Les Noëls chez Tatagrossophobe

grossophobie

Dans la lignée de l’article de Madmoizelle donnant un guide de survie pour ne pas péter une durite lors des fêtes chez Papiraciste et Tatimophobe, j’avais envie de vous parler des Noëls mémorables chez Tatagrossophobe.

Je pense que toute personne en surpoids a au moins une déclinaison de Tatagrossophobe dans sa famille (pouvant être remplacée, le cas échéant, par Cousine, Maman, Tonton, Grand-maman, whatever).

Vous savez, la personne qui va scruter le contenu de votre assiette, hocher la tête d’un air affligé si vous reprenez une part de dinde aux marrons (ou de gratin, peu importe, on a des Tatagrossophobe qu’on soit végé, vegan ou omni, là dessus, pas de souci, pas de discrimination, y en a pour tout le monde !), vous rappeler que « le pain, c’est pas bien, ça fait grossir » si vous prenez une tranche de pain, compter les calories de votre repas…

La personne qui éventuellement va commenter vos fringues dans le même état d’esprit (« Elle te va bien cette jupe, elle est ample, c’est bien, ça te met en valeur » – Traduction « C’est bien, tu caches ton gras, il ne polluera pas mon paysage visuel » – ou alors « Il est joli ce petit haut, mais tu ne penses pas qu’il est un peu trop moulant pour toi ? » – Traduction « AAAAAH, HORREUR, CACHE CE GRAS QUE JE NE SAURAIS VOIR ! »).

La personne qui va, si vous êtes cette année célibataire, vous faire comprendre subtilement – ou pas – que c’est quand même assez normal d’être célibataire, quand on est un pareil gros tas.
Et qui, si vous êtes en couple, va vous faire des allusions au fait que si vous comptez garder l’homme / la femme qui a consenti à vous supporter malgré votre gras, il va quand même bien falloir le perdre, ce gras, parce que sa patience aura forcément des limites, hein. (Ca vous parait trop gros pour être vrai ? Erreur, j’ai eu droit très précisément à cette scène à un repas chez ma tante. Devant mon copain de l’époque. Ouaip.)

Bref… si vous avez cette personne dans votre famille, comment survivre à sa présence à la table de Noël ou du 31 décembre sans que ça gâche irrémédiablement votre soirée ?

Bon, je vous dirais que j’ai personnellement choisi la facilité, et décrété que les fêtes de fin d’année en famille, c’était fini pour moi, et que je passerai désormais mes fêtes soit au boulot (l’avantage d’avoir un job où y a moyen de bosser à Noël et Nouvel-An), soit entre amis, mais en tous cas plus avec Tatagrossophobe.
Non pas qu’elle ait encore un grand impact sur mon moral, mais par contre, je ne tiens pas à me retrouver avec un procès pour homicide volontaire à coup d’os de poulet ou de fourchette sur les bras !

Mais par contre, avant ça, j’ai eu quelques années de pratique intensive de Tatagrossophobe, et j’ai donc quelques astuces à vous faire partager.

La surdité sélective

C’est étrange, dès que Tatagrossophobe ouvre la bouche, votre attention est immédiatement attirée par un autre bruit : même le bruit de la chasse d’eau tirée par les voisins fera l’affaire, ça reste beaucoup plus intéressant que ce que Tatagrossophobe a à vous dire (et bon, la chasse d’eau, c’est prévu pour évacuer la merde, n’est ce pas ?).

Le message clair par vêtements interposés

Certains diront que c’est de la provoc’, moi je suis fan de cette méthode . Il existe plein de t-shirts aux slogans bodypositive, et qui fustigent la grossophobie. En arborer fièrement un, c’est une manière claire de dire « ta gueule » désireuse de vous faire une remarque sur votre poids. La couleur est affichée d’entrée de jeu : « Je ne me laisserai pas démonter par tes remarques de merde, économise ta salive ».
Ca marche étonnamment bien, parce que si l’ennemi.e ne vous sent pas en position de « faiblesse », iel va avoir beaucoup moins de courage pour vous attaquer.

Le répondeur automatique humain

Avoir une phrase toute prête, type message pré-enregistré, à sortir à la moindre remarque impliquant « poids, calorie, bourrelet, régime, c’est-pour-ton-bien ».
« Mon poids ne te regarde pas ». Ou alors une réponse absurde, sans lien avec le sujet : « Oh, tu as vu ? Un papillon ! ».
Sans émotion apparente.
En boucle s’il le faut, pendant aussi longtemps qu’il le faudra.
En général, le message est clair assez rapidement…

Bon… tout ceci étant dit… Il n’y a pas vraiment de méthode magique pour supporter la grossophobie de sa famille sans y laisser de plumes.

Alors juste… bon courage à toutes les personnes qui vont devoir encore se coltiner des repas pénibles ces prochains jours.
(Et à toutes les personnes pour qui, pour diverses raisons, les fêtes ne sont pas particulièrement faciles à vivre, que ça soit à cause des préjugés de votre famille sur votre genre, sur votre orientation sexuelle, sur votre poids, sur quoi que ce soit ayant trait à votre identité ou vos choix de vie… Ou à cause des personnes absentes à table qui vous manquent. Ou parce que tous ces gens et toutes ces conventions sociales sont difficiles à supporter pour vous pour diverses raisons…).

Prenez soin de vous, et faites au mieux pour ne pas y laisser trop de plumes. Vos choix pour supporter ça seront de toutes manières légitimes, et vos sentiments aussi !

« C’est drogué et ça fait des enfants, voilà le résultat »

Je repensais tout à l’heure à une « anecdote » datant d’il y a à peu près 18 ans, et qui reste présente dans mon esprit comme une baffe magistrale qui m’a fait réaliser à quel point les troubles psychiques et les handicaps dits « mentaux » étaient stigmatisés dans la société.
Et je me suis dit que j’allais la partager ici, histoire que si des gens doutaient encore de la réalité de cette stigmatisation, ils se prennent la même baffe que moi, histoire d’enfin ouvrir les yeux sur le sujet…

Du haut de mes un peu plus de 18 piges, je bossais en parallèle de mes études.
Je bossais pour un service envoyant des personne-relais dans des familles avec un enfant en situation de handicap (handicap mental et/ou physique, autisme, troubles psychiques ou du comportement), pour décharger pendant quelques heures les parents. Un peu comme des baby-sitters, en somme, mais avec un minimum d’information et d’encadrement et de supervision pour intervenir auprès d’enfants en situation de handicap.

J’étais encore pleine de belles illusions, débarquant fraichement dans le domaine du travail social, encore non-formée mais pleine d’enthousiasme, bref, la caricature de la novice pleine de rêves.

A peine débarquée dans « le monde des adultes », j’espérais encore que les adultes étaient un peu moins merdiques que les gamins, que j’avais pu voir à l’œuvre pendant mes années de harcèlement scolaire.
N’ayant pas encore eu (du moins, pas de manière visible par le monde extérieur) de troubles psy, je n’avais pas encore eu l’occasion de me bouffer personnellement la psychophobie de notre société dans la gueule.

Je me doutais bien que le handicap pouvait faire peur à des personnes mal informées, mais je n’avais pas la moindre idée de jusqu’où pouvait aller la stigmatisation.

Jusqu’à ce qu’une personne me claque dans la gueule (parce que j’étais avec un enfant autiste qui avait fait une crise de panique dans un restaurant parce qu’un chien avait aboyé) : « Ouais, les jeunes, évidemment, c’est drogué et ça fait des enfants, voilà ce que ça donne ».

C’est, mot pour mot, la phrase. Elle m’a assez choquée pour rester gravée.
On notera le « Ca » déshumanisant, on notera les idées reçues à la pelle, on notera la lâcheté du procédé (la personne ne s’est pas adressée directement à moi, elle a juste parlé toute seule, délibérément assez fort pour que je l’entende)…

J’ai été tellement choquée que, à part fusiller la personne du regard, je n’ai rien trouvé à répondre, et je n’ai même pas essayé d’engager la moindre discussion, parce que si je m’étais approchée d’elle, je ne peux vraiment pas garantir que je ne lui aurais pas en premier lieu dégommé une paire de baffes en lieu et place de dialogue constructif.

Mis à part le caractère assez risible de la situation (j’avais un peu plus de 18 ans, l’enfant dont je m’occupais avait une dizaine d’années, ce qui en dit long sur le sens de l’observation de la personne qui m’avait fait cette brillante remarque quand elle m’imaginait mère de cet enfant…), cette phrase m’a hantée pendant des jours, et elle ressort périodiquement de ma mémoire quand je réfléchis à la psychophobie.

J’ai été soulagée de constater que le gamin dont je m’occupais avait été encore trop préoccupé par le chien qui avait aboyé pour avoir prêté attention à cette immonde remarque…
Et j’ai été soulagée, infiniment, que ça soit avec moi, la « baby-sitter », qu’il était allé boire ce chocolat chaud, et que sa mère n’ait pas eu à se prendre dans la gueule cette remarque…

Ce jour là, j’ai soigneusement rangé dans une boite mes illusions sur « le monde des adultes » et son ouverture d’esprit.

La SNCF, son « détecteur de comportement suspect », et la psychophobie

Aujourd’hui, j’ai lu un article de Libé qui pourrait prêter à rire, s’il n’était pas, au fond, aussi inquiétant.

Sur fond de « OMG il y a des terroristes partout, il faut les repérer, vite », la SNCF est en train de mettre au point un logiciel qui, sur la base d’images de vidéo-surveillance, est supposé pouvoir « détecter les comportements suspects ». (Article)

Le porte-parole de la SNCF ajoute qu’il servira à repérer « le changement de température corporelle, le haussement de la voix ou le caractère saccadé de gestes qui peuvent montrer une certaine anxiété« .

Je pense que toute personne qui a déjà dans sa vie fait au moins une crise d’angoisse comprend dès maintenant à quel point c’est la merde.

Pour les autres, je vous explique de ce pas, histoire que vous puissiez facepalmer avec moi sur cette magistrale FBI (Fausse Bonne Idée).

Figurez vous que ce qui est décrit là, c’est une partie des symptômes les plus courants d’une crise d’angoisse.
Bouffées de chaleur, irritabilité, tremblements, gestes brusques et/ou maladroits…

Je suppose que maintenant, vous commencez à voir le problème, non ?

Pour décortiquer un peu, en quoi cette mesure est non seulement un epic fail, mais bel et bien un projet de logiciel psychophobe qui a largement le potentiel – s’il fonctionne – de pourrir la vie de toute personne ayant des troubles anxieux ou autres troubles psy, je vais aller un peu plus avant dans le raisonnement.

Imaginons la scène.

Quelqu’un d’un brin angoissé.e de la vie prend le train.
Le trajet, la foule, les gares, les changements de train en speed… tout ces facteurs sont des facteurs anxiogènes courants. Si je regarde mon entourage de flippés de la vie, je peux affirmer que le 100% de mes ami.es avec des troubles psy – moi y compris – ont déjà au moins une fois pété une magistrale crise d’angoisse dans une gare ou dans un train.
PARCE QUE LES VOYAGES, C’EST COOL DES FOIS, MAIS C’EST STRESSANT AS HELL, AUSSI !

crise d'angoisse gare

Si le logiciel est bien mis en service, et qu’il fonctionne à peu près correctement, au premier passage devant une caméra de surveillance, c’est l’alerte : OMG, quelqu’un a un comportement « suspect ».

Loin de moi l’idée de médire sur les flics, les agents de sécurité, etc… Mais dans les faits, tout ce beau monde n’est pas précisément sur-informé concernant les troubles psychiques.
J’ai donc de gros doutes sur la possibilité d’une intervention bienveillante, adéquate, qui ne soit pas de nature à faire flamber encore l’angoisse de la personne qui est déjà en train d’angoisser…

Les trajets en train risquent donc de devenir un parcours du combattant (enfin… ENCORE PLUS un parcours du combattant, parce que vivre avec des troubles anxieux a EN SOI le potentiel à transformer les actions de la vie quotidienne en parcours du combattant…) pour toute personne dont la santé psychique n’est pas au beau fixe.

Sachant que l’isolement est une problématique majeure pour les personnes avec des troubles psy, permettez moi de grincer sérieusement des dents à cette perspective…

Et, au delà des implications pratiques déjà bien inquiétantes de cette démarche, le message qui est donné à la population est :

« SI QUELQU’UN A UN COMPORTEMENT QUI TEMOIGNE D’UNE CERTAINE ANGOISSE, TOUS AUX ABRIS, C’EST POTENTIELLEMENT UN TERRORISTE ».

Joie.
Déjà que les idées reçues sur la dangerosité des malades psychiques sont bien solidement ancrées dans les esprits, voilà qui ne va pas aider à les faire évoluer…

Qui plus est, permettez moi de sérieusement douter de l’efficacité d’une telle mesure, mis à part nourrir le dérive sécuritaire actuelle et alimenter la peur dans l’esprit des gens…
En effet, si j’en crois les nombreux témoignages de rescapés de la tuerie du Bataclan qui me sont passés dans les mains, les terroristes sont décrits à l’unanimité comme étant « calmes, froids, posés, sans émotion apparente ».
Tout à fait ce que les fameuses super caméras de la SNCF et leur logiciel ultra sophistiqué identifieront comme… un comportement normal.

Sérieusement, SNCF… Tu as rien de mieux à foutre du fric de tes usagers ?
Genre améliorer tes services, par exemple ?
Parce que bon, les gadgets à la James Bond, c’est rigolo dans les films hein, mais là, tout ce que tu vas réussir à faire, c’est pourrir encore plus la vie de personnes pour qui la vie est déjà bien assez compliquée comme ça. Et… c’est tout.
Sachant que les troubles anxieux touchent – selon l’Institut de Veille Sanitaire (source) – 21% de la population à un moment ou à un autre de sa vie, c’est au moins 21% de tes usagers, chère SNCF, que tu es en train de prendre pour les dindons de la farce.
Enjoy.