Pour expliquer un peu le contexte : là, ça n’est pas de ma période de gros pétage de câble à moi, que je parle, mais de la dépression d’une personne proche de moi.
Sans rentrer dans les détails, parce que son histoire lui appartient et que c’est vraiment pas à moi de la raconter sur un blog : une personne proche de moi a fait une grosse dépression, et je suis restée à ses cotés y compris dans les périodes les plus difficiles. C’est tout ce qu’il y a besoin de savoir pour comprendre la suite, les détails importent vraiment peu.
Ne tiendrait qu’à moi, mon post pourrait s’arrêter là.
Bien sûr, il y a eu des moments difficiles, très difficiles même. Pour elle, bien entendu, mais aussi pour moi, qui ai dû apprendre à faire avec mon sentiment d’impuissance, qui ai dû apprendre à dealer avec les moments où sa dépression la rendait super-irritable et où ça donnait lieu à des prises de becs, qui ai dû apprendre à vivre avec le fait d’avoir peur pour elle, aussi. Parce que ouais, j’ai eu super peur pour elle. Souvent. Pendant longtemps.
Mais quoi… La vie, ça n’est pas lisse, y a des coups durs, des trucs compliqués à affronter. Et dans toutes les relations, y a des trucs très cool, et des trucs vachement moins cools. C’est comme ça, c’est inévitable, on ne vit pas sur la planète des bisounours.
Donc ne tiendrait qu’à moi, mon post s’arrêterait là.
Mais ça ne tient pas qu’à moi, la psychophobie de la société est bien présente, et j’ai pu me rendre compte pendant ces quelques années qu’elle dégouline aussi sur les proches.
J’ai eu la chance (et oui, je suis sincère en utilisant le mot « chance », parce que je considère qu’un truc qui m’ouvre les yeux, c’est une chance, même si elle fait mal à la gueule quand elle t’arrive dessus, cette chance) d’avoir des merdes psy aussi. Avant d’être une « proche d’une personne qui a des problèmes psy », j’ai été – et je suis encore, dans une moindre mesure – aussi « une personne qui a des problèmes psy ».
Du coup, j’ai pu voir le truc « des deux cotés de la barrière », ce qui me donne un double regard sur le sujet, un double vécu, aussi.
J’ai sans doute un regard un peu plus indulgent sur « les proches » qu’une partie de mes « camarades de lutte contre la psychophobie », et j’ai sans doute aussi un regard un peu moins chargé de psychophobie sur « les malades » que la moyenne des proches.
Ca ne fait pas de moi quelqu’un d’exceptionnel ou qui se croit au dessus du lot, hein, c’est juste les circonstances de la vie qui m’ont amené à être dans ces deux positions.
Si j’ai pu vraiment pester sur la psychophobie en étant « la nana qui a des merdes psy », si j’ai pu pester contre les préjugés, les idées toute faites, si j’ai pu en souffrir…
Je ne m’attendais pas pour autant à remarquer que la psychophobie a aussi un impact non négligeable quand tu n’es pas « le malade », mais « le proche du malade ».
Envie de faire un peu le tour de cet impact.
– L’isolement.
La maladie psy fait peur. Donc les gens s’éloignent de la personne malade. Si tu restes proche de la personne malade, bah… Les gens s’éloignent aussi de toi.
Quand tu n’as pas trop envie de laisser une personne proche, suicidaire, seule à la maison pendant que toi tu vas faire la fête, on te fait bien comprendre que quand même, tu fais un peu chier, à ne plus sortir.
Quand tu tires un peu la tronche parce que tu es inquiet, tu deviens vite le rabat-joie de service.
– « L’admiration ».
Je le mets entre guillemets, parce que à priori, on pourrait croire que c’est positif, d’être « admiré.e ».
Sauf que non.
A la limite, c’est ces « tu es courageuse de rester près d’elle », ces « moi je ne pourrais pas », ces « tu es exceptionnelle » qui m’ont le plus choquée.
Non, ça n’est pas « exceptionnel » de rester proche d’une personne malade psy. Pas plus que ça n’est « exceptionnel » de rester proche d’une personne malade physiquement, d’ailleurs.
J’ai envie de dire que ça devrait être normal, en fait, dans un monde qui serait moins psychophobe.
A chaque fois que quelqu’un me disait « tu es exceptionnelle de rester près d’elle », j’avais l’impression qu’on la voyait comme un monstre, ou quelque chose comme ca. Et ça me retournait le bide.
Ca me coupait, aussi, de toute possibilité de pouvoir dire « là c’est difficile, en ce moment », ou « j’ai du mal à gérer mon inquiétude ». Parce que je n’avais pas envie de ce « Ah ouais, c’est vrai que c’est super dur, tu es très courageuse de rester ». Je n’avais pas envie de renforcer cette image de « monstre », ou de « boulet dans ma vie que j’étais courageuse de trainer » que les gens avaient d’elle. Alors je fermais ma gueule sur les moments difficiles.
Super aidant, n’est ce pas ?
– « Faut être un peu cinglé, quand même, pour être si proche d’une personne malade psy ».
Jamais dit comme ca, hein, mais avec le temps, les regards, les silences, les sous-entendus, on apprend à les comprendre.
Et c’est une idée très répandue, hein.
Et, étant donné le degré de psychophobie de notre société, l’idée n’est pas forcément complètement fausse, à vrai dire.
Parce que effectivement, beaucoup de personnes qui n’ont jamais eu de problèmes psy fuient comme la peste bubonique les personnes qui en ont. Comme si c’était contagieux, les emmerdes psy.
Et aussi parce que la psychophobie est tellement pénible à vivre au quotidien que… Beaucoup de personnes qui ont des problèmes psy fuient comme la peste bubonique les relations proches avec des personnes qui n’en ont jamais eu. Parce que se bouffer des jugements à l’emporte-pièce tout le temps, des « faut te bouger, ça ira mieux », des « Ah mais je comprends totalement ce que c’est des troubles anxieux, moi aussi je suis stressé des fois », et autres trucs du genre… Ben ça donne pas vraiment envie de tisser des relations proches, étrangement…
Donc quand tu es connu pour être proche d’une personne qui a des troubles psy, on va bien souvent déduire que tu en as aussi. Et donc te faire dégouliner tout plein de psychophobie sur la face, aussi.
– « Toi tu sais ce qu’il faut faire, alors je te laisse gérer »
Ca, c’est royal, aussi.
Alors que la personne malade n’a, à juste titre d’ailleurs, aucune envie que tu entreprennes de « gérer sa vie à sa place », le reste de la société attends de toi que tu le fasse.
Ca va être les amis qui t’appellent à ton boulot pour te dire « Elle ne va pas bien, faut que tu fasses un truc » (euh, j’suis au boulot. Et si toi tu sais que là maintenant elle ne va pas bien, c’est très probablement que tu es avec elle, ou que tu es en train de lui parler. Donc, devine qui est le mieux placé « pour faire quelque chose », là maintenant tout de suite ?).
Ca va être le milieu psychiatrique, qui te nourrit de doubles messages constamment : « Il ne faut pas trop fliquer la personne, c’est néfaste » (ce qui est vrai, mais des fois, tu as beau le savoir, ton inquiétude prend le dessus…), mais en même temps « C’est à vous de gérer » (ses médics, le choix de savoir si elle doit être hospitalisée, et une foule d’autre trucs).
Ca va être les gens dans la rue (ça, je n’y ai pas été confrontée, mais une personne que je connais m’a raconté s’être fait littéralement engueuler parce qu’elle n’arrivait pas à calmer une amie à elle qui était en crise d’angoisse dans la rue. Euh… Ok…).
– « Tu es maso / tu ne peux pas être heureuse dans cette relation »
Ca, c’est le corrolaire négatif de « tu es admirable ». Ca semble totalement défriser les gens qu’on puisse être HEUREUX.SE dans une relation avec une personne qui a des problèmes psy. Breaking news, la personne n’est pas QUE ses problèmes psy, et le fait d’avoir des problèmes psy n’empêche pas, par ailleurs, d’être un.e ami.e / un.e conjoint.e génial.e. Sisi, je vous assure !
– C’est de la co-dépendence.
Ca, c’est un grand refrain des psy.
C’est la version « professionnelle » de « faut être un peu cinglé, quand même ».
Petite question : est-ce qu’un psy aurait l’idée de taxer de co-dépendant l’ami.e / le.a conjoint.e d’une personne qui a, j’sais pas moi, un cancer ?
Non, hein.
Pourtant, j’sais pas, mais je pense pas qu’il n’y ait que des moments super fun, quand on vit avec une personne qui a un cancer. L’inquiétude, elle est là aussi. Le fait que la vie quotidienne se retrouve rythmée par la maladie, par les jours « où ça va à peu près », par les jours « où ca ne va pas du tout », par les traitements, par les effets secondaires des traitements… C’est présent aussi, non, dans le cas d’un cancer ?
Alors pourquoi on fait une telle différence ? Pourquoi on n’a pas la même grille de lecture ? Pourquoi on ne se dit pas simplement que le proche tient à la personne malade, et n’a pas envie de la lâcher, d’abandonner cette personne, et de renoncer à cette relation ?
Toutes ces bouses, ça n’aide VRAIMENT pas le proche. Au contraire, ça le pousse juste à se murer dans le silence, à ne pas pouvoir évacuer et donc relativiser les moments difficiles, à ne pas pouvoir demander un coup de main ou un « relais » aux autres quand c’est nécessaire.
Mais aussi… Ca peut amener des proches à avoir des attitudes carrément contre-productives. Nocives. Pour la personne malade.
Le fait de ne pas pouvoir évacuer les tensions en en parlant simplement, ça fait bien souvent que c’est la personne malade qui va se bouffer le stress, l’inquiétude, l’angoisse de plein fouet.
Les injonctions à gérer la situation, ça fait que soit tu te fous dans une position d’autorité envers la personne malade (ce qui craint !), soit tu passes pour un parfait irresponsable aux yeux des autres (ce qui craint, aussi).
Le « tu es exceptionnel / courageux / tu sais ce qu’il faut faire », si on n’a pas le recul de se dire que ça n’est pas vrai (et je peux comprendre qu’on n’ait pas ce recul, hein, parce que dans le lot, c’est à la limite le seul regard « positif » offert par la société sur les proches, alors je peux comprendre les proches qui s’y raccrochent…), ça peut amener à des attitudes de prise de pouvoir sur la personne malade. A penser que « on sait mieux qu’elle ce qui est bien pour elle ».
C’est assez typiquement l’attitude de certaines associations de proches (typiquement : l’UNAFAM, en France, qui fait un peu l’unanimité contre elle parmi les patients psy, à force de prises de positions qui sont carrément nuisibles pour les patients).
J’ai du mal à blâmer les proches qui se raccrochent à ce type d’association, et qui adoptent ce genre d’attitudes.
Parce que je sais que j’ai eu de la chance, vraiment, d’avoir autour de moi pendant ces dernières années une belle brochette de « cinglés » (et dans ma bouche, c’est un compliment. J’en suis une aussi, après tout !), qui ont pu juste m’écouter dans les moments où c’était super difficile, qui ont pu aussi me recoller les pieds sur terre dans les moments où mon inquiétude me faisait trop « jouer au flic » vis à vis d’elle.
C’est une chance, et de loin pas tout les proches l’ont.
Alors est-ce qu’on peut blâmer, vraiment, des proches qui se regroupent entre eux, qui se soutiennent entre eux… Mais sans avoir le recul que m’a permis le fait d’avoir eu ma dose de merdes psy aussi ?
(Ce qui ne veut pas dire que les patients psy qui gueulent sur l’UNAFAM ont tort. De loin pas. Le fonctionnement de l’UNAFAM est nocif, clairement. Mais derrière ce fonctionnement, c’est le regard de la société en général sur les patients psy qui craint, et qui amène à ce fonctionnement. Je suis assez persuadée que les membres de l’UNAFAM sont très sincères, individuellement, dans leur volonté d’aider. Mais ils le sont sur les bases biaisées d’une société profondément psychophobe…).
Si je devais donner, avec mon double regard, un « conseil » pour soutenir les proches d’une personne qui a des problèmes psy, c’est : « Ecoute et ferme ta gueule ».
C’est un peu agressif dit comme ca, mais ça résume bien, je pense.
Ecoute les moments difficiles (mais écoute aussi quand la personne te raconte les bons moments, histoire de ne pas noircir le tableau).
Ecoute les coups de gueule, de nerfs, de découragement, mais pour autant, n’aie pas un jugement de valeur, pas un regard qui noircit le tableau. N’oublie pas que si la personne te raconte surement un peu plus les mauvais moments que les bons, c’est parce qu’on éprouve plus le besoin de « vider son sac » sur ce qui est difficile que de raconter « Hier on est allées faire une balade en montagne, c’était un moment vraiment trop cool ».
Ecoute, exactement de la même manière que tu écouterais quelqu’un raconter ses moments difficile auprès d’un.e proche qui a un cancer.
Ecoute, mais n’enferme pas ni la personne, ni son proche, dans des idées reçues toutes dégoulinantes de psychophobie.
Là, tu seras vraiment un soutien pour ce proche dans les moments difficile.
Le reste, c’est pas aidant, et pire, c’est plutôt destructeur qu’aidant.