Gros coup de gueule, parce que le coté « running gag vraiment pas drôle » de mes combats avec des services d’urgence pour envoyer les secours à des personnes de mon entourage en pleine crise suicidaire (voire ayant concrètement fait une tentative de suicide) commence franchement à me sortir par les yeux.
On va commencer par quelques petits récits concrets, pour que les personnes qui ne se sont jamais retrouvées confrontées à ces situations puissent ouvrir un peu les yeux sur cette sympathique réalité.
En commençant par le dernier en date.
Hier soir (ou plutôt la nuit dernière), une amie m’a appelé. Appelons la A.
En pleine crise suicidaire, complètement bourrée, elle m’a appelé pour me dire adieu, me demander de ne pas être triste de sa mort.
Inutile de préciser que je ne l’entendais pas vraiment de cette oreille, et que, après avoir essayé vainement de l’aider à se calmer et de la convaincre de retourner chez l’amie chez qui elle était supposée passer la nuit, je lui ai envoyé les secours.
Enfin, « je »… Par l’intermédiaire d’une autre amie, parce qu’il se trouve que A. se trouvait à ce moment là aux Pays-Bas et que je ne parle pas un traitre mot de néerlandais. Donc une autre amie – qui se dépatouille en néerlandais – a appelé les secours de la ville où se trouvait A, leur expliquant la situation (crise suicidaire + complètement bourrée), leur expliquant où se trouvait A. (à la gare, où elle projetait de se foutre sous un train).
Pendant que cette amie appelait les secours, je restais autant que possible avec A. au téléphone.
Et là où l’épisode vire au gros n’importe quoi, c’est que…
Il a fallu une bonne 20aine de minutes aux services de secours à se décider à bouger (après avoir rappelé l’amie qui les avait appelé, pour leur demander si c’était vraiment « toujours d’actualité »…).
Partis après une 20aine de minutes, ils sont arrivés une bonne 40aine de minutes après l’appel…
Pour demander à A. « Si c’était pour elle que quelqu’un avait appelé ». Elle a répondu que oui, mais qu’elle prendrait le train.
Et… c’est tout. Les flics qui avaient déjà mis un bon 40 minutes à arriver se sont contentés de ça, malgré le fait qu’on leur ait dit que A était suicidaire, à risque de se foutre sous un train.
Relax.
Heureusement, A. a réussi à gérer, à ne pas faire de connerie. Heureusement aussi, A. avait une amie au téléphone (ce qui ne fait pas de miracles, hein, mais peut aider un peu).
Mais ça en dit long sur le « sérieux » de la prise en compte de la crise suicidaire par les secours, n’est ce pas ?
Un autre exemple ?
Une amie a gobé un plein flacon de Tercian.
Il a fallu qu’on s’y mette à trois pour appeler les secours successivement pour qu’ils se décident à prendre en compte l’appel.
Et il a fallu insister lourdement pour qu’ils forcent sa porte, vu qu’ils comptaient à la base faire demi tour face au fait qu’elle ne répondait pas à la sonnette.
Et pour cause : entre temps, le Tercian avalé avait fait son petit effet, et elle était inconsciente. Si nous n’avions pas aussi lourdement insisté, il est plausible qu’elle y serait restée.
(Edit : l’amie en question ayant lu mon article, elle apporte une petite correction… Qui rajoute à l’absurde de la situation.
Les secours n’ont pas eu à forcer sa porte : elle n’était pas verrouillée.
Donc… ils étaient sur le point de faire demi-tour alors qu’ils n’avaient qu’à… appuyer sur la poignée de la porte. Il a fallu insister pour qu’ils fassent ce geste oh combien pénible : appuyer sur une poignée de porte. Pour trouver une personne inconsciente dans son appartement).
Encore un autre ?
Une amie se présente aux urgences psychiatriques. Dit clairement être suicidaire, venir parce qu’elle a peur de faire une connerie. Je l’accompagne.
Les urgences psychiatriques sont surchargées.
On la fait poireauter pendant plus de deux heures dans une salle d’attente bondée (vous avez dit « angoissant » ? Mais non voyons. Surtout pas pour une personne phobique sociale, hein…).
Elle finit par tellement saturer qu’elle retourne à la réception pour dire qu’elle se casse (moi à sa suite pour le coup, parce qu’il est hors de question pour moi de la laisser seule à ce stade là des événements).
La réceptionniste appelle le service des urgences psy, où personne ne juge utile de se déplacer à la réception pour ne serait-ce que prendre 5 minutes pour évaluer la situation.
« Ok, vous pouvez partir ».
Et c’est tout.
Aucune vérification que cette amie ne serait pas seule ce soir là (en l’occurence, j’étais dispo pour passer la soirée avec elle. Mais ils n’ont absolument pas vérifié que c’était le cas).
Aucune vérification de… quoi que ce soit en fait. Juste « Ok, vous pouvez partir ».
Ces trois épisodes se sont bien terminés. Malgré des réponses complètement à coté de la plaque de la part des professionnels, ces trois personnes sont encore en vie.
Un autre me reste spécialement en travers de la gorge, parce qu’il s’est nettement moins bien terminé.
Le 18 octobre 2012, Cindy entre aux urgences psy de Grenoble. Elle est suicidaire. Très.
Son copain arrive à la convaincre d’aller aux urgences psy, de se donner une chance.
Elle y passe la nuit, pour être en sécurité.
Pendant la nuit, elle envoie des SMS pour le moins alarmant à plusieurs personnes, leur faisant ses adieux. Leur annonçant son suicide pour le lendemain.
Ses adieux me revenant aux oreilles, par son copain paniqué, par une amie commune non moins inquiète, j’appelle les urgences psy de Grenoble.
Où la réponse est pour le moins surprenante, quand j’explique la situation.
« C’est de la demande d’attention, elle veut vous inquiéter, on va lui prendre son portable pour qu’elle laisse ses proches dormir ».
C’est très gentil de se préoccuper de notre sommeil, hein, mais c’était pas VRAIMENT CA LA PRIORITE.
Je leur demande explicitement de ne pas la laisser sortir le lendemain, qu’elle est trop à risque, qu’elle a besoin d’aide, vraiment, D’AIDE.
On me fait gentiment comprendre que ça n’est pas moi qui vais leur apprendre à faire leur boulot, avant d’écourter l’appel.
Très moyennement convaincue (doux euphémisme) de la réponse que j’ai eu, je rappelle son copain, lui demandant d’envoyer un mail au psychiatre de Cindy, dont il a l’adresse mail.
Ce qu’il fait.
Sur la base de ce mail, dès son arrivée à son cabinet, le psychiatre appelle lui aussi les urgences psychiatriques pour les informer de risque suicidaire important dans lequel est Cindy.
Pourtant, à 10h du matin le 19 octobre, après un bref entretien avec une psychiatre, on laisse Cindy sortir.
Cindy qui m’appelle pour me reprocher « ma trahison » avec des mots qui resteront gravés longtemps encore dans mon crâne.
Qui m’explique qu’on lui a bien fait comprendre qu’elle n’est qu’une demandeuse d’attention.
Cindy s’est suicidée ce même 19 octobre.
Alors que les urgences psychiatriques avaient tout en main pour savoir que la laisser sortir était une vaste connerie.
Elle est morte de ses souffrances, de sa maladie psychique.
Mais elle est aussi morte de la non-prise en compte de sa situation par des professionnels pourtant formés pour ça.
La crise suicidaire est une vraie urgences vitale et on la traite comme un caprice.
On me répondra peut-être que ces personnes auraient dû demander de l’aide plus clairement.
Ne pas envoyer bouler le flic devant la gare.
Patienter aux urgences psy.
Demander à l’être hospitalisée au lieu de sortir pour aller se butter.
Sauf que (merci Captain Obvious), le fait de ne plus avoir envie, plus la force, plus le courage de continuer à lutter, c’est LA DEFINITION MÊME de la crise suicidaire.
Alors non, on ne peut pas demander à une personne dans cet état de faire des pieds et des mains pour être aidée.
Si déjà elle arrive à mettre d’elle-même les pieds aux urgences psychiatriques, c’est un exploit. Un réel exploit, je veux dire.
Alors non, on ne peut pas lui demander de compenser l’incompétence et le manque de sérieux des professionnels. Vraiment pas.
Le manque de prise en compte des situations de crise suicidaire par les professionnels des secours est un vrai scandale.
Un complet non-sens en terme de compétences professionnelles.
Et un révélateur massif de la psychophobie de notre société, où les malades psychiques sont vus comme capricieux, comme pas crédibles, comme des « demandeur.euses d’attention ».
Et on ne peut pas voir ça comme des incidents isolés.
Le fait qu’à moi seule, je puisse donner 4 exemples concrets de ces situations en dit long.
Je pense que plein, plein, plein de monde aurait des histoires similaires à raconter.
Celles là ont eu lieu dans mon entourage proche, mais j’en ai entendu plein d’autres racontées par d’autres.
(à vrai dire, j’aurais pu en rajouter encore au bas mot 5 anecdotes supplémentaires si je n’avais pas craint de faire fuir les lecteur.trices par un article trop long et par une multiplication d’exemples au final assez similaires les uns aux autres, sur fond de secours qui ne se déplacent pas ou ont une intervention totalement inadéquate, d’urgences psychiatriques où le mot « urgence » est là juste pour faire joli.)
On ne peut pas non plus attribuer ça à l’incompétence locale des secours dans tel ou tel pays : ces 4 situations ont eu lieu respectivement aux Pays-Bas, en France et en Suisse…
Donc encore une fois, j’ai envie de m’adresser dans cet article aux professionnels.
Médecins, psychiatres, mais aussi flics, pompiers, ambulanciers :
Quand on vous appelle pour une personne suicidaire, qu’elle ait déjà passé à l’acte ou qu’elle menace de le faire : C’EST UNE URGENCE VITALE.
Tout autant qu’une crise cardiaque.
Tout autant qu’un accident de la route.
Et ces personnes méritent des soins de la même qualité que ceux que vous accorderiez à une victime d’une crise cardiaque ou d’un accident de la route.
Ca n’est pas un caprice. Ca n’est pas « une demande d’attention qu’il ne faut pas prendre en compte ».
C’est une situation où la personne peut mourir.
L’idée reçue disant qu’une personne qui parle de suicider ne le fera pas EST COMPLETEMENT FAUSSE.
Et en minimisant ce risque, je n’ai aucun scrupule à dire que vous avez du sang sur les mains et des morts sur la conscience.