Les personnes âgées ne sont pas des bébés ni des choses

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Coup de gueule un peu plus personnel que les autres, celui-ci. Un peu plus à vif, aussi, parce qu’il parle d’une situation dans laquelle je patauge au quotidien en ce moment, avec ma maman hospitalisée…

Ma maman…
78 ans, une santé plutôt solide jusqu’à tout dernièrement, malgré ses deux paquets de clopes par jour depuis aussi longtemps que je m’en souvienne (et même plus longtemps que ça. Pour la petite histoire, je suis un « bébé clope », ma mère n’a jamais arrêté de fumer pendant sa grossesse, preuve que les injonctions autoritaires aux femmes à arrêter de fumer à tout prix pendant leur grossesse sous peine d’accoucher d’enfants malformés de partout, c’est un peu du bullshit…).
Et puis là, les merdes de santé qui s’empilent, le malaise dans la rue qui l’amène à l’hosto, la pneumonie, la pleurésie…

Et puis aussi… La mémoire qui part un peu en vrille, le sens du temps et de l’espace qui s’émousse. Ma maman qui ne sait plus toujours trop bien où elle est, qui oublie un peu ce qu’on lui dit, qui ne s’y retrouve plus très bien.
Ma maman qui n’est plus trop autonome, qui a besoin d’aide.

Ma maman que je me retrouve un soir à aider à manger, à la fois émue et un peu flippée de ce renversement des rôles, elle qui m’a aidé à manger avant que je sache le faire toute seule.

Mais qui – NOM D’UN CHIEN – n’en est pas moins une personne adulte.

Et, bon dieu, je vais finir par greffer la potence à perfusion de ma mère dans le nez de quelques personnes.

La personne de ma famille qui lui parle comme si elle avait 4 ans (et qui s’en fout totalement – ou se vexe mais sans pour autant modifier son comportement – quand ma mère manifeste tant bien que mal son agacement à se voir ainsi traitée comme une gamine.). Qui lui impose son aide pour couper son repas, au lieu de la lui proposer. Qui lui grattouille la joue comme celle d’un nourrisson (alors que ma mère n’est définitivement pas quelqu’un de très tactile, et que même étant quelqu’un qui aime le contact physique, je pense que je mordrais toute personne qui me touche de cette manière là…)

L’infirmière qui vient m’expliquer le traitement de ma mère, en présence de ma mère couchée dans son lit, mais sans s’adresser à elle le moins du monde, et qui me parle de ses problèmes de mémoire et de désorientation, comme ça, cash, devant elle, sans ménagement (et sans lui en avoir parlé au préalable, évidemment), pour dire, comme ça, cash, devant elle, qu’il parait improbable qu’elle récupère toute son autonomie et qu’il va falloir prévoir des aides à domicile pour quand elle sortira de l’hôpital (chose dont je me doutais déjà, sur laquelle j’interpellais les infirmier.es depuis quelques jours sans vraiment avoir d’écho et de réponse, mais que j’aurais vraiment, VRAIMENT voulu voir évoquée avec un peu plus de tact avec ma mère… et surtout, en lui parlant A ELLE, nom de dieu).
C’est de son autonomie qu’il s’agit, de sa vie, de son quotidien qu’on va joyeusement chambouler.
Et cette infirmière, tranquille, à l’aise, puisque ma mère est un peu désorientée et confuse, se prend tranquillou le droit de m’informer DEVANT MA MERE MAIS SANS LUI PARLER, qu’on va devoir remettre en question l’autonomie de ma maman.
Et qu’on ne me parle pas de « manque de temps » et de stress du personnel hospitalier, par pitié : certain.es arrivent très bien à parler de manière respectueuses aux patient.es, même âgé.es, même diminué.es dans leurs capacités cognitives.
Dans ce cas précis, il n’aurait définitivement pas pris plus de temps à l’infirmière de s’adresser à ma mère tout en m’expliquant les choses, ou de me demander de sortir de la chambre 5 minutes pour me parler dans le couloir et que je puisse ensuite tranquillement, sans stress, expliquer notre discussion à ma mère et évoquer les aides à domicile…

Elle est adulte, nom de dieu.
Elle est adulte.
Elle a affronté des trucs dans sa vie qui auraient mis à terre pas mal de monde.
Elle a un caractère de chacal (on me souffle dans l’oreillette que le mien est assez similaire… Le fruit qui n’est pas tombé très loin de l’arbre, quoi !), elle a toujours mis (des fois au mépris du bon sens et par fierté mal placée, mais bon…) un point d’honneur à ne pas demander d’aide, à s’en sortir par elle-même (financièrement, psychologiquement). Et là, à l’aise, on ne la consulte même pas, on ne l’informe même pas, et on m’explique devant elle qu’elle va avoir besoin d’aide dans sa vie quotidienne. Comme si le fait qu’elle ait la mémoire en vrac et l’orientation spatio-temporelle en grève la dépossédait de son statut d’adulte, voire peut-être même un peu de son statut d’être humain à part entière.
Pour devenir au mieux un bébé pas à même de comprendre ce qu’on lui dit, au pire un espèce de truc posé dans un lit avec un drain dans la cage thoracique.
Et là, à l’aise, une personne de sa propre famille se prend le droit de la traiter comme un bébé, et de n’en avoir rien à foutre de ses demandes d’être traitée en adulte.

Le respect, bon sang, le respect, les gens…

Et ça m’amène à une réflexion un peu plus générale, un peu plus posée, un peu plus large.

Quand une personne âgée perd son autonomie et (temporairement ou définitivement) ses capacités cognitives, on a avec elle exactement le comportement qu’on a vis-à-vis des personnes avec des troubles psy :
– On s’adresse aux proches plutôt qu’à elles, comme si prendre le temps d’expliquer les choses malgré les troubles, d’adapter le discours si besoin, mais de prendre en compte la personne avant tout, c’était optionnel.
– On les infantilise, alors que ce sont des adultes.
– On ne prend pas en compte leur vécu, leur parcours.
– On les déshumanise.

A partir du moment où la mémoire et une capacité de réflexion « normale » se fait la malle, on considère qu’il n’y a plus de réflexion DU TOUT.
Comme pour les personnes avec des troubles psy ou avec un fonctionnement neurologique atypique, la norme neuro-psychique est érigée en temple, et tout ce qui en sort n’est pas considéré comme digne d’intérêt, de respect, d’écoute et de dialogue.

Retrouver, dans cette chambre d’hôpital, auprès de ma mère, les fonctionnements qui m’ont hérissé le poil tour à tour en tant que personne qui accompagnait des personnes en situation de handicap mental,  et en tant que personne qui a eu sa dose de merdes psy me fout sérieusement en rogne.

Combien de fois, sur combien de tons, faudra-t-il répéter les mêmes choses, dans des situations à la fois très différentes et trop similaires ?
Combien de fois faudra-t-il gueuler que oui, on est digne de respect, humain.e et valables même si on a des troubles psy, même si on est traumatisé.e crânien.ne avec des séquelles cérébrales, même si on est autiste, même si on est en situation de handicap mental, même si on est vieux et qu’on a la mémoire et l’orientation qui foutent le camp ?

(Note pour éviter les malentendus :

Je ne sous-entends pas que les nourrissons ne sont pas dignes d’être respectés et qu’on les traite comme des personnes humaines à part entière, hein, quand je dis que c’est particulièrement dégueulasse de traiter une personne âgée comme un nourrisson.
Bien sûr qu’un nourrisson mérite le respect, on est bien d’accord là dessus.

Par contre, se comporter avec une personne qui a au bas mot 60 ans de vie adulte et autonome derrière elle comme on le ferait avec un nourrisson, c’est comme mettre un grand coup de gomme sur ce vécu. Pif paf pouf, oublié le statut d’adulte, oublié le parcours de vie, on limite la personne à ses difficultés, à ses troubles, à son manque actuel d’autonomie pratique, en réduisant à néant son parcours, en réduisant à néant son vécu, en oubliant que toutes ces choses qu’elle n’arrive plus à faire aujourd’hui, elle savait les faire hier, et que c’est en soi un deuil pas facile à faire.

Et en cela, la traiter comme un bébé est en soi violent… même si ça n’est pas « mal » ou « humiliant » d’être un bébé : nous l’avons tous été)