Parmi les nombreux articles qui me sont passés dans les pattes cette dernière semaine à propos des attentats, il y en a un sur lequel je veux – non, je DOIS – réagir et pousser un bon gros coup de gueule.
Dans Libé du 21 novembre, une psychologue, identifiée sous le prénom de Caroline – nous explique tranquillou que pour expliquer les attentats à ses enfants, elle leur a dit : « J’ai parlé de folie, de maladie ». (article)
Bon. Bon bon bon bon.
Des quidams lambdas qui disent que les terroristes sont des fous, y en a à la pelle. Ca m’agace, certes, mais je respire un coup, et je passe à la suite. Notamment parce que si je devais répondre à chacun, j’y passerais mes journées, mes nuits, sans avoir eu le temps de répondre à tous.
Mais là, on a :
– une psychologue, donc une personne qui fait figure d’autorité dans son domaine, celui de la santé mentale.
– relayée par un journal à grande diffusion, donc qui atteste de la crédibilité de ses propos.
Et c’est un peu too much pour que je ne prenne pas le temps de répondre.
Tout d’abord :
Est-ce que les terroristes sont des personnes psychiquement malades ?
Ma foi, je n’en sais strictement rien. Et bon, le diagnostic post mortem sur des cadavres, hein, en matière de troubles psy, c’est une idée un peu risible.
Je n’ai pas la prétention de dire qu’ils n’avaient aucun trouble psychique. Peut-être qu’ils en avaient, allez savoir. Peut-être que ca fait partie des vulnérabilités qui les ont rendus sensibles et perméables au discours manipulateur de Daesch. Ma foi, c’est possible.
Mais je n’en sais rien, et, si je puis me permettre, cette brave psychologue n’en sait rien de plus que moi !
Mais surtout : est ce que c’est PARCE QU’ILS ETAIENT PSYCHIQUEMENT MALADES QU’ILS SONT DEVENUS TERRORISTES ?
Ca, je n’ai pas trop de problème à répondre que non. Ils sont devenus terroristes parce qu’ils ont été manipulés et endoctrinés par des sacs à merde géants, abreuvés de haine et de pouvoir.
La maladie psychique ne prédispose pas à la violence.
Que la violence et la maladie psychique puisse cohabiter chez la même personne, ma foi, ça arrive. Les personnes malades psychiques sont des personnes avant tout, ni des saints, ni des démons, y a des malades psychiques qui sont par ailleurs d’infectes crevures, tout comme il y a des malades psychiques qui sont des gens géniaux, tout comme il y a des personnes non malades psychiques qui sont des infectes crevures, tout comme il y a des personnes non malades psychiques qui sont des personnes géniales.
Et pourquoi cet article me fait particulièrement sortir de mes gonds ?
Pourquoi ?
Bah, probablement parce qu’il reprend le cliché le plus répandu au sujet des troubles psy, et probablement un des clichés qui fait le plus de torts aux personnes réellement malades psychiques : le cliché du fou dangereux.
Ce cliché, il fait que quand tu te retrouves avec un diagnostic psychiatrique, tu as de fortes chances de faire… peur.
Génial, hein ?
Tu es malade, tu es en souffrance, et au lieu de mains qui te tapotent l’épaule avec compassion et de personnes qui te disent qu’elles seront là pour toi et qu’elles te soutiennent, tu te retrouves avec des gens qui s’écartent de toi, des fois que tu pètes un plomb et que tu décides de casser la gueule de tout le monde. Ou de tuer. Ou peu importe quel truc violent.
Cette peur, elle est à l’origine de toujours plus d’isolement, de toujours plus de secrets lourds à porter pour les personnes malades. De toujours plus de stigmatisation.
Cette peur, elle amène des gens à ne pas consulter, parce qu’ils ne veulent pas être « vus comme des fous ». Alors qu’ils ont besoin d’aide.
Cette peur, elle amène des gens à affronter complètement seuls un diagnostic lourds, et les difficultés qui vont avec.
Cette peur, elle a amené un de mes potes, diagnostiqué schizophrène, à se voir interdire de fréquenter une de ses amies, « parce que bon, ces gens là, on ne sait jamais comment ils vont réagir ». Avec quelques menaces de « si tu la revois je te pète la gueule » à l’appui, pour parfaire le tableau absurde de la situation.
Cette peur, elle fait que je prends un risque (assumé, mais risque quand même) en parlant ouvertement de mon passé de problèmes psy, alors que je bosse avec des enfants. Parce que « sait on jamais », hein.
Donc, très chère Caroline-la-psychologue… Est-ce que c’est vraiment ça que vous voulez ?
Est-ce que vous voulez vraiment faire passer le message que les personnes que vous suivez, les personnes que vous êtes supposée aider face à leurs propres troubles psy, sont de potentielles bombes à retardement, dont il convient de se méfier, « au cas où » ?
Parce que oui, c’est ça, le message que vous avez fait passer.
Et sincèrement, ce message, il est inacceptable de manière générale, mais encore plus inacceptable de la part d’une personne dont les connaissances en la matière sont supposées être un peu supérieures à la moyenne du quidam lambda qui a limité sa formation en psychopathologie au visionnage assidu de séries TV…
Cette peur, vous savez, elle tue chaque année. Elle tue surement nettement plus de personnes que les attentats de Paris. Plus discrètement. Un par un. Elle tue toutes ces personnes qui finissent par mettre fin à leurs jours parce qu’ils sont seuls à en crever, parce que leur entourage s’est détourné d’eux au fil du temps et de leurs problèmes psy.
Cette peur, elle tue. Et en faisant passer aussi largement un message qui amène à avoir peur des personnes malades psy, Caroline, VOUS tuez.