dit, au final, que c’est sur cette obligation de perfection du mouvement militant que j’allais écrire.

Parce que au delà de mon petit ras le bol (qui bon, au final, n’est pas très intéressant à développer, je ne vais pas vous détailler les shitstorms, c’est sérieusement dénué d’intérêt), ça me pose sérieusement question, cette injonction à la perfection militante. Politiquement, je veux dire. En terme de sens du combat, de but du mouvement militant, et de vision globale des choses.

Je vais essayer d’organiser ma pensée là autour pour expliquer ce que je vois de profondément dépolitisé dans cette traque aux « personnes problématiques ».

La personnification des « méchant.e.s oppresseur.euses » empêche de réfléchir à un niveau systémique.

Il y a une grosse contradiction entre la chasse aux « personnes problématiques » dans les milieux militants, et la prise en compte des facteurs systémiques qui amènent à avoir des COMPORTEMENTS, des PREJUGES, des SCHEMAS DE PENSEE, des PAROLES problématiques.

Pointer les PERSONNES problématiques revient à diviser le monde en deux sur une base non pas sociale, mais morale :

– Les gentil.les (traduits en jargon militant par « personnes safe » ou par « personnes déconstruites »).
– Les méchant.es (les fameuses PERSONNES PROBLEMATIQUES).

Combattre un système qui fonctionne en « les tenants de la norme et du pouvoir vs les autres » pour retomber dans une division qui reproduit exactement ce « nous vs les autres », en changeant juste les critères d’admissibilité pour faire partie du « nous », pour vous je ne sais pas, mais personnellement, il y a une grosse « alerte mauvaise idée » qui se déclenche.

En admettant qu’une bonne Fée Ministe débarque demain sur Terre pour créer, d’un coup de baguette magique, un monde plus juste, plus égalitaire, je vous parie mes deux mains que si elle a l’idée pourrie d’en confier la bonne marche à ces super-militant.es safe adeptes de la traque aux personnes problématiques, on ne mettra pas long à constater qu’on a juste déplacé le problème, mais que finalement on n’a rien changé de fondamental : on aura toujours les détenteur.ices de la Vérité (et donc du Pouvoir). Et on aura toujours les personnes qui rament comme des galérien.nes derrière.

On ne transforme pas un système social en personnifiant les « agresseur.euses », les « méchant.es », les « problématiques ».
On ne change rien en désignant des bouc-émissaires porteurs de la culpabilité de toute la merde du monde.

A l’inverse, c’est en sortant de la lecture morale (« bien vs mal ») qu’on peut comprendre (puis modifier) un fonctionnement de société : il n’y a pas de « gentil.les » ni de « méchant.es », il y a des personnes occupant différentes places (qu’elles n’ont pas choisi, ou très partiellement) dans un gigantesque engrenage où chaque roue en entraine une autre.

Les personnes problématiques, ces causes perdues

Si on reste sur cette vision morale qui divise « personnes déconstruites/safe » et « personnes problématiques », quel intérêt y aurait-il à communiquer avec les « problématiques », les « agresseur.euses » ?
Aucun, n’est ce pas, vu que ces personnes ne méritent pas qu’on gaspille notre énergie de bon.nes militant.es safe et déconstruit.es pour elles ?

Ok. Expliquez moi comment on les amène à déconstruire leurs préjugés, leurs comportements, leurs attitudes, tout ça… Sans communiquer avec ces personnes ?
Sans expliquer ?
Sans – au besoin – gueuler très fort dans leurs oreilles ?

Et si on ne les amène pas à un changement quelconque, d’une manière qui leur permette réellement de changer (indice : non, étiqueter quelqu’un comme « personne problématique », ou « raciste », ou « agresseur.euse », ou peu importe quelle étiquette n’aidera jamais en soi quelqu’un à changer d’attitude. Ca serait chouette si c’était aussi facile, si ça faisait office de baguette magique, mais ça ne marche pas), comment peut-on espérer une forme de changement sociétal ?

La seule manière de ne jamais être problématique : fermer sa gueule. Les personnes qui n’agissent pas ne se plantent jamais.

Dernier point qui me fait sévèrement grincer des chicots dans cette chasse acharnée à la personne problématique :

Elle met indiscutablement en danger les personnes qui ESSAIENT d’agir.
Personne n’étant à l’abri de se planter, de dire une grosse merde, d’avoir un raisonnement complètement foireux une fois ou l’autre, toute personne qui essaie de produire des choses (des textes, des actions, quelque chose) se retrouve sous la loupe.

On en arrive donc à avoir des militant.es qui ne militent plus que par la destruction des actions militantes imparfaites des autres.

Faire annuler une conférence, crier très fort qu’il ne faut pas lire tel ou tel blog, désigner des militant.es à ne surtout pas  citer « parce que c’est des personnes problématiques ».

Je ne dis pas que ça n’est jamais compréhensible, hein, de faire annuler une conférence ou de déconseiller la lecture d’un texte qui véhicule des idées pourraves.

Mais par contre, est-ce que ça produit quelque chose, en contrepartie ?

Nope.

Et – là on va surement me dire que je suis très mauvaise langue, hein – mais j’ai tendance à faire la constatation suivante :

Les personnes les plus acharnées à traquer les personnes problématiques, à reprendre les autres sur un terme mal choisi, à critiquer vertement tel ou tel article, telle ou telle action… ça n’est pas très souvent les personnes qui consacrent le plus de temps et d’énergie à essayer d’imaginer des choses, de créer des choses.

Je suis bien consciente du coté très euh… problématique… de cette dernière remarque, parce qu’elle pourrait largement passer pour du « si tu n’as pas la possibilité de faire activement des choses, tu n’as plus qu’à fermer ta gueule ». Ca n’est pas mon but.
Et mon but n’est pas non plus de dire que toute critique est négative et destructrice.

Par contre, c’est face à une certaine forme de militantisme, qui passe majoritairement par la critique non pas de la société, mais d’autres membres du mouvement militant, que j’ai une certaine colère.

Quand tu produis (des textes, des actions, whatever), tu t’exposes.
Aux yeux de la société « non déconstruite », je veux dire.
Pour prendre mon exemple (parce que c’est celui que je connais le mieux, par la force des choses) : en faisant le choix de diffuser ce blog sans cacher mon identité, avec une photo de moi par ci par là, en le diffusant avec mon compte personnelle sur les réseaux sociaux, je prends une certaine part de risque.
En lançant une pétition signée de mon nom contre un évêque tenant des propos homophobes, j’ai pris une certaine part de risque (qui m’a valu quelques messages d’insultes bien gratinés).
Concrètement, je sais que le jour où je chercherais un boulot, si quelqu’un google mon nom, cette personne a intérêt à être OK d’engager une personne qui assume ouvertement sa non-hétérosexualité, le fait d’avoir une petite dose de particularités psy, et qui est plus ou moins une grande gueule (tout à fait ce que les patrons aiment avoir dans leur équipe, n’est ce pas ?)
D’autres personnes que je connais ont été menacées de mort, de viol, et autres joyeusetés du genre pour leurs articles et leurs prises de position.

Est-ce que c’est vraiment tenable de demander aux personnes qui acceptent de prendre cette part de risque là de devoir complètement tirer un trait sur tout espoir de bienveillance et de soutien de la part d’autres militant.es à la moindre erreur de parcours ?

J’ai vu trop de personnes lâcher toute forme d’action militante non pas à cause des risques encourus vis à vis de la société, mais à cause de l’exigence absolue de perfection au sein des milieux militants.
J’ai vu trop de personnes avoir carrément PEUR d’écrire un article, non pas en se disant « je vais me ramasser de la merde fascho / homophobe / masculiniste / whatever en retour », mais en se disant « si je fais la moindre boulette, je vais m’en prendre plein la gueule dans le milieu militant ».

Est-ce que c’est ça qu’on veut, et est-ce que c’est comme ça qu’on va arriver à faire changer quoi que ce soit, et pas uniquement à s’auto-congratuler d’être très très « safe » et très très « déconstruit.es » ?