L’humour, c’est pas pareil chez soi ou sur internet

Humour oppressif

Un petit article coup de gueule (la personne qui a dit « Encore ? » dans le fond de la salle est priée de prendre son ticket avant de passer au bureau des réclamations, qui est ouvert chaque 5ème samedi du mois de 12h à 12h01 précisément, avant l’heure c’est pas l’heure, après l’heure, c’est plus l’heure) sur un argument qui commence à me sortir par les narines dans les discussions concernant l’humour oppressif sur internet.

« Ouais mais faut arrêter, je fais les mêmes blagues avec mon pote / mon frère / mon cousin / mon poisson rouge qui est concerné aussi par le sujet, et il le prends pas mal ».

Figurez-vous que dans mon salon chez moi, avec mes collocs qui me connaissent bien, avec mes ami.es qui me connaissent bien, moi aussi je fais de l’humour sur des sujets pas très très politiquement corrects.

Et je ris aux blagues de mon ami Vlad, qui a un répertoire de blagues atroces digne d’une encyclopédie.

Et ca ne m’empêche pas de trouver carrément inadéquat l’humour oppressif sur internet, même quand il est fait – et je n’en doute pas forcément – avec une intention de 2ème degré.

Alors… « Ouais mais Lau’, t’es pas cohérente, alors », me direz-vous.

Dites moi, les gens…

Est-ce que ça vous arrive de sortir à poil de votre douche et de rester à poil dans votre appart’ ?

J’imagine que la plupart d’entre vous me répondra « Oui ».
Peut-être même que certain.es d’entre vous me répondra « Oui, y compris si mon copain, ma copine, mon colloc, mon frère, ma soeur, mon poisson rouge est dans l’appart' », right ?

Maintenant, dites-moi…

Est-ce que vous vous baladez à poil dans la rue ?

J’imagine que la majorité d’entre vous (mis à part éventuellement si j’ai des lectrices Femen, mais dans ce cas là, c’est dans un but précis) me répondra que non.

Et bien, la différence est similaire :

Ce qu’on peut faire dans un espace privé, entre personnes qui se connaissent, qui se respectent, ça n’est pas pareil que ce qu’on peut faire avec des inconnu.es dans un espace public.

Quand mon ami Vlad fait une quelconque blague oppressive atroce, je sais qu’il la fait au 2ème degré. Pour se moquer non pas des victimes de l’oppression, mais du comportement oppressif en lui-même.
Je le sais, parce que je le connais, parce qu’on en a parlé, parce que la donne de départ est claire.

Quand Alfred ou Gertrude, quidams lambda sur Internet, que je ne connais absolument pas, font la même blague sur une quelconque page Facebook, ou sur Youtube, ou whatever… ça n’est absolument ni pareil, ni comparable.

D’une part parce que :

– Je n’ai aucune clé en main pour savoir si Alfred ou Gertrude sont des infects homophobes ou autre comportement oppressif.
– Je sais que parmi les personnes qui vont aimer et rigoler à cette blague, il y a probablement VRAIMENT des infects homophobes ou autre comportement oppressif. Qui vont rire de la blague au pur premier degré, en se moquant EFFECTIVEMENT d’un groupe social qui en prend déjà plein la quiche de partout.
– Je sais que parmi les personnes qui vont lire cette blague, il y a probablement VRAIMENT des personnes qui vont être blessées par cette blague.

Et c’est trois excellentes raisons pour éviter à 100% l’humour oppressif dans l’espace public, MEME AU 2EME DEGRE.

(Cette réflexion vaut pour les discussions sur internet, mais elle est transposable aux humoristes, aux caricaturistes, et à toute personne faisant de l’humour dans l’espace public. Avec encore plus d’importance, vu que leur public est plus important que celui du quidam lambda qui fait de l’humour dans un groupe Facebook ou sur Youtube).

Si vous souhaitez aller plus loin dans la réflexion sur l’humour oppressif, je vous invite à aller lire cet article.

Les limites du « body positive »

« Tous les corps sont beaux ».
« Tu peux aimer ton corps, quel qu’il soit ».

Body positive« Beauté dans chaque forme et taille »

Ces messages, courants dans le mouvement « body positive », sont importants.
Il est important de rappeler qu’on peut trouver de la beauté dans chaque corps, qu’on a le droit de sortir des cases établies par une société patriarcale qui définit de manière très stéréotypée quelle est la « vraie beauté » (mince, blanche, sans handicap physique, sans cicatrices, …)
Ce message est nécessaire.

Par contre, ce message a ses limites, et on les franchit parfois allègrement.

Est-ce que seul un corps qu’on trouve beau est digne d’être respecté ?

Si la notion de « beauté » reste subjective (bien qu’il soit important de rappeler que la société nous dicte quels corps sont beaux, et que donc on ne peut pas complètement se cacher derrière « c’est mes goûts personnels »), la notion de respect DOIT être universelle.
Je ne revendique pas qu’on trouve forcément mon corps beau. Des gens vont le trouver beau, d’autres pas, et sincèrement : je m’en fous. Je ne vis pas pour être un élément décoratif dans le paysage visuel d’autrui. Tant mieux si la vision de mon corps est agréable pour la personne en face, mais si elle ne l’est pas, ça n’est pas vraiment un problème pour moi.
Ce qui est un problème, par contre, c’est quand on se prend le droit de juger de la valeur d’une personne en fonction de la beauté qu’on voit (ou qu’on ne voit pas) dans son corps.
Ce qui est un problème, aussi, c’est quand on se permet de manquer de respect à une personne au nom du fait qu’on ne trouve pas son corps beau.
Ce qui est un problème, enfin, c’est quand on se permet des injonctions (« Tu devrais perdre du poids », « tu devrais te lisser les cheveux », etc) à une personne pour qu’elle mette son corps en conformité avec des normes, ou avec ce qu’on estime être « beau ».

Plus que « tous les corps sont beaux », est-ce que l’essentiel n’est pas « tous les corps sont respectables », et « Mon corps, mes choix », pour lutter contre ces injonctions perpétuelles, et contre cette valeur centrale donnée à la beauté physique dans la valeur qu’on attribue aux personnes ?

La dysmorphophobie (définition) n’est pas uniquement sociétale

Un aspect qui me parait particulièrement problématique en terme de dérive dans le mouvement body-positive, c’est le fait que, à force de dénoncer – à juste titre – l’impact des oppressions sociétales (sexisme, racisme, grossophobie, etc), on oublie un peu que des problématiques psychiques peuvent influencer également le regard qu’on a sur son propre corps.
Tout analyser à la lumière d’un regard sociétal, c’est mettre d’emblée à l’écart les personnes qui souffrent de troubles psychiques amenant à avoir un regard biaisé sur son corps, et dé-légitimer leur vécu.
Par exemple, analyser l’anorexie uniquement au travers du « message social qui impose la maigreur », c’est extrêmement réducteur, et c’est source de souffrances pour les personnes anorexiques.
Les personnes malades psychiques sont déjà réduites au silence, dé-légitimées de toutes les manières possibles par la société.
Il serait temps de commencer à les prendre en compte au sein des mouvements militants. Y compris sur ce point précis.

On a le droit de ne pas aimer son corps, de vouloir le changer. Et on a le droit de vouloir se conformer aux normes sociales par « gain de paix ».

Le mouvement body positive ne devrait pas être source d’injonctions.
Et pourtant, il l’est parfois.
Que ça soit envers les gros.ses qui cherchent à maigrir, envers les personnes racisées qui cherchent à lisser leurs cheveux pour se conformer à un look « occidental », envers les femmes qui utilisent la chirurgie esthétique pour avoir un corps qui soit plus à leur goût, ou plus facilement acceptable socialement, le message body positive n’est pas toujours tendre.
J’ai ainsi pu voir des gros.ses se faire basher pour avoir parlé de régime, des personnes racisées se faire enjoindre (de préférence par des blanc.hes qui n’ont pas à subir la pression sociale sur leurs cheveux) à ne pas lisser leurs cheveux. J’ai vu des femmes se faire traiter de potiches parce qu’elles parlaient d’une opération de chirurgie des seins.

Mais qui serions-nous, pour décider à la place de quelqu’un d’autre que cette personne doit, chaque jour, avoir envie de militer par le simple fait d’exister, de sortir dans la rue ?
Pouvoir encaisser la pression sociale, c’est un privilège aussi. Déterminé par plein de trucs sur lesquels on n’a pas de prise (notre entourage, notre santé psychique, notre situation économique…)
La discrimination à l’embauche à laquelle on s’expose si on a un physique non conforme aux normes sociales, on ne peut pas tou.te.s décider de l’affronter plus ou moins stoïquement.
Les insultes dans la rue, on ne peut pas tou.te.s les encaisser sans trop de dommages.
La pression sociale n’est pas la même selon qu’on ait un entourage proche bienveillant ou qu’on soit isolé.e au sein d’un entourage oppressif.

Quand, au nom du message body positive, on se permet de marginaliser des gens AU SEIN MEME DES GROUPES MILITANTS, alors que ces personnes sont déjà fragilisées dans la société en général, on doit se dire qu’il y a un problème quelque part…

Les personnes âgées ne sont pas des bébés ni des choses

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Coup de gueule un peu plus personnel que les autres, celui-ci. Un peu plus à vif, aussi, parce qu’il parle d’une situation dans laquelle je patauge au quotidien en ce moment, avec ma maman hospitalisée…

Ma maman…
78 ans, une santé plutôt solide jusqu’à tout dernièrement, malgré ses deux paquets de clopes par jour depuis aussi longtemps que je m’en souvienne (et même plus longtemps que ça. Pour la petite histoire, je suis un « bébé clope », ma mère n’a jamais arrêté de fumer pendant sa grossesse, preuve que les injonctions autoritaires aux femmes à arrêter de fumer à tout prix pendant leur grossesse sous peine d’accoucher d’enfants malformés de partout, c’est un peu du bullshit…).
Et puis là, les merdes de santé qui s’empilent, le malaise dans la rue qui l’amène à l’hosto, la pneumonie, la pleurésie…

Et puis aussi… La mémoire qui part un peu en vrille, le sens du temps et de l’espace qui s’émousse. Ma maman qui ne sait plus toujours trop bien où elle est, qui oublie un peu ce qu’on lui dit, qui ne s’y retrouve plus très bien.
Ma maman qui n’est plus trop autonome, qui a besoin d’aide.

Ma maman que je me retrouve un soir à aider à manger, à la fois émue et un peu flippée de ce renversement des rôles, elle qui m’a aidé à manger avant que je sache le faire toute seule.

Mais qui – NOM D’UN CHIEN – n’en est pas moins une personne adulte.

Et, bon dieu, je vais finir par greffer la potence à perfusion de ma mère dans le nez de quelques personnes.

La personne de ma famille qui lui parle comme si elle avait 4 ans (et qui s’en fout totalement – ou se vexe mais sans pour autant modifier son comportement – quand ma mère manifeste tant bien que mal son agacement à se voir ainsi traitée comme une gamine.). Qui lui impose son aide pour couper son repas, au lieu de la lui proposer. Qui lui grattouille la joue comme celle d’un nourrisson (alors que ma mère n’est définitivement pas quelqu’un de très tactile, et que même étant quelqu’un qui aime le contact physique, je pense que je mordrais toute personne qui me touche de cette manière là…)

L’infirmière qui vient m’expliquer le traitement de ma mère, en présence de ma mère couchée dans son lit, mais sans s’adresser à elle le moins du monde, et qui me parle de ses problèmes de mémoire et de désorientation, comme ça, cash, devant elle, sans ménagement (et sans lui en avoir parlé au préalable, évidemment), pour dire, comme ça, cash, devant elle, qu’il parait improbable qu’elle récupère toute son autonomie et qu’il va falloir prévoir des aides à domicile pour quand elle sortira de l’hôpital (chose dont je me doutais déjà, sur laquelle j’interpellais les infirmier.es depuis quelques jours sans vraiment avoir d’écho et de réponse, mais que j’aurais vraiment, VRAIMENT voulu voir évoquée avec un peu plus de tact avec ma mère… et surtout, en lui parlant A ELLE, nom de dieu).
C’est de son autonomie qu’il s’agit, de sa vie, de son quotidien qu’on va joyeusement chambouler.
Et cette infirmière, tranquille, à l’aise, puisque ma mère est un peu désorientée et confuse, se prend tranquillou le droit de m’informer DEVANT MA MERE MAIS SANS LUI PARLER, qu’on va devoir remettre en question l’autonomie de ma maman.
Et qu’on ne me parle pas de « manque de temps » et de stress du personnel hospitalier, par pitié : certain.es arrivent très bien à parler de manière respectueuses aux patient.es, même âgé.es, même diminué.es dans leurs capacités cognitives.
Dans ce cas précis, il n’aurait définitivement pas pris plus de temps à l’infirmière de s’adresser à ma mère tout en m’expliquant les choses, ou de me demander de sortir de la chambre 5 minutes pour me parler dans le couloir et que je puisse ensuite tranquillement, sans stress, expliquer notre discussion à ma mère et évoquer les aides à domicile…

Elle est adulte, nom de dieu.
Elle est adulte.
Elle a affronté des trucs dans sa vie qui auraient mis à terre pas mal de monde.
Elle a un caractère de chacal (on me souffle dans l’oreillette que le mien est assez similaire… Le fruit qui n’est pas tombé très loin de l’arbre, quoi !), elle a toujours mis (des fois au mépris du bon sens et par fierté mal placée, mais bon…) un point d’honneur à ne pas demander d’aide, à s’en sortir par elle-même (financièrement, psychologiquement). Et là, à l’aise, on ne la consulte même pas, on ne l’informe même pas, et on m’explique devant elle qu’elle va avoir besoin d’aide dans sa vie quotidienne. Comme si le fait qu’elle ait la mémoire en vrac et l’orientation spatio-temporelle en grève la dépossédait de son statut d’adulte, voire peut-être même un peu de son statut d’être humain à part entière.
Pour devenir au mieux un bébé pas à même de comprendre ce qu’on lui dit, au pire un espèce de truc posé dans un lit avec un drain dans la cage thoracique.
Et là, à l’aise, une personne de sa propre famille se prend le droit de la traiter comme un bébé, et de n’en avoir rien à foutre de ses demandes d’être traitée en adulte.

Le respect, bon sang, le respect, les gens…

Et ça m’amène à une réflexion un peu plus générale, un peu plus posée, un peu plus large.

Quand une personne âgée perd son autonomie et (temporairement ou définitivement) ses capacités cognitives, on a avec elle exactement le comportement qu’on a vis-à-vis des personnes avec des troubles psy :
– On s’adresse aux proches plutôt qu’à elles, comme si prendre le temps d’expliquer les choses malgré les troubles, d’adapter le discours si besoin, mais de prendre en compte la personne avant tout, c’était optionnel.
– On les infantilise, alors que ce sont des adultes.
– On ne prend pas en compte leur vécu, leur parcours.
– On les déshumanise.

A partir du moment où la mémoire et une capacité de réflexion « normale » se fait la malle, on considère qu’il n’y a plus de réflexion DU TOUT.
Comme pour les personnes avec des troubles psy ou avec un fonctionnement neurologique atypique, la norme neuro-psychique est érigée en temple, et tout ce qui en sort n’est pas considéré comme digne d’intérêt, de respect, d’écoute et de dialogue.

Retrouver, dans cette chambre d’hôpital, auprès de ma mère, les fonctionnements qui m’ont hérissé le poil tour à tour en tant que personne qui accompagnait des personnes en situation de handicap mental,  et en tant que personne qui a eu sa dose de merdes psy me fout sérieusement en rogne.

Combien de fois, sur combien de tons, faudra-t-il répéter les mêmes choses, dans des situations à la fois très différentes et trop similaires ?
Combien de fois faudra-t-il gueuler que oui, on est digne de respect, humain.e et valables même si on a des troubles psy, même si on est traumatisé.e crânien.ne avec des séquelles cérébrales, même si on est autiste, même si on est en situation de handicap mental, même si on est vieux et qu’on a la mémoire et l’orientation qui foutent le camp ?

(Note pour éviter les malentendus :

Je ne sous-entends pas que les nourrissons ne sont pas dignes d’être respectés et qu’on les traite comme des personnes humaines à part entière, hein, quand je dis que c’est particulièrement dégueulasse de traiter une personne âgée comme un nourrisson.
Bien sûr qu’un nourrisson mérite le respect, on est bien d’accord là dessus.

Par contre, se comporter avec une personne qui a au bas mot 60 ans de vie adulte et autonome derrière elle comme on le ferait avec un nourrisson, c’est comme mettre un grand coup de gomme sur ce vécu. Pif paf pouf, oublié le statut d’adulte, oublié le parcours de vie, on limite la personne à ses difficultés, à ses troubles, à son manque actuel d’autonomie pratique, en réduisant à néant son parcours, en réduisant à néant son vécu, en oubliant que toutes ces choses qu’elle n’arrive plus à faire aujourd’hui, elle savait les faire hier, et que c’est en soi un deuil pas facile à faire.

Et en cela, la traiter comme un bébé est en soi violent… même si ça n’est pas « mal » ou « humiliant » d’être un bébé : nous l’avons tous été)

Prof en dépression et avalanche… de psychophobie

« Avalanche aux Deux Alpes, une dizaine de personnes emportées par une avalanche, 3 morts, dont deux élèves d’un lycée lyonnais, qui avaient emprunté une piste fermée et non sécurisée sous la responsabilité de leur professeur. »

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J’ai beau être de tout cœur avec les victimes et leurs proches, le traitement médiatique de cette information ne m’en fout pas moins dans une colère noire.

Un drame de la montagne, comme il y en a chaque hiver : les avalanches tuent, c’est tragique, mais ça n’est pas nouveau.

Qu’est ce que ce fait divers tragique fout sur mon blog, donc ?
Et quel est le fichu rapport avec la psychophobie ?

Et bien…

Il se trouve que par un hasard n’ayant rien à avoir avec l’accident, le professeur responsable du groupe d’élève sortait d’hôpital psychiatrique, et était sous médicaments psychotropes. (lien)

Et, évidemment, cet aspect de sa vie PRIVEE est étalée partout (plusieurs dizaines d’occurrences de cette information quand on recherche sur google…) dans la presse, avec les réactions qu’on peut imaginer :

« Il n’était pas en pleine possession de ses moyens, évidemment ».
« C’est un irresponsable ».
« Peut-être qu’il a voulu se suicider de cette manière là en entrainant d’autres personnes dans la mort ? »…
« Comment quelqu’un qui est en dépression peut se faire respecter assez par ses élèves pour assurer leur sécurité sur les pistes de ski ? »

Pourtant, des avalanches, il y en a chaque hiver, qui tuent chaque hiver des gens qui ont mal évalué le danger, ou qui simplement n’ont pas eu de chance…

Mais, déjà, me direz-vous, comment donc les journaux ont-ils été au courant du dossier médical de cet enseignant ?

Et bien, à l’aise, c’est une information que le procureur chargé de l’enquête a divulgué.
Il semblerait que la santé mentale n’est pas un aspect de la vie privée qu’on considère comme étant digne d’être protégé des rapaces de la presse. Great.
Chers ami.es avec des troubles psys, sachez que la justice n’aura aucun scrupule à informer la presse de votre état de santé.
Ca donne envie, hein, n’est ce pas ?

Et, encore une fois, fonçons dans la stigmatisation des troubles psy :

Parce que, évidemment, ça n’est pas une information donnée de manière innocente.
Le sous-entendu derrière cette information, le voilà :

« Etre en dépression rend inapte à assumer toute forme de responsabilité ».
« Etre en dépression rend dangereux ».
« Etre en dépression rend potentiellement inapte à avoir la responsabilité d’autres personnes. »

Et, après tout… Pourquoi pas « avoir été en dépression », aussi, n’est ce pas ? Parce que sait-on jamais, hein…

Qu’est ce qu’implique un tel traitement psychophobe de cette information ?

– Encore plus de discrimination à l’embauche pour les personnes ayant – ou ayant eu – des troubles psychiques.
– Encore plus de difficulté à aborder, dans le contexte professionnel, le sujet des troubles psychiques. Se retrouver en arrêt de travail, ou avoir besoin d’un aménagement d’horaire, pour une dépression ou autres troubles psychiques est déjà difficile, l’aborder avec ses supérieurs hiérarchique est déjà à risque de discrimination sur le lieu de travail.
J’ai notamment entendu un responsable d’équipe me dire « Quand on a fait une dépression, on reste fragile toute sa vie, et ça n’est pas un travail pour des gens fragiles ». Je n’avais pourtant pas abordé le sujet avec lui, mais il s’en était rendu compte (prenant le droit de poser un diagnostic sur ma situation, au passage…).

Et en conséquence, encore plus de honte, d’isolement.
Et – plus grave encore – encore plus de difficulté à accepter des soins adéquats. Beaucoup de personnes concernées par les troubles psychiques hésitent à accepter un arrêt de travail ou une hospitalisation, alors même qu’elles en ont besoin. Parce que ça implique de devoir l’assumer (comme on assumerait une faute honteuse), sur son lieu de travail.

Mesdames et Messieurs les journalistes…
Est-ce que vous vous rendez compte des conséquences de votre traitement sensationnaliste et psychophobe de l’information ?
Est-ce que vous vous rendez compte des risques (réels) que vous faites courir aux personnes ayant des troubles psychiques, alors que vous vous évoquez les risques IMAGINAIRES représentés par ces mêmes personnes ?

Est-ce que vous vous rendez compte qu’au nom du sensationnalisme qui fait vendre vos torchons, vous mettez la santé, l’intégration sociale et professionnelle, voire la vie, de nombreuses personnes en péril ?

Il serait temps que vous commenciez à avoir honte.
Parce que non, ça n’est pas à nous d’avoir honte de nos troubles psychiques.

Vous êtes dangereux.
Bien plus ne le sont les malades psychiques que vous stigmatisez dans vos articles.

David Bowie : Réflexion autour d’une « victime de viol » qui ne se voit pas comme tel

Vu que je réagis souvent sur l’actualité dans mon blog, cet article ne va pas faire exception.

J’imagine que vous avez tou.te.s entendu parler de la mort de David Bowie. A moins de vivre dans une grotte loin de tout journal, télévision, radio et accès internet, vous pouvez difficilement avoir zappé cette information.

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Rapidement, après les premiers messages d’hommage à l’artiste, on a vu – du moins si on traine un minimum sur des groupes ou forum féministes – pas mal de messages mentionnant le fait que David Bowie avait abusé d’une adolescente, et que le truc avait été pas mal médiatisé.

Le tout, en toute logique, pour dénoncer le viol, et pour couper court à l’apologie sans nuance d’un mec qui avait abusé d’une adolescente.

Jusque là, rien à redire, me direz-vous.
Et effectivement, jusque là, rien à redire, c’est légitime de dénoncer un viol.

Par contre, là où toute cette affaire me fout profondément mal à l’aise, et où je trouve qu’on instrumentalise cette nana (devenue adulte, depuis le temps), c’est… que cette femme, encore aujourd’hui, ne se définit absolument pas comme une victime de viol. Bien au contraire, elle parle de cette relation sexuelle (qu’elle a eu très jeune, à 14 ans) avec la star, comme d’un bon souvenir, disant se sentir privilégiée d’avoir vécu ses premières expériences sexuelles avec son idole.

Quel que soit mon propre regard sur le fait qu’un homme adulte couche avec une jeune fille de 14 ans, j’ai à partir de là un gros problème de conscience avec le fait de « dénoncer ce viol ».

Avons-nous, au nom de nos convictions féministes et de la lutte contre la culture du viol, le droit de déposséder cette femme de sa propre histoire, et d’y poser une définition qui est diamétralement opposée à la sienne ?

On m’a rétorqué, à ce sujet, qu’on peut dénoncer ce viol sans pour autant imposer à cette femme le fait d’avoir été violée.
Pour autant, pour qu’il y ait viol, il faut bien qu’il y ait eu une victime, non ?
Et du coup, si on dénonce le viol, par la force des choses, ça implique qu’il y ait eu une victime.
Donc oui, on lui colle cette dénomination. Contre son gré, en l’occurrence. Alors que son nom est connu et médiatisé.

Est-ce que le féminisme n’inclut pas le fait d’avoir le droit à s’auto-déterminer, à être reconnue dans ses choix et ses convictions ?

Entendons-nous :
Si cette femme avait dit avoir été violée, je serais bien la dernière à défendre « l’artiste tourmenté », à remettre en question la parole de la victime ou autre bullshit dans ce genre.
Mais là, on est face à une femme, adulte, qui, 30 ans et des brouettes après les faits, parle toujours de ce moment comme d’un bon souvenir.

Définir contre son gré ce rapport sexuel comme un viol, est-ce que ça n’est pas une manière de lui dire, implicitement, qu’elle n’est pas apte à être lucide sur son propre parcours, sur sa propre vie et sa propre sexualité ? Est-ce que ça n’est pas l’infantiliser ?
Est-ce que ça n’est pas la priver de son droit à s’auto-déterminer ?
Est-ce que ça n’est pas violent, en soi, comme démarche ?

Est-ce vraiment nécessaire de lui faire vivre cette violence-là, quoi qu’on pense de l’acte en lui-même, et de David Bowie ?
Est-ce nécessaire de s’appuyer sur cet exemple, sur cette star décédée, pour combattre la culture du viol, et pour dénoncer le fait que des hommes adultes prennent le droit d’avoir des relations sexuelles avec des enfants et des adolescent.es ?
Est-ce que le fait de priver cette femme de son auto-détermination, c’est un « dommage collatéral » acceptable pour lutter contre la culture du viol ?

Je n’exprimerais pas dans cet article mon opinion sur la relation sexuelle entre David Bowie et sa « baby groupie » (comme sont appelées ces jeunes adolescentes qui ont eu des relations sexuelles avec des stars, que ça soit Bowie ou d’autres, dans les années 70).
Je ne m’en sens pas le droit.
Non pas par respect pour Bowie (à plus forte raison, je n’ai jamais été particulièrement fan de lui, j’aime bien quelques unes de ces chansons mais de manière générale, ce mec m’indiffère assez massivement, c’est loin d’être mon idole).
Non pas parce que je ne me sens pas concernée par la dénonciation de la culture du viol.
Mais bien parce que je ne me sens pas le droit d’imposer mon regard à une personne qui ne se définit absolument pas comme une victime, et qui, à mon sens, a le droit le plus strict à s’auto-déterminer sur le sujet, et à être reconnue comme étant la personne la plus à même de savoir si cette relation sexuelle était ou non un viol.

Petit ajout suite à un article (lien) qu’un lecteur de cet article m’a transmis : 

Par contre, si l’adolescente – devenue adulte depuis – dont tout le monde parle a toujours dit avoir eu un rapport sexuel consenti avec le chanteur, une autre personne l’a par contre accusé de viol et a déposé plainte.
Sauf erreur de ma part ou autre article qui m’aurait échappé, la plainte n’a pas eu de suite – mais ça n’est de loin pas une preuve de son innocence étant donné le traitement que la justice fait des affaires de viol…

Je suis d’autant plus étonnée que les articles féministes concernant le fait que Bowie n’est pas si respectable que ça mentionnent – pour leur grande majorité en tous cas – uniquement l’affaire de ses relations sexuelles avec une personne qui a toujours refusé cette appellation de viol pour ses relations sexuelles avec David Bowie… Alors qu’il y a une personne qui a réellement déposé plainte et qui n’a pas été entendue dans sa plainte.