De l’obligation de perfection au silence radio

Ca fait quelques mois que je n’avais plus écrit ici.
Une certaine lassitude, un ras le bol de passer plus de temps à gérer des shitstorms autour de mes articles, qu’à écrire mes articles.

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Si au moins les shitstorms et autres réactions parfois surréalistes étaient venues des gros réac’ que j’épingle dans mes articles, des « hommes-hétéros-blancs-pleins-de-thune-cisgenre-valides », j’aurais pris la chose avec plus de philosophie : quand on écorche un système, il se rebiffe, c’est obligé.
Mais, ma foi, les gros réac’, ils m’ont toujours relativement laissé tranquille. Enfin, relativement, quoi. Des insultes par ci par là, quelques bons gros trolls faschos et masculinistes en mal de casser de la militante féministe, mais boarf… Rien qui soit dans le fond de nature à me bouleverser particulièrement. Je suis assez imperméables à ces insultes là.

Mais non.
Les plus massives, et de loin les plus nombreuses, des shitstorms venaient (et viendront encore, je suppose) du milieu militant féministe lui-même.

Pas assez ceci, trop cela, un terme mal choisi, une phrase mal formulée ou piochée au milieu d’un article en faisant caca sur le contexte, un peu trop de nuance, pas assez de réflexion en noir et blanc bien tranchés…

Et des pages et des pages d’échanges sur Facebook, sur Twitter, pour expliquer, recontextualiser, défendre, m’entendre dire que « Tu défends ton article, tu refuses de te remettre en question », m’entendre traiter de raciste, de transphobe, de grossophobe, de ceci, de cela. Et surtout, le sceau ultime du déshonneur, de PERSONNE PROBLEMATIQUE.
Avec les injonctions à « ne pas partager mon blog parce qu’il donne une visibilité à une personne problématique ». Avec, et là je crois que c’est ce qui me reste le plus en travers, les attaques par ricochet sur des personnes de mon entourage : « Ah, tu es en contact avec Lau’… ! Evidemment que tu ne peux dire que de la merde, pour supporter une personne pareille ». Outch. C’est tellement militant, de s’en prendre à l’entourage d’une personne et de lui faire payer l’addition par ricochet, n’est ce pas ?
Avec toutes les dynamiques d’exclusion et de stigmatisation interne au mouvement militant qui vont avec.

J’ai eu beau en rire, j’ai eu beau ironiser, j’ai eu beau me dire et me répéter que ça ne me toucherait pas et que ca ne saperait pas ma motivation, le fait est que le constat est là. Dernier article en octobre, plus rien depuis.

Et là j’ai envie de sortir du silence, et de ne pas laisser crever ce blog.

Je me suis demandé comment recommencer à écrire ici, quel bout de la pelote de ficelle j’allais bien pouvoir attraper pour revenir.

Et je me suis dit, au final, que c’est sur cette obligation de perfection du mouvement militant que j’allais écrire.

Parce que au delà de mon petit ras le bol (qui bon, au final, n’est pas très intéressant à développer, je ne vais pas vous détailler les shitstorms, c’est sérieusement dénué d’intérêt), ça me pose sérieusement question, cette injonction à la perfection militante. Politiquement, je veux dire. En terme de sens du combat, de but du mouvement militant, et de vision globale des choses.

Je vais essayer d’organiser ma pensée là autour pour expliquer ce que je vois de profondément dépolitisé dans cette traque aux « personnes problématiques ».

La personnification des « méchant.e.s oppresseur.euses » empêche de réfléchir à un niveau systémique.

Il y a une grosse contradiction entre la chasse aux « personnes problématiques » dans les milieux militants, et la prise en compte des facteurs systémiques qui amènent à avoir des COMPORTEMENTS, des PREJUGES, des SCHEMAS DE PENSEE, des PAROLES problématiques.

Pointer les PERSONNES problématiques revient à diviser le monde en deux sur une base non pas sociale, mais morale :

– Les gentil.les (traduits en jargon militant par « personnes safe » ou par « personnes déconstruites »).
– Les méchant.es (les fameuses PERSONNES PROBLEMATIQUES).

Combattre un système qui fonctionne en « les tenants de la norme et du pouvoir vs les autres » pour retomber dans une division qui reproduit exactement ce « nous vs les autres », en changeant juste les critères d’admissibilité pour faire partie du « nous », pour vous je ne sais pas, mais personnellement, il y a une grosse « alerte mauvaise idée » qui se déclenche.

En admettant qu’une bonne Fée Ministe débarque demain sur Terre pour créer, d’un coup de baguette magique, un monde plus juste, plus égalitaire, je vous parie mes deux mains que si elle a l’idée pourrie d’en confier la bonne marche à ces super-militant.es safe adeptes de la traque aux personnes problématiques, on ne mettra pas long à constater qu’on a juste déplacé le problème, mais que finalement on n’a rien changé de fondamental : on aura toujours les détenteur.ices de la Vérité (et donc du Pouvoir). Et on aura toujours les personnes qui rament comme des galérien.nes derrière.

On ne transforme pas un système social en personnifiant les « agresseur.euses », les « méchant.es », les « problématiques ».
On ne change rien en désignant des bouc-émissaires porteurs de la culpabilité de toute la merde du monde.

A l’inverse, c’est en sortant de la lecture morale (« bien vs mal ») qu’on peut comprendre (puis modifier) un fonctionnement de société : il n’y a pas de « gentil.les » ni de « méchant.es », il y a des personnes occupant différentes places (qu’elles n’ont pas choisi, ou très partiellement) dans un gigantesque engrenage où chaque roue en entraine une autre.

Les personnes problématiques, ces causes perdues

Si on reste sur cette vision morale qui divise « personnes déconstruites/safe » et « personnes problématiques », quel intérêt y aurait-il à communiquer avec les « problématiques », les « agresseur.euses » ?
Aucun, n’est ce pas, vu que ces personnes ne méritent pas qu’on gaspille notre énergie de bon.nes militant.es safe et déconstruit.es pour elles ?

Ok. Expliquez moi comment on les amène à déconstruire leurs préjugés, leurs comportements, leurs attitudes, tout ça… Sans communiquer avec ces personnes ?
Sans expliquer ?
Sans – au besoin – gueuler très fort dans leurs oreilles ?

Et si on ne les amène pas à un changement quelconque, d’une manière qui leur permette réellement de changer (indice : non, étiqueter quelqu’un comme « personne problématique », ou « raciste », ou « agresseur.euse », ou peu importe quelle étiquette n’aidera jamais en soi quelqu’un à changer d’attitude. Ca serait chouette si c’était aussi facile, si ça faisait office de baguette magique, mais ça ne marche pas), comment peut-on espérer une forme de changement sociétal ?

La seule manière de ne jamais être problématique : fermer sa gueule. Les personnes qui n’agissent pas ne se plantent jamais.

Dernier point qui me fait sévèrement grincer des chicots dans cette chasse acharnée à la personne problématique :

Elle met indiscutablement en danger les personnes qui ESSAIENT d’agir.
Personne n’étant à l’abri de se planter, de dire une grosse merde, d’avoir un raisonnement complètement foireux une fois ou l’autre, toute personne qui essaie de produire des choses (des textes, des actions, quelque chose) se retrouve sous la loupe.

On en arrive donc à avoir des militant.es qui ne militent plus que par la destruction des actions militantes imparfaites des autres.

Faire annuler une conférence, crier très fort qu’il ne faut pas lire tel ou tel blog, désigner des militant.es à ne surtout pas  citer « parce que c’est des personnes problématiques ».

Je ne dis pas que ça n’est jamais compréhensible, hein, de faire annuler une conférence ou de déconseiller la lecture d’un texte qui véhicule des idées pourraves.

Mais par contre, est-ce que ça produit quelque chose, en contrepartie ?

Nope.

Et – là on va surement me dire que je suis très mauvaise langue, hein – mais j’ai tendance à faire la constatation suivante :

Les personnes les plus acharnées à traquer les personnes problématiques, à reprendre les autres sur un terme mal choisi, à critiquer vertement tel ou tel article, telle ou telle action… ça n’est pas très souvent les personnes qui consacrent le plus de temps et d’énergie à essayer d’imaginer des choses, de créer des choses.

Je suis bien consciente du coté très euh… problématique… de cette dernière remarque, parce qu’elle pourrait largement passer pour du « si tu n’as pas la possibilité de faire activement des choses, tu n’as plus qu’à fermer ta gueule ». Ca n’est pas mon but.
Et mon but n’est pas non plus de dire que toute critique est négative et destructrice.

Par contre, c’est face à une certaine forme de militantisme, qui passe majoritairement par la critique non pas de la société, mais d’autres membres du mouvement militant, que j’ai une certaine colère.

Quand tu produis (des textes, des actions, whatever), tu t’exposes.
Aux yeux de la société « non déconstruite », je veux dire.
Pour prendre mon exemple (parce que c’est celui que je connais le mieux, par la force des choses) : en faisant le choix de diffuser ce blog sans cacher mon identité, avec une photo de moi par ci par là, en le diffusant avec mon compte personnelle sur les réseaux sociaux, je prends une certaine part de risque.
En lançant une pétition signée de mon nom contre un évêque tenant des propos homophobes, j’ai pris une certaine part de risque (qui m’a valu quelques messages d’insultes bien gratinés).
Concrètement, je sais que le jour où je chercherais un boulot, si quelqu’un google mon nom, cette personne a intérêt à être OK d’engager une personne qui assume ouvertement sa non-hétérosexualité, le fait d’avoir une petite dose de particularités psy, et qui est plus ou moins une grande gueule (tout à fait ce que les patrons aiment avoir dans leur équipe, n’est ce pas ?)
D’autres personnes que je connais ont été menacées de mort, de viol, et autres joyeusetés du genre pour leurs articles et leurs prises de position.

Est-ce que c’est vraiment tenable de demander aux personnes qui acceptent de prendre cette part de risque là de devoir complètement tirer un trait sur tout espoir de bienveillance et de soutien de la part d’autres militant.es à la moindre erreur de parcours ?

J’ai vu trop de personnes lâcher toute forme d’action militante non pas à cause des risques encourus vis à vis de la société, mais à cause de l’exigence absolue de perfection au sein des milieux militants.
J’ai vu trop de personnes avoir carrément PEUR d’écrire un article, non pas en se disant « je vais me ramasser de la merde fascho / homophobe / masculiniste / whatever en retour », mais en se disant « si je fais la moindre boulette, je vais m’en prendre plein la gueule dans le milieu militant ».

Est-ce que c’est ça qu’on veut, et est-ce que c’est comme ça qu’on va arriver à faire changer quoi que ce soit, et pas uniquement à s’auto-congratuler d’être très très « safe » et très très « déconstruit.es » ?

« Les concerné.es » ne sont pas un modèle unique

Note explicative quant au contenu de cet article :
J’ai choisi délibérément d’utiliser une métaphore complètement déconnectée de la réalité humaine, pour ne pas focaliser la réflexion sur telle ou telle oppression.
Mon but n’est absolument pas de déshumaniser les personnes concerné.es par telle ou telle oppression, mais justement, à l’inverse, de ne pas me servir des personnes concerné.es pour expliquer et exemplifier ma réflexion.
Ainsi donc, nous parlerons ici des concerné.es par l’emporte-piècitude, les emporte-pièces étant opprimés par les humains qui les exploitent outrageusement.

Si vous fréquentez un tant soit peu les espaces de discussions militants, à plus forte raison intersectionnels ou inclusif, vous avez probablement déjà entendu parler de l’importance de valoriser / respecter la parole des personnes concernées par une oppression.

Loin – très loin même – de moi l’idée de ne pas adhérer à ce positionnement : je suis clairement persuadée de l’importance de mettre en avant la parole des personnes concernées, à plus forte raison dans notre société ultra normative, qui relaie ultra majoritairement la parole dominante (blanche, hétéro, cis, valide, neurotypique, toussa).

Par contre, j’ai un gros souci avec l’expression « LES personnes concernées pensent que… ».

Formulée comme ça, j’ai toujours le ressenti un peu weird qu’on voit les personnes concernées de cette manière là :

4 T

Similaires.
Globalement semblables.
Fabriqués dans le même moule.

Iels auront dont un vécu similaire, et de fait, des aspirations, des revendications, des besoins similaires.

Alors que, au fil de ma fréquentation des groupes et autres collectifs militants, j’ai pu réaliser au fil du temps – ce qui confirme ma vision de base – que les concerné.es, c’est plutôt quelque chose comme ça :

emporte-pièce diversifiés
Tou.te.s ces emportes-pièces sont concerné.es par l’emporte-piècitude.

Mais de par leurs différences, iels vont la vivre différemment, de positionner différemment, et avoir des besoins spécifiques différents. Et des fois radicalement opposés.
L’emporte-pièce en forme de fleur revendique haut et clair qu’on le lave à la main, parce que sinon, jamais il ne sera propre.
L’emporte-pièce rond, à l’inverse, trouve inutilement violent cette éponge racleuse qu’on passe sur sa peau métallique, et il revendique qu’on le laisse tranquillement se faire laver par le lave-vaisselle.
Le petit emporte-pièce rond, tout en bas, n’est quasiment jamais utilisé, et souffre de son manque de valorisation : il revendique son utilité, sa pleine appartenance à la société des emporte-pièces utiles.
Mais dans le même temps, on peut entendre le gros emporte-pièce en coeur revendiquer qu’on arrête de l’exploiter, de le faire travailler tout le temps.

Ces besoins sont parfois complètement opposés.
Et pourtant, chacun de ces emporte-pièces revendique quelque chose qui est à la limite du vital pour lui.
Vital pour ne pas finir rouillé faute de nettoyage adéquat, vital pour ne pas finir à la poubelle ou dans un carton à la cave faute d’utilité, vital pour ne pas se casser en deux à force d’être trop utilisé.

Souvent, les emporte-pièces s’engueulent entre elleux.
Le petit emporte-pièce rond se voit accusé de vouloir renforcer l’exploitation des emportes-pièces par les humains, vu qu’il revendique le droit à travailler, à être utile, à s’insérer dans un système du travail que le gros emporte-pièce en coeur rejette de tout son « coeur », et qui, de fait, est en train de tuer le gros emporte-pièce en coeur, vu qu’il est exploité à outrance.

L’emporte-pièce en fleur, qui a besoin d’être lavé à la main, se voit accuser d’empêcher les autres emporte-pièce à disposer de leur corps métallique comme bon leur semble, vu qu’il revendique une méthode de nettoyage impliquant qu’on le tripote.

Si une cuillère, alliée sincère de la lutte des emportes-pièce en fleur, relaie le célèbre slogan « Une éponge vaut mieux que de rester crasseux », les emporte-pièces rond vont lui hurler dessus : « tu n’écoutes pas les concernés ».

On a même vu l’emporte pièce rond tenter de se faire le porte-parole de tous les emporte-pièces, proclamant haut et fort que « Les concernés ont besoin de lave-vaisselle ».
Déclenchant à cette occasion un tollé parmi les emporte-pièces en fleur et leurs allié.es.

Par contre, méfiance, quand les humains relaient la parole du tout petit emporte-pièce rond qui revendique le droit de travailler plus, il y a fort à parier qu’ils pensent plus à leur propre envie de pouvoir continuer à exploiter comme bon leur semble leurs emporte-pièces, et voient dans la revendication du petit emporte-pièce un bon moyen pour dire « Non mais regardez, j’ai tout à fait raison de continuer à faire travailler à outrance mes emporte-pièce, même ce petit emporte-pièce le dit, qu’il veut travailler ! ».

Voilà… il est plausible que j’aie collé une migraine à pas mal de monde avec mon utilisation d’environ 50 fois le terme « emporte-pièce » en une seule page de blog.
Mais j’avais envie d’attirer votre attention sur le danger qu’il peut y avoir à faire des « concerné.es » un groupe uniforme, aux besoins uniformes, aux revendications uniformes.

Il y aura forcément des points de convergence, mais aussi des divergences.
Et c’est OK comme ca.

Et non, ça n’est pas « dépolitiser le débat », de prendre en compte les vécus et les parcours spécifiques.
Au contraire, je vois une revendication éminemment politique dans cette attente qu’on cesse d’uniformiser les vécus, les gens.

Remplacer un moule fabriqué par la société par un moule fabriqué par les mouvements militants, ça reste toujours un moule.
Et il y aura toujours des personnes « hors du moule ».
Qui ont le droit d’être entendue et respectées.

Les attirances sexuelles sont-elles oppressives ?

Bon.

Un sujet qui fait régulièrement débat entre féministes, et que finalement, j’ai envie de décortiquer un peu ici.

Entendons nous, ce que je vais dire là n’engage que moi, ça n’est pas le reflet d’un quelconque courant féministe, c’est juste des réflexions entre moi et moi-même que je mets par écrit et que je fais partager.
Chacun.e en fait ce qu’iel veut, hein !

Donc :

Affirmer une préférence sexuelle (ou juste AVOIR une préférence sexuelle) qui exclut telle ou telle catégorie opprimée est-il synonyme a « être [quelque chose]-phobe » ?

En clair, pour donner un exemple :
L’hétérosexualité est-elle une marque d’homophobie, par exemple ?
Le fait de n’avoir des relations sexuelles qu’avec des personnes minces est-il une marque de grossophobie ?
Ou, à l’inverse :
Une personne mince qui n’est attirée que par des personnes grosses fétichise-t-elle forcément d’une manière malsaine les personnes grosses (ce qui est aussi une forme de grossophobie) ?

L’argument des personnes défendant ce point de vue est que nos attirances sexuelles font partie des construits sociaux, tout comme tout ce qui régit nos relations sociales / interpersonnelles.
Et que donc, on ne peut pas extraire les attirances sexuelles du champ de tout ce qui est influencé par les constructions oppressives de notre société (racisme, sexisme, homophobie, transphobie, etc etc).

Il me serait bien difficile de réfuter en bloc cet argument, à vrai dire.
Bien sûr que « qui nous trouvons belle/beau » et « qui nous trouvons attirant.e » est influencé par les critères de notre société.
A plus ou moins grande mesure, selon la prise de conscience et de distance que nous avons faite vis-a-vis de ces critères dominants, certes (et aussi selon que nous soyons nous-même plus ou moins proches des critères dominants).

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Mais par contre, je suis toujours mega mal à l’aise quand on en arrive à des débats comme :

« une personne qui ne couche pas avec des personnes grosses est-elle grossophobe ? ».
« une personne qui ne couche pas avec des personnes racisées est-elle raciste ? »
« une personne qui ne couche pas avec des personnes trans est-elle transphobe ? ».

Parce qu’en allant aussi loin que ça dans la réflexion, on en arrive vite à un truc TELLEMENT PAS ORIGINAL dans notre société, à savoir les injonctions autour du sexe.

Il y en a BEAUCOUP (beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup. J’ai dit beaucoup ?).
Il faut aimer le sexe, mais pas trop quand même si on est une femme – ou assignée comme telle. (coincée vs salope, quoi).
Il faut aimer telle ou telle position sinon on manque de piquant (ou on est une vieille bique coincée qui ne vit pas avec son temps).
Il faut … il faut plein de trucs, chacun.e a surement sa propre liste de « il faut » à fournir.

Et toutes ces injonctions, elles foutent un merdier sans nom dans une notion quand même UN TOUT PETIT PEU capitale autour du sexe, j’ai nommé :

LE CONSENTEMENT.

Et bon. Le consentement, c’est pas comme si notre société était vraiment vraiment très très protectrice envers cette notion hein. Mais alors vraiment, vraiment pas, même.
On est nourri.es dès le biberon à la culture du viol en poudre, diluée dans un jus d’injonctions, aromatisée avec un fort arôme de culture patriarcale.

Le devoir conjugal à satisfaire, l’injonction à une sexualité reproductrice efficace, tout ça tout ça tout ça… C’est déjà autant d’obstacles à une sexualité épanouissante, consentie, sans violence.

Chaque injonction autour de la sexualité en rajoute une petite couche à la difficulté d’avoir un consentement réel, complet, sans pression extérieure ni auto-pression.

Donc je suis quand même fichtrement mal à l’aise quand on va sur le terrain de la sexualité, des préférence et des attirances sexuelles, pour donner le message à des gens qu’iels sont oppressif.ves.

Parce que même si les critères de beauté communément admis (qui sont, comme il se doit, blancs, minces, valides, hétéro et cis, hein !) ont forcément un impact dans la représentation de la personne qu’on va avoir envie d’avoir dans notre lit…
La sexualité reste un sujet éminemment intime.

Alors oui, « le privé est politique ».

Mais quand il s’agit de risquer de renforcer la culture du viol en rajoutant tout pleins de leviers de pressions implicites ou explicites (« Quoi ? Tu ne veux pas coucher avec moi ? Tu ne serais pas un peu grossophobe ? »), en rajoutant tout plein d’auto-pressions aussi (« Merde, je n’ai pas envie de lui donner l’impression de le.a rejeter à cause de son poids, mais quand même, je ne suis pas attiré.e par ellui, merde qu’est ce que je dois faire, merde merde merde »)…

J’ai quand même envie de dire qu’on se balade sur une pente allègrement savonneuse.

Et que je n’ai honnêtement pas envie – en l’état actuel de la société avec l’omniprésence de la culture du viol – de voir empruntée, pour ma part. Trop dangereux. Même « pour la cause », pour la déconstruction des préjugés, pour tout ca. TROP-DANGEREUX.

Il y a encore trop à faire dans la démolition caillou par caillou de la culture du viol pour pouvoir – à mon sens – se permettre de rajouter des pressions et des injonctions autour de la sexualité.

Par contre, qu’on s’entende bien, hein.

C’est pas une porte ouverte à dire tout plein de trucs cradement oppressifs à tour de bras et la bouche en coeur sous prétexte de justifier tes préférences sexuelles hein.
Ouais, toi là bas dans le fond, je t’ai vu, en train de préparer ton argumentation toute pleine de préjugés pour expliquer avec qui tu couches et avec qui tu ne couches pas.
Oublie l’idée. Tout de suite. Vraiment.

Tu couches avec qui tu veux hein. C’est pas le problème. (Ouais enfin. Tant que l’autre personne en a envie aussi. Cela va sans dire, mais dans notre société, j’ai quand même envie de le préciser, figurez vous !).
Mais, si tu as le droit de dire que tu te sens plus à l’aise de coucher avec [x type de personne], ça ne te donne absolument pas le droit de donner des raisons faussement « objectives » pour expliquer que les autres types de personnes sont repoussantes, hein.
Non.
Personne n’est « repoussant ».
C’est juste toi qui n’est pas attiré.e.
C’est pas pareil.
Et la différence est VRAIMENT VACHEMENT IMPORTANTE.

On déconstruit des idées, des préjugés, on ne déconstruit pas des personnes

Il est 1h30 du mat’, tout à fait l’heure pour me mettre à pondre un article de blog un peu abracadabrant sur le milieu militant, n’est ce pas ?

Pour une fois, ça n’est pas un coup de gueule, mais plus une réflexion, probablement incomplète, que j’ai envie de faire partager.

Dans le milieu militant (féministe en particulier), on parle souvent de « personnes déconstruites », pour évoquer les personnes qui ont conscientisé les privilèges qu’elles ont de par leur position dans la société (une personne blanche est privilégiée par rapport à une personne non-blanche, une personne hétérosexuelle est privilégiée par rapport à une personne non-hétérosexuelle, une personne valide est privilégiée par rapport à une personne vivant avec un handicap, etc etc. Je pense que, même si vous n’avez jamais mis les pieds dans le milieu militant, ces quelques exemples vous permettent de voir l’idée).

Donc. Une personne déconstruite, dans le milieu militant, c’est PLUTOT BIEN.

Mais dans ma tête, une personne déconstruite, c’est ça :

Personne brisée

C’est littéralement, une image de ce genre qui me vient à l’esprit à chaque fois que j’entends l’expression « une personne déconstruite ». Une personne morcelée, réduite en morceaux, brisée.
C’est PLUTOT BEAUCOUP MOINS BIEN.

Et cette image, qui me titille de manière récurrente, elle m’a amené à réfléchir sur cette expression « personne déconstruite », et à réaliser pourquoi elle ne me convient définitivement pas du tout.
Il y a plusieurs niveaux de réflexion dans le même post, ça sera surement un peu fouillis, mais je vais essayer quand même :

– « Etre déconstruit », c’est la réalité psychique de pas mal de personnes.

Pas mal de troubles psy entrainent, de manière durable ou transitoire, un sentiment d’être « déconstruit ». Au sens : morcelé, en miettes.
Sans en faire une liste exhaustive : c’est en particulier le cas des troubles psychotiques.
Et c’est aussi – et c’est surement pour ça que l’expression me fait autant tiquer, à la base – le cas lors de crises d’angoisses.
Personnellement, en crise d’angoisse, j’ai – littéralement – l’impression que mon corps n’est plus entier. Je ne le sens plus, je n’ai plus aucune perception cohérente de ses limites physiques. Inutile de préciser que ça n’est pas VRAIMENT la sensation la plus plaisante au monde.
Pour le coup, je trouve le terme moyennement top, vu ce qu’il peut renvoyer comme sensation angoissante à une personne dans mon cas.

Bon. Ca, c’était pour le niveau de lecture « purement personnel » (quoi que je me suis toujours demandé si d’autres personnes avaient tiqué à ce sujet là sans forcément en parler).

Pour arriver à un niveau de lecture un peu plus « militant », maintenant.

– Une personne est certes fortement influencée par les construits sociaux, mais pas que.

Cette expression de « personne déconstruite » me renvoie à l’idée que TOUT dans ce que nous sommes, que notre personne en elle-même, notre personnalité, notre caractère, n’est QUE la somme des construits sociaux.
Pour modifier nos préjugés, pour prendre conscience de nos construits sociaux, de nos privilèges, il s’agirait alors de TOUT remettre en question dans ce que nous sommes. Comme s’il n’y avait pas une « ossature », une trame, quelque chose qui fait notre personne et qui n’est pas QUE des construits sociaux.
Et cette idée, je la trouve vachement dangereuse, en fait.
En allant aussi loin dans la réflexion « sociologique », on oublie que certes, nous sommes inscrits dans une société et dans un système, mais pour autant, nous sommes quand même des individus. Avec nos besoins propres, nos forces, nos souffrances, nos… ‘fin tout ca.
Et très concrètement, dans les milieux militants, ce jusqu’au boutisme de la déconstruction, il amène à oublier que la déconstruction de ce qui a fait nos certitudes, nos repères… Elle n’est pas sans douleur. Et que nous ne sommes pas tou.te.s égaux.ales face à cela.
Qu’avoir besoin de repères est légitime. Voire même vital.
Que tout déconstruire, trop vite, trop abruptement, sans prendre le temps de reconstruire entre temps des bases solides, c’est sacrément casse-gueule. Qu’il y a des personnes qui ne peuvent pas se permettre cette démarche, sous peine de sérieusement plonger (indice : ça n’est souvent pas les personnes les plus privilégiées par le système social, d’ailleurs !).

On entend souvent – comme argument face à une personne qui n’arrive pas (ou ne veut pas) remettre ses certitudes en question : « C’est ton égo qui parle ».
Comme si « l’égo » était quelque chose à proscrire, à bannir, à éradiquer comme la peste noire.
Sauf que « Ego », ca veut dire « moi ». Je ne vais pas aller dans un petit trip psychanalytique sur le moi, le surmoi et tout ce bullshit là (comment ça, j’aime pas la psychanalyse ? Mais non, voyons… Juste une impression !).
Par contre, « moi », c’est ma personne. C’est qui je suis. C’est la somme de mon parcours, de mes valeurs, de mon corps, de mes forces, de mes faiblesses.
Alors oui, on a tou.te.s un égo. Et guess what : sans ça, on serait juste mort.es. Ou des coquilles vides. Ou… je ne sais pas trop quoi, mais en tous cas, l’idée n’est pas alléchante.

Au nom du fait qu’il ne faut pas réfléchir en fonction de notre « ego », le milieu militant oublie souvent en chemin un truc qui s’appelle BIENVEILLANCE.
Une personne qui est blessée par une réflexion dans un cadre militant, on ne va pas la réconforter, on ne va pas s’excuser de l’avoir blessée, on ne va pas essayer de lui faire comprendre les choses autrement. On va rire d’elle, on va la renvoyer « checker ses privilèges ».
Et je garde la conviction qu’en ne prenant pas le temps de redescendre des fois du niveau « sociologique » jusqu’au niveau « humain », on devient des enfoirés maltraitants. Envers les personnes qu’on prétend « déconstruire », justement.

Et si on arrêtait de se dire qu’on a le droit et le devoir de « déconstruire des personnes », au risque de les faire partir en vrille ?
Leur ouvrir les yeux ? Oui.
Les amener à réfléchir ? Oui.
Les déconstruire ? Les morceler ? Je suis beaucoup moins convaincue.

– « Je suis une personne déconstruite », la porte ouverte à la course au « crédit militant ».

Un des gros travers du milieu militant, c’est que des fois, on perd de vue pourquoi on milite.
On ne milite pas « pour être un.e bon.ne militant.e ». On milite pour faire changer les choses. On milite pour que les personnes homosexuelles ne risquent plus de se faire casser la gueule dans la rue parce qu’elles tiennent la main de la personne qu’elles aiment. On milite pour que les gros.ses ne soient plus discriminés à l’embauche. Ce genre de trucs « bassement pratiques » là. Et on milite, de manière générale, pour que la société soit un peu moins un tissu de discriminations diverse et variées.
C’est ça, le but. C’est ça, la finalité.

Or – parce que l’humain a un besoin de reconnaissance, d’appartenance, et que ça fait partie des besoins sociaux primaires de l’être humain… Dans le milieu militant comme ailleurs, il y a une course à la reconnaissance.

Et vu que « être une personne déconstruite », c’est un peu le saint graal des militant.es, la fontaine de jouvence dans laquelle plonger, ou la condition d’obtention du badge du militant de l’année… Tout devient prétexte à montrer qu’on est VRAIMENT TRES TRES TRES DECONSTRUIT.
Je me demande souvent, en regardant d’autres militant.es (et en me regardant moi-même, aussi, hein…) quelle part des discours militants, des théories, des idées qu’iels évoquent iels se sont VRAIMENT appropriée (au sens positif du terme s’approprier, à savoir « faire siennes », « pleinement incarner », y compris dans sa vie de tous les jours, y compris « loin du regard des autres militant.es »). Et quelle part est juste de l’appris par coeur récité « parce que c’est ça qu’il faut dire ».

Et ça aussi, je le met, vraiment, en lien avec cette idée de « personne déconstruite ». Comme si on devait incarner une personne complètement nouvelle, radicalement changée, comme un genre de phœnix qui renait de ses cendres, pour avoir le droit à être reconnu.e comme étant un.e militant.e valable.

Et le fait de créer une sorte de groupe de « super-militant.e », qui sont affublé.es du terme de « personnes déconstruites », ça ne fait que renforcer un clivage difficile : avant d’être une « personne déconstruite », on a tou.te.s été des personnes qui n’avaient pas conscience de tout ça. Des discriminations. Des privilèges. Qui avons porté des plumes d’indiens au carnaval de notre école sans se dire une demi-seconde que ce qu’on faisait n’était pas respectueux des cultures – abondamment pillées et détruites par les blancs – des natifs américains. Qui avons traité notre emmerdeur de chef de « gros pd » sans réaliser que c’était à la base une insulte homophobe. Qui avons traité le chauffard qui a failli nous renverser de « cinglé », sans se dire que c’était psychophobe. Tout ca. On l’a tou.te.s fait. Absolument tou.te.s. Ca et plein d’autres trucs.
Pour le coup, ce titre de « personne déconstruite », il est dangereux, parce qu’il n’amène pas à tendre la main aux autres. A leur expliquer. A ne pas les voir comme des crevures qui se roulent dans leur privilèges, mais juste… comme des gens qui ne savent pas.

– Et si on arrêtait de mettre les « personnes » au centre du débat, pour y remettre les idées ?

Un truc qui me fait toujours tiquer dans le milieu militant, c’est le fait de rattacher une valeur morale à une personne. De lui attribuer un droit (ou pas) à s’exprimer, en fonction de l’entier de ses idées.
Mh. C’est surement pas très clair ce que je dis là, alors je vais parler d’un cas concret.
Admin d’une page facebook luttant contre la psychophobie, je suis tombée sur un texte d’une personne évoquant l’automutilation, en lien avec le rapport au corps dans notre société, avec les injonctions aux personnes assignées femmes à être « belles » (et donc, surtout, à ne pas se couvrir volontairement de cicatrices, olala non surtout pas).
J’ai trouvé ce texte très pertinent.
Je l’ai partagé.
Et là… que n’avais-je pas fait.
Il se trouve que la personne qui avait écrit ce texte a, dans un autre texte, eu des positions passablement « limite » face aux personnes trans.
Tollé de commentaires : « Il ne faut surtout pas partager ce texte, son auteure est transphobe ».
Bon.
Dilemme éthique express (express, parce que bon, une shitstorm sur internet, ça part vite, et dans ces cas là tu as intérêt à réfléchir vite si tu ne veux pas devoir gérer 10, puis 20, puis 100 personnes très énervées dans les commentaires de ta publication…). Au final on a retiré ce texte de la page, d’entente avec les autres admins de la page.

Pourtant, à aucun moment du texte, l’auteure n’évoquait la question des personnes trans.

Et ça aussi, je le mets en lien avec cette notion de PERSONNE déconstruite.
Comme si avoir déconstruit des préjugés dans un domaine n’était pas suffisant pour avoir voix au chapitre dans ce domaine précis, mais qu’il fallait avoir passé à la moulinette l’entier de ce que la société nous a inculqué, sans la moindre exception, pour avoir voix au chapitre.

Et ça, sincèrement, j’ai du mal à adhérer.

Même si une personne est transphobe (et dieu sait que je ne cautionne pas la transphobie, à plus forte raison en tant que personne non binaire…) est-ce qu’on ne peut pas valoriser ses IDEES dans d’autres domaines ?
Est-ce qu’elle ne peut pas faire avancer les choses dans d’autres domaines, même si, effectivement, elle ne les fera pas (ou pas encore) avancer au niveau de la situation des personnes trans ?
Est-ce qu’on droit se priver des savoirs, des idées, des connaissances d’une personne X dans un ou plusieurs domaines, parce qu’elle n’est pas INTEGRALEMENT « une personne déconstruite » ?
Est-ce que c’est sa personne qui compte, ou ce qu’elle dit et fait ?
Est-ce que quand on partage un texte dans un groupe militant, on le fait pour faire avancer des idées, ou on le fait pour attribuer des points de crédit militant à son auteur.e ?
Est-ce que c’est vraiment « la personne » qui doit être au centre de la réflexion, dans ce cas là ?

Pour toutes ces raisons… L’expression « une personne déconstruite » me laisse un arrière-gout amer dans la bouche. Et personnellement, je me refuse à l’utiliser.
Je parle de déconstruire des préjugés, d’ouvrir les yeux des individus.
Je ne parle jamais de « déconstruire des personnes ». Moi y compris.

L’humour, c’est pas pareil chez soi ou sur internet

Humour oppressif

Un petit article coup de gueule (la personne qui a dit « Encore ? » dans le fond de la salle est priée de prendre son ticket avant de passer au bureau des réclamations, qui est ouvert chaque 5ème samedi du mois de 12h à 12h01 précisément, avant l’heure c’est pas l’heure, après l’heure, c’est plus l’heure) sur un argument qui commence à me sortir par les narines dans les discussions concernant l’humour oppressif sur internet.

« Ouais mais faut arrêter, je fais les mêmes blagues avec mon pote / mon frère / mon cousin / mon poisson rouge qui est concerné aussi par le sujet, et il le prends pas mal ».

Figurez-vous que dans mon salon chez moi, avec mes collocs qui me connaissent bien, avec mes ami.es qui me connaissent bien, moi aussi je fais de l’humour sur des sujets pas très très politiquement corrects.

Et je ris aux blagues de mon ami Vlad, qui a un répertoire de blagues atroces digne d’une encyclopédie.

Et ca ne m’empêche pas de trouver carrément inadéquat l’humour oppressif sur internet, même quand il est fait – et je n’en doute pas forcément – avec une intention de 2ème degré.

Alors… « Ouais mais Lau’, t’es pas cohérente, alors », me direz-vous.

Dites moi, les gens…

Est-ce que ça vous arrive de sortir à poil de votre douche et de rester à poil dans votre appart’ ?

J’imagine que la plupart d’entre vous me répondra « Oui ».
Peut-être même que certain.es d’entre vous me répondra « Oui, y compris si mon copain, ma copine, mon colloc, mon frère, ma soeur, mon poisson rouge est dans l’appart' », right ?

Maintenant, dites-moi…

Est-ce que vous vous baladez à poil dans la rue ?

J’imagine que la majorité d’entre vous (mis à part éventuellement si j’ai des lectrices Femen, mais dans ce cas là, c’est dans un but précis) me répondra que non.

Et bien, la différence est similaire :

Ce qu’on peut faire dans un espace privé, entre personnes qui se connaissent, qui se respectent, ça n’est pas pareil que ce qu’on peut faire avec des inconnu.es dans un espace public.

Quand mon ami Vlad fait une quelconque blague oppressive atroce, je sais qu’il la fait au 2ème degré. Pour se moquer non pas des victimes de l’oppression, mais du comportement oppressif en lui-même.
Je le sais, parce que je le connais, parce qu’on en a parlé, parce que la donne de départ est claire.

Quand Alfred ou Gertrude, quidams lambda sur Internet, que je ne connais absolument pas, font la même blague sur une quelconque page Facebook, ou sur Youtube, ou whatever… ça n’est absolument ni pareil, ni comparable.

D’une part parce que :

– Je n’ai aucune clé en main pour savoir si Alfred ou Gertrude sont des infects homophobes ou autre comportement oppressif.
– Je sais que parmi les personnes qui vont aimer et rigoler à cette blague, il y a probablement VRAIMENT des infects homophobes ou autre comportement oppressif. Qui vont rire de la blague au pur premier degré, en se moquant EFFECTIVEMENT d’un groupe social qui en prend déjà plein la quiche de partout.
– Je sais que parmi les personnes qui vont lire cette blague, il y a probablement VRAIMENT des personnes qui vont être blessées par cette blague.

Et c’est trois excellentes raisons pour éviter à 100% l’humour oppressif dans l’espace public, MEME AU 2EME DEGRE.

(Cette réflexion vaut pour les discussions sur internet, mais elle est transposable aux humoristes, aux caricaturistes, et à toute personne faisant de l’humour dans l’espace public. Avec encore plus d’importance, vu que leur public est plus important que celui du quidam lambda qui fait de l’humour dans un groupe Facebook ou sur Youtube).

Si vous souhaitez aller plus loin dans la réflexion sur l’humour oppressif, je vous invite à aller lire cet article.

Les limites du « body positive »

« Tous les corps sont beaux ».
« Tu peux aimer ton corps, quel qu’il soit ».

Body positive« Beauté dans chaque forme et taille »

Ces messages, courants dans le mouvement « body positive », sont importants.
Il est important de rappeler qu’on peut trouver de la beauté dans chaque corps, qu’on a le droit de sortir des cases établies par une société patriarcale qui définit de manière très stéréotypée quelle est la « vraie beauté » (mince, blanche, sans handicap physique, sans cicatrices, …)
Ce message est nécessaire.

Par contre, ce message a ses limites, et on les franchit parfois allègrement.

Est-ce que seul un corps qu’on trouve beau est digne d’être respecté ?

Si la notion de « beauté » reste subjective (bien qu’il soit important de rappeler que la société nous dicte quels corps sont beaux, et que donc on ne peut pas complètement se cacher derrière « c’est mes goûts personnels »), la notion de respect DOIT être universelle.
Je ne revendique pas qu’on trouve forcément mon corps beau. Des gens vont le trouver beau, d’autres pas, et sincèrement : je m’en fous. Je ne vis pas pour être un élément décoratif dans le paysage visuel d’autrui. Tant mieux si la vision de mon corps est agréable pour la personne en face, mais si elle ne l’est pas, ça n’est pas vraiment un problème pour moi.
Ce qui est un problème, par contre, c’est quand on se prend le droit de juger de la valeur d’une personne en fonction de la beauté qu’on voit (ou qu’on ne voit pas) dans son corps.
Ce qui est un problème, aussi, c’est quand on se permet de manquer de respect à une personne au nom du fait qu’on ne trouve pas son corps beau.
Ce qui est un problème, enfin, c’est quand on se permet des injonctions (« Tu devrais perdre du poids », « tu devrais te lisser les cheveux », etc) à une personne pour qu’elle mette son corps en conformité avec des normes, ou avec ce qu’on estime être « beau ».

Plus que « tous les corps sont beaux », est-ce que l’essentiel n’est pas « tous les corps sont respectables », et « Mon corps, mes choix », pour lutter contre ces injonctions perpétuelles, et contre cette valeur centrale donnée à la beauté physique dans la valeur qu’on attribue aux personnes ?

La dysmorphophobie (définition) n’est pas uniquement sociétale

Un aspect qui me parait particulièrement problématique en terme de dérive dans le mouvement body-positive, c’est le fait que, à force de dénoncer – à juste titre – l’impact des oppressions sociétales (sexisme, racisme, grossophobie, etc), on oublie un peu que des problématiques psychiques peuvent influencer également le regard qu’on a sur son propre corps.
Tout analyser à la lumière d’un regard sociétal, c’est mettre d’emblée à l’écart les personnes qui souffrent de troubles psychiques amenant à avoir un regard biaisé sur son corps, et dé-légitimer leur vécu.
Par exemple, analyser l’anorexie uniquement au travers du « message social qui impose la maigreur », c’est extrêmement réducteur, et c’est source de souffrances pour les personnes anorexiques.
Les personnes malades psychiques sont déjà réduites au silence, dé-légitimées de toutes les manières possibles par la société.
Il serait temps de commencer à les prendre en compte au sein des mouvements militants. Y compris sur ce point précis.

On a le droit de ne pas aimer son corps, de vouloir le changer. Et on a le droit de vouloir se conformer aux normes sociales par « gain de paix ».

Le mouvement body positive ne devrait pas être source d’injonctions.
Et pourtant, il l’est parfois.
Que ça soit envers les gros.ses qui cherchent à maigrir, envers les personnes racisées qui cherchent à lisser leurs cheveux pour se conformer à un look « occidental », envers les femmes qui utilisent la chirurgie esthétique pour avoir un corps qui soit plus à leur goût, ou plus facilement acceptable socialement, le message body positive n’est pas toujours tendre.
J’ai ainsi pu voir des gros.ses se faire basher pour avoir parlé de régime, des personnes racisées se faire enjoindre (de préférence par des blanc.hes qui n’ont pas à subir la pression sociale sur leurs cheveux) à ne pas lisser leurs cheveux. J’ai vu des femmes se faire traiter de potiches parce qu’elles parlaient d’une opération de chirurgie des seins.

Mais qui serions-nous, pour décider à la place de quelqu’un d’autre que cette personne doit, chaque jour, avoir envie de militer par le simple fait d’exister, de sortir dans la rue ?
Pouvoir encaisser la pression sociale, c’est un privilège aussi. Déterminé par plein de trucs sur lesquels on n’a pas de prise (notre entourage, notre santé psychique, notre situation économique…)
La discrimination à l’embauche à laquelle on s’expose si on a un physique non conforme aux normes sociales, on ne peut pas tou.te.s décider de l’affronter plus ou moins stoïquement.
Les insultes dans la rue, on ne peut pas tou.te.s les encaisser sans trop de dommages.
La pression sociale n’est pas la même selon qu’on ait un entourage proche bienveillant ou qu’on soit isolé.e au sein d’un entourage oppressif.

Quand, au nom du message body positive, on se permet de marginaliser des gens AU SEIN MEME DES GROUPES MILITANTS, alors que ces personnes sont déjà fragilisées dans la société en général, on doit se dire qu’il y a un problème quelque part…

Lire les commentaires. Y répondre. Occuper l’espace internet

« Ne lisez pas les commentaires ».

Vous avez surement déjà lu ce conseil bienveillant lors du partage d’un article de presse sur un sujet « sensible » (racisme, homophobie, sexisme, whatever…)

C’est vrai qu’il faut dire que souvent, ça pique les yeux.
C’est à croire que tout ce que la population mondiale compte de raclure a une passion commune : commenter des articles de presse sur internet.

Le racisme décomplexé, l’homophobie relax, la haine de tout poil dégouline au fil des lignes.
Vous aviez encore des illusions sur l’humanité ? La lecture de trois ou quatre fils de commentaires suffit en général à vous les faire ranger au fond de votre cave, entre les fringues que vous ne mettrez plus jamais mais que vous gardez « au cas où » et les notes de cours que vous avez prises il y a 20 ans mais que vous ne pouvez pas vous résoudre à jeter…

Alors oui, le conseil « ne lisez pas les commentaires ! », il n’est pas insensé si vous tenez à votre moral, à votre santé mentale.

Pourtant – sadique que je suis – je suis sur le point de vous expliquer pourquoi je lis bien souvent les commentaires. Et pourquoi je passe souvent des plombes à y répondre, des fois avec pédagogie, des fois avec une ironie aussi cinglante que possible, en ravalant mes insultes uniquement pour éviter que mes réponses soient effacées par les modérateur.trices travaillant pour les journaux en question.

Et – plus sadique encore – je vais même inviter celles et ceux d’entre vous qui se sentent les nerfs assez solides pour ne pas finir en larmes ou en boule sous leur couette à faire pareil…

Donc… Pourquoi est-il important de lire les commentaires. Et d’y répondre.

Les commentaires, c’est le lieu où se rencontrent tellement de personnes non sensibilisées à toutes les discriminations que nous combattons.
C’est le « Café du Commerce » version Internet.
C’est l’endroit où on peut tâter le terrain de ce que pensent les gens non sensibilisés, non informés.
Souvent, comme je l’ai dit, ça n’est pas très glorieux…
Mais est-ce que tenter de faire tourner un peu d’information digne de ce nom, de réflexion qui vole un peu plus haut que celle de la presse mainstream, c’est forcément inutile ?

Oh, bien sûr, il en faudra plus que quelques commentaires sur le site d’un journal pour faire évoluer les choses. Evidemment.
Mais l’information, c’est une graine semée.
Des fois, le sol est beaucoup trop aride pour que la graine puisse pousser.
Des fois, elle mets des années à germer, mais elle est là, elle attend son heure ou un orage imprévu.
Des fois, contre toute attente, elle germe facilement.

Un commentaire, ça prend quoi… 1 minute ou deux à écrire. Avec un peu d’organisation (des liens sous la main prêts à être copiés, ce genre de chose), ça peut même aller plus vite.

Est-ce qu’une ou deux minutes de plantage de graine ne valent pas la peine d’être tentés ?

Au delà de cette opportunité d’éventuellement ouvrir quelques yeux… Il y a aussi, et c’est à la limite ce qui me motive le plus, même en « milieu hostile », le fait qu’en répondant (de préférence à plusieurs) à des commentaires haineux, on « occupe l’espace ».

Ce que je constate souvent, c’est que les personnes sensibilisées, investies dans diverses luttes pour plus de justice sociale, sont tellement gavés, blasés, blessés par ces commentaires haineux qu’iels ne répondent pas, ou ne répondent plus.
Et ça laisse donc tout l’espace, sans contradiction, aux haineux de tous poils.
Ce qui leur donne un message foireux : « Puisque personne ne dit rien contre ce que je dis, c’est que tout le monde pense comme moi, et donc que j’ai pleinement raison de vomir ma haine sur internet.

Je ne me fais aucune illusion sur le fait de « changer le monde » à coup de commentaires sur des articles de presse.
Mais, à l’heure où sur fond de « crise des migrants », la haine décomplexée se gerbe partout sur internet, à l’heure où les réseaux sociaux et les modérateurs des sites des journaux se bornent à modérer les photos de seins, tout en laissant des appels clairs et nets au meurtre et à la haine dégouliner partout, je pense vraiment qu’il est important de ne pas céder cet espace aux haineux de tous poils.
Aussi décourageant cela soit il de lire des messages dégoulinants de haine, de discrimination… Occuper l’espace, se faire entendre, c’est important.
Et c’est vrai aussi dans ce contexte là…

Hebergeur d'image

En fait, la psychophobie, tout le monde s’en badigeonne le nombril ?

Hebergeur d'image

Je suis furax.
Ouais vous allez me dire, je suis souvent furax quand je parle de psychophobie, et effectivement, c’est un sujet qui a tendance à me défriser (et pourtant, sérieux, y a du boulot pour me défriser, aucun fer à lisser n’y est jamais arrivé…)

Je ne vais pas dire que je me suis « faite » à la psychophobie de la société en général, hein, parce que non, je ne m’y fais pas, je ne veux pas m’y faire, et je compte bien continuer, à mon échelle, à lutter bec et ongle là contre.

Mais disons… Elle ne m’atteint plus trop. J’ai appris à ne plus me laisser démonter la gueule par ces remarques, ces incompréhensions, ces discriminations.
Elles sont là, je les combats autant que faire se peut, mais j’arrive à « faire avec ».

Par contre, je crois que je ne m’habituerai jamais au fait que, même dans les milieux militants, même parmi des gens qui se bouffent de plein fouet d’autres discriminations dans la gueule, la psychophobie, bah sérieusement, pas grand monde en a quoi que ce soit à foutre.

Utiliser des termes psy pour qualifier un politicien qui se comporte comme une crevure ? Pas de souci.
Qualifier un violeur de « cinglé », de « fou », alors même que personne n’a jamais évoqué un quelconque diagnostic psy ? Pas de problème.
Renforcer l’amalgame entre « malade mental » et « malsain/violent » ? Tranquille.

Et quand tu as l’audace de le faire remarquer ?
– « Tu détournes la conversation pour ne pas avoir à checker tes privilèges et puis d’ailleurs tu monopolises la conversation alors que tu n’es pas concernée » (Si, je suis concernée par la psychophobie, alors t’es mignon.e mais tu appliques tes théories à toi-même, tu « check tes privilèges », tu « laisses la parole aux concerné.es », et tu fais un minimum gaffe, NOM D’UN CHIEN !)
– « Tu fais la police du langage, tu fais chier ». (Ouais, bah écoute, on va voir si tu vas pas faire la « police du langage » si on prend le droit de qualifier les politiciens foireux de « nègres », ou de « PD », tiens… Ah ouais, ca te plairait très moyen, hein ? Alors pourquoi, sérieusement, on devrait accepter de voir « schizo », « taré », « cinglé », « fou » utilisés comme insultes, en fait ?)

Voir une pareille indifférence concernant la psychophobie parmi des personnes luttant contre d’autres oppressions, sensibilisées, habituées à la démarche militante et intellectuelle d’écouter et de prendre en compte la parole des personnes concernées me déglingue infiniment plus que de voir le quidam lambda avoir la même indifférence.

Ils/elles sont où, les allié.es, quand on parle de lutte contre la psychophobie ? J’en vois pas beaucoup. J’ai cette sale impression qu’on devra tout faire, vraiment tout, par nous-même. Nous les concerné.es.
J’en suis à avoir un sourire béat aux lèvres quand une personne, parfois, répond « Ah oui, désolé.e, je change ça », sans avoir à tergiverser et argumenter pendant deux heures. Comme si j’avais reçu un merveilleux et surtout inattendu cadeau.

C’est supposé être une agréable surprise, quand à l’intérieur même d’un milieu militant luttant pour plus de justice sociale, quelqu’un prend en compte la parole d’une personne concernée ? Ca ne serait pas plutôt supposé être la démarche normale ?

A croire que les discriminations et les violences (sociales, physiques, psychologiques, sexuelles) auxquelles les personnes atteintes dans leur santé psychiques sont exposées (4 fois plus de personnes victimes de violences parmi les personnes malades psychiques que parmi les personnes en bonne santé psychique, c’est pas assez gros, comme chiffre ?), c’est une joyeuse blague.
A croire que même là, la parole des personnes concernées, on la remet un peu en question, quand même, parce que après tout, c’est des fous, va savoir ce qui se passe dans la tête des fous, peut-être qu’ils grossissent le trait après tout…

A croire que défendre les personnes touchées par le racisme, l’homophobie, le sexisme, whatever… ça autorise quand même un peu à fermer les yeux sur ce que se bouffent dans la gueule les malades psy, hein ?

(note : l’image en début d’article est tirée du site « C’est d’la M@rde« , une campagne québecoise de lutte contre les préjugés sur la maladie psychique et la stigmatisation des personnes qui en sont atteintes)

« Sois fier.e de ce que tu es », ou comment culpabiliser celles et ceux qui n’y arrivent pas…

On vit dans un monde où les « Prides » se multiplient.
Dans un culte de la visibilité.
Pour contrebalancer les discriminations, les militant.es luttant contre tout plein de formes de discrimination ont fait le choix (que je ne critique en aucun cas, il est absolument nécessaire, ce choix !), de la visibilité. De montrer qu’on peut être homo/trans/gros.se/malade psychique/handicapé.e/racisé.e/toute autre catégorie socialement discriminée, et le revendiquer.
De montrer qu’on peut lutter contre l’injonction que nous fait la société à se terrer dans un trou de souris et à nous faire le plus possible oublier.

Sortir du placard.
Faire son coming-out.
Descendre dans la rue.

Mais aussi :

Ne pas plier devant les insultes.
Se blinder pour ne plus qu’elles nous touchent.
Etre fier.es de nous.

Tout ça, je l’ai dit, et je le répète parce que je pense qu’on ne le dira jamais vraiment assez… C’EST NECESSAIRE. Il faut le faire. Récupérer l’espace public, les médias, la parole. Imposer notre présence et notre existence, sans attendre un hypothétique monde meilleur où on nous laissera de la place.

Du moins… Il faut que des gens le fassent.

Je suis par contre un peu dubitative, et un peu inquiète, quand je vois cette visibilité devenir une injonction. Quand je vois les personnes qui disent leur désarroi face aux discriminations et aux insultes se voir enjoindre à « prendre confiance en elles », à « s’affirmer », à « ne plus se laisser atteindre ».

Mouais.

Des exemples ?

Ils seront, une fois encore, tiré d’échanges sur internet (on pourrait presque croire que je passe ma vie sur internet, hein, à force. Mais promis, des fois je sors de chez moi. Ca arrive!) :

Un journal publie un article sur le coming out de ne je sais plus quelle star quant à son homosexualité.
Dans l’échange de commentaires qui s’en suit, je lis notamment que « les stars homos devraient toutes faire leur coming out public, ça serait un message fort contre l’homophobie ».

Mouais… Et si elles n’en ont pas envie ?
Et si elles n’ont pas la force de se farcir des centaines de haters homophobes ?
Cela ferait-il d’elles des homos moins dignes de respect ? Des stars moins dignes d’intérêt ?

Autre exemple. Dans une discussion sur les insultes grossophobes, une personne dit qu’elle rentre chez elle en miettes à chaque fois qu’elle se fait insulter dans la rue.
Réponse : il faut que tu prennes confiance en toi, il faut que tu t’affirmes, « ton corps tes choix ».
Surement. Dans l’absolu, surement que ça serait « le mieux/l’idéal ».
Mais je crois que dans cet échange, la personne aurait surtout eu besoin qu’on la rassure, qu’on lui dise que non, elle n’a pas à vivre ça, que c’est dégueulasse qu’elle ait à subir ces insultes. Et aussi qu’elle n’est pas faible et méprisable d’être atteinte par ces vacheries.

Ce sont deux situations relativement différentes, entre la star homo et la grosse insultée sur son poids, mais…
J’ai l’impression que l’injonction sous-jacente est la même :

C’est aux personnes discriminées d’être fortes et fières, d’être des rocs sur lesquels l’océan des discriminations diverses viendra se briser et s’échouer.

Pour autant… Je suis inquiète. Inquiète que cette nécessaire visibilité ait pour dommage collatéral de mettre un coup de botte supplémentaire sur le crâne des personnes qui, pour x raisons, ne peuvent pas ou ne veulent pas avoir cette visibilité. Des personnes qui, pour x raisons, n’arrivent pas à rester de marbre sous les insultes.
Non seulement la société les dévalorise et les écrase parce qu’elles sont homo/trans/gros.se/malade psychique/handicapé.e/racisé.e/toute autre catégorie socialement discriminée…
Mais leurs « semblables » les dévalorisent parce qu’elles n’arrivent pas à « s’assumer ».

A ces personnes là, à celles qui restent dans le placard ou qui chialent sous les insultes, j’ai envie d’adresser ce message :
Vous êtes tout autant valables et importantes et précieuses et dignes que les personnes qui brandissent une banderole dans la rue.
Vous êtes tout autant valables et importantes et précieuses et dignes que les personnes qui prennent leur plume ou leur clavier pour écrire des textes militants.
Vous êtes tout autant valables et importantes et précieuses et dignes que les personnes qui peuvent encaisser les insultes sans broncher.

Et surtout : ça n’est pas aux personnes discriminées d’arrêter de souffrir et d’avoir peur… Mais à la société d’arrêter de discriminer et d’écraser.

Cher.es allié.es, arrêtez de gueuler plus fort que les concerné.es.

Y a un truc qui me sort par les yeux, par les narines, par les pores de la peau, et par tous les orifices que vous voudrez bien imaginer…
Un truc qui me donne envie de faire manger des touches de clavier à pas mal de monde, avec un peu de tabasco pour aromatiser…
Un truc qui [insérez ici toute manifestation d’exaspération massive que votre imagination va pouvoir concevoir]

(En vrai, je ne ressemble plus à cette image depuis longtemps, mais
y a un petit air de ressemblance avec moi y a 30 ans, et cet enfant a l’air super furax)

…C’est les allié.es qui gueulent plus fort que les personnes concernées.

Je vais cibler surtout le militantisme internet dans ce texte, parce que c’est ça que je connais le mieux, mais je suis pas mal certaine que ces gens-là, on les retrouve dans les assos, dans les collectifs militants IRL, dans les manifs.
J’ai tendance à croire que des emmerdeur.euses, y en a partout, hein.

Mais bon. Comment ça se manifeste sur internet ?

Ces personnes, t’as l’impression qu’elles sont furax du matin au soir, sur tous les sujets, sur toutes les causes possibles et imaginables. Elles sont concernées ou alliées ultra-virulentes de TOUTES les oppressions, de TOUS les combats.
Alors je dis pas, hein, c’est bien de se sentir concerné.e par la justice sociale. Je ne critique pas ça.

Par contre, je critique le mode dragon énervé, tout feu tout flammes, à tout propos. Le genre de truc qui fait que tu as des sueurs froides quand tu écris un post de blog ou un commentaire sur un forum ou un groupe de discussion, en te demandant si toutes les virgules sont bien placées, si tu as vraiment utilisé le meilleur terme possible pour chaque idée, et si tu vas pas te prendre un coup de souffle de dragon en travers de la face.

Je comprends totalement qu’une personne concernée par une situation oppressive ait pas toujours les nerfs à être zen, polie, argumentative, calme et posée face à un propos de merde dans un débat.
Même si personnellement j’essaie de rester un minimum pédagogue, parce que je pars du principe qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, et que si j’ai envie que la personne en face comprenne en quoi son propos a été merdique, c’est quand même mieux si elle a envie de lire mon message jusqu’au bout, et qu’elle n’a pas le sentiment que je lui arrache le mollet avec les dents au bout de trois mots… Je dois bien reconnaitre que y a des fois où self-control fail, et où la personne qui va en rajouter une couche sur des situations oppressives que je vis à longueur de journée, elle va se prendre une volée de bois vert. Ouais. Ça m’arrive, je ne suis pas une sainte, faut pas déconner.

Par contre, qu’est-ce que ça peut me gonfler quand la même volée de bois vert, elle vient d’une personne qui n’a aucune raison, dans sa situation personnelle, de réagir avec ses tripes plutôt qu’avec son cerveau !

Je trouve que c’est un foutu manque de respect envers TOUT LE MONDE.

Et en premier lieu, ENVERS LES PERSONNES CONCERNÉES.

Quand je vois, par exemple, une personne mince, qui n’a jamais été en surpoids, qui n’a jamais vécu concrètement la grossophobie, sauter verbalement à la gorge d’une personne qui a tenu des propos grossophobes, j’ai toujours envie de lui dire « Tant qu’à gueuler à ma place comme si c’était toi qui était concernée, tu veux pas prendre mes kilos, aussi, histoire d’avoir une bonne raison pour le faire ? ».
En tant que concernée, je ne VEUX PAS qu’on me vole mes coups de colère, qu’on se sente légitime à ma place pour aller gueuler. NON. NOWAY.
Ça part surement d’une bonne intention (quoi que j’en sais rien, je reviendrai plus tard dans cet article sur les motivations que je perçois à ces comportements là… Et elles sont de loin pas toutes bonnes !). Mais c’est du vol caractérisé. Du vol de colère. Du vol de parole.

Dans le genre « wtf de l’extrême », j’ai aussi vu des allié.es gueuler sur des personnes concerné.es. Genre salement. Parce qu’elles n’étaient pas « concerné.es comme il faut ».
Un exemple qui m’a particulièrement fait grincer des dents, c’est de voir des allié.es de la lutte pour la reconnaissance et la dépénalisation des métiers du sexe tomber abraracourcix sur une ancienne travailleuse du sexe, qui elle avait carrément mal vécu son passage par la prostitution, et qui est maintenant militante abolitionniste.
Posons clairement les choses, je ne suis PAS abolitionniste dans mon positionnement sur ce sujet. Du tout. Je connais plusieurs personnes qui sont ou ont été travailleurs.euses du sexe, et mes échanges avec elles/eux m’ont amenée à être même carrément « pro-pross' » (comme disent les plus virulent.es des militant.es abolitionnistes).
MAIS, par contre, moi de mon petit vécu de nana qui n’a jamais fait payer qui que ce soit pour du sexe, je trouve ça à gerber qu’on aille expliquer, alors qu’on ne s’est jamais prostitué.e, à une ex-travailleuse du sexe, que son vécu et son positionnement, il n’est pas légitime.
Qu’on puisse ne pas être d’accord avec elle : soit. C’est une chose.
Qu’on puisse argumenter, discuter ses choix de positionnement politique et militant : soit.
Que des travailleurs.euses du sexe soient furax contre ce positionnement, parce ils/elles craignent que ça n’appuie des lois et des attitudes qui les foutent en danger, et du coup gueulent un grand coup : c’est légitime.
Mais bon dieu, quand je vois des personnes qui sont purement des allié.es lui gueuler dessus, se foutre de sa gueule ou toute autre forme de communication bien violente et méprisante… What The Fuck ?
Et… J’ai aussi vu, en masse, l’exemple exactement opposé hein (non, les méthodes crades ne sont pas que dans un camp. Ca serait bien pratique de le croire, ça simplifierait peut-être les choses, ça permettrait d’avoir un truc bien manichéen genre les gentil.les vs les méchant.es, mais NON).
Des militant.es abolitionnistes, qui n’ont jamais été travailleur.euses du sexe, s’en prendre abraracourcix à des personnes qui sont ou ont été travailleur.euses du sexe, en se faisant les « portes paroles » très énervé.es et virulent.es des ex-travailleurs.euses du sexe qui sont devenu.es abolitionnistes, j’en ai vu aussi pas mal !
(et des exemples de ce genre là, j’en ai à la pelle, hein. Pas croire que ça se limite au sujet « abolitionnistes vs légalistes par rapport à la prostitution »).
En clair, on se permet, en tant qu’allié.es, de décider quelles personnes concerné.es sont légitimes ? Voire quelles personnes concernées sont digne d’un minimum de respect dans les échanges ? Voire d’être carrément insultant.es et méprisant.es envers DES PERSONNES CONCERNEES ?! Dites, y aurait pas comme un problème ?

C’est un manque de respect aussi envers les personnes qui vont se manger cette colère dans la gueule. Parce que gueuler sur quelqu’un quand on est légitimement touché dans ses tripes, c’est normal, c’est compréhensible, c’est humain, et quelque part c’est sain (pour se faire entendre, mais aussi pour arrêter de se creuser des ulcères à coup de rage ravalée).
Par contre, gueuler sur quelqu’un (à plus forte raison quand il s’agit de personnes qui ont fait une « gaffe », mais qui n’ont pas intentionnellement été oppressives) quand on n’a absolument pas cette légitimité de « ça me touche dans mes tripes » pour le faire, c’est juste gueuler pour gueuler, et considérer qu’on est TELLEMENT supérieur.e à la personne en face qu’on a le droit de lui beugler dessus. Paye ta lutte pour un monde plus juste et égalitaire, non vraiment !

Maintenant… Passons à mon analyse (qui vaut ce qu’elle vaut, qui n’est pas le moins du monde scientifique et statistique, mais qui part de mon observation et de ma fréquentation de ce milieu militant sur internet depuis un an et des brouettes) sur les motivations de ce comportement :

Militer, ou passer ses nerfs ?
J’avoue que quand je vois ses comportements, j’ai souvent la sensation vachement désagréable que pour certaines personnes, militer, c’est une manière de passer ses nerfs, de passer ses frustrations de la journée, de décompresser du patron chiant, de la machine à café qui marchait pas, de la pluie et du train en retard.
Sans déconner, NON ! Stop.
Mes emmerdes, mes oppressions, j’ai vraiment pas envie que ça soit utilisé comme un prétexte, un peu comme un sac de frappe dans une salle de sport, pour passer des nerfs, par des personnes absolument pas concernées.
Je ne sais pas ce qu’en pensent les autres, hein, ce qu’en pensent les autres personnes qui vivent les mêmes oppressions que moi ou d’autres oppressions, je parle juste en mon nom, mais quand je vois des « militant.es » absolument pas concerné.es, se servir du prétexte de « mes » oppressions pour « se passer les nerfs sur un grossophobe », par exemple, alors que jamais elles n’auront eu à se bouffer toutes les conséquences de la grossophobie dans la gueule… J’ai juste envie de hurler. Merci, mes emmerdes ne sont pas un sport, un jouet, un défouloir, donc argumente, discute, réfléchit, ouais, mais si tu tiens à seulement gueuler, SHUT THE FUCK UP !

Militer pour changer les choses, ou militer pour faire partie « des gentils » ?
Ouais, c’est assez valorisant, de se dire qu’on est « du bon coté », pas du coté des méchants, pas du coté de ceux qui oppriment, pas du coté du Mal.
C’est assez valorisant d’être reconnu.e comme tel. C’est humain, tout le monde a un égo, tout le monde a envie de se sentir valorisé.e, tout le monde a besoin d’appartenir à un groupe. De préférence à un groupe dont les valeurs ne nous foutent pas la gerbe.
Alors ouais, on a envie d’être « plutôt bien vu.e » de la part des autres militant.es.
Et j’ai la sale impression que cette attitude « tous crocs dehors sur tous les fronts », c’est justement un moyen d’être bien vu.e, d’être reconnu.e.
Gratter sa reconnaissance personnelle sur le dos des personnes directement concerné.es… Ca craint.

Au delà de ces réactions euh… un peu émotionnelles et épidermiques, passons à la partie « efficacité du procédé », si vous le voulez bien ?

J’ai déjà épilogué sur ma manière de voir la Colère placée en Manière ultime de militer dans un autre article (Je suis une « tiède » et peut-être bien un peu fière de l’être), donc ça sera peut-être un peu une redite, mais…

Je ne crois pas en l’efficacité du militantisme uniquement par la colère, par les beuglements énervés et par les coups de gueule.
Je ne crois pas qu’on puisse « changer le monde » (ouais, rien que ça. Vaste programme !) juste avec de la colère, de la hargne et du raz le bol. Je ne crois pas au pouvoir de conviction de la colère si elle n’est pas accompagnée de pédagogie. Je crois profondément que les deux se complètent.
Et sincèrement, s’il n’est pas toujours facile d’être pédagogue quand c’est sur une problématique qui nous retourne personnellement le bide… C’est aussi le rôle des personnes qui ne sont pas personnellement prises au tripes d’amener cette partie là du travail et du changement. Je pense que la colère des concerné.es, oui, elle peut aussi amener à des prises de conscience. Par l’effet de choc. Par le « Pour qu’il/elle réagisse pareillement, c’est que doit y avoir un vrai problème ». Parce que oui, souvent, tant qu’on n’a pas gueulé un grand coup, mis le poing sur la table voire dans la gueule, c’est très confortable de ne pas écouter les concerné.es.
Mais je crois profondément aussi au pouvoir de changement de la pédagogie. Et être « allié.e », et pas directement pris.e au bide, ça rend quand même vachement plus facile d’occuper ce rôle pédagogique, hein !

Au delà de cette notion d’efficacité, il y a une autre notion qui me tient à cœur : garantir que le changement, il se passe dans des conditions un minimum éthiquement acceptables. Pas à coup de harcèlement, de menaces, d’insultes, de violence.
Et là aussi, je trouve ultra dangereuse cette récupération de la colère par les allié.es. Parce que j’ai souvent vu des personnes absolument NON CONCERNÉES aller nettement plus loin dans la violence, ou au moins tout aussi loin, que des concerné.es.
Et franchement… J’ai pas envie d’une construction d’un monde plus juste, où serait maintenu le rapport de force « celui qui gueule le plus fort et cogne le mieux a le plus de pouvoir ».

Ces allié.es qui gueulent plus fort que les concerné.es, qui insultent, qui rabaissent, qui sont condescendant.es, quelle place occuperont-ils/elles dans un futur où le monde aura évolué vers plus de justice sociale ? Resteront-ils/elles fidèles à cette justice sociale, ou seront-ils/elles les nouveaux tenant.es du pouvoir ?
J’avoue que la réponse qui me vient en tête n’est pas pleine d’optimisme.

Mais à vous aussi de construire la vôtre, de réponse.