« La borderline violeuse » et autre bullshit télévisuel

Tiré d’une série télé (New York Unité Spéciale, pour ne pas la nommer) :

« Ah, cette enseignante, accusée d’avoir abusé d’un élève, se scarifiait quand elle était plus jeune ? Et elle a fait une tentative de suicide par le passé ?
*air grave de l’expert psychiatre*
Ca fait penser à un trouble borderline. Et les études ont démontré que les femmes abuseuses sont souvent borderline ».

Voilà voilà…

Vous la voyez, mon humeur de chacal ?
Vous la sentez entre les lignes de mon article ?

Non ?

Moi je vous assure que oui. Je la sens bien, ma mauvaise humeur.

Et je vais vous expliquer pourquoi.

Il fut un temps, dans mon jeune âge, où je suis partie passablement en vrille.
Dépression, automutilation, crises d’angoisse, troubles du comportement alimentaire.

Au lieu de continuer à faire de la merde et à m’enfoncer dans mes emmerdes, je suis allée voir un psy.
Bon, je vous passe les détails, mais bon bref, toujours est-il que le diagnostic de trouble de la personnalité borderline a été évoqué me concernant.

Pas mal d’années après : si je reste une personne qui peut angoisser un peu aléatoirement, je vais nettement mieux. Je garde mes « bizarreries », j’en fais des forces, la dépression est loin derrière moi, l’automutilation aussi (il m’en reste les cicatrices, heureusement pas visibles au premier coup d’oeil parce que cachées sous mes habits, mais ça fait bien longtemps que je n’ai plus touché à une lame).

Tout ça, c’est l’explication de pourquoi je me sens concernée quand on parle de « trouble de la personnalité borderline », et pourquoi je suis carrément hors de moi quand on laisse entendre, même dans une oeuvre de fiction, que le fait d’être borderline est un facteur de risque pour devenir UNE FOUTUE ABUSEUSE SEXUELLE.

Devinez quoi : je travaille avec des enfants.

Vous imaginez les conséquences de ce genre de bullshit ?

Parce que, faut pas croire hein… Ces idées là, elles ne sont pas juste passées aléatoirement dans l’esprit du scénariste de cette série.
Ces idées là, ces préjugés là, ils sont rampants, ils sont partout.
Ils sont chez le scénariste de série, comme ils sont chez le futur employeur qui va refuser de t’embaucher si tu portes des marques d’automutilation, même anciennes.

A ce sujet, je vais vous raconter une mésaventure arrivée à une connaissance à moi.
Tout comme moi, il a une une grosse période de merde dans sa vie, où il a eu recours à l’automutilation pour canaliser ses émotions.
Tout comme moi, il s’est sorti de ses emmerdes, il va bien, il a continué ses études.
Et tout comme moi, il veut bosser avec des enfants.
Donc quoi de plus logique que de chercher un job de vacances avec des enfants, me direz-vous, histoire de se faire un petit bagage d’expérience avant de terminer ses études ?
Ce qu’il a fait.
Il a postulé comme animateur dans une colo.
Le premier entretien s’est bien passé. Il en est reparti avec une promesse d’engagement.
Sauf que lors d’un jour d’essai, une de ses « futures collègues » s’est rendue compte des cicatrices, pourtant visiblement anciennes, sur ses bras.
Exit la promesse d’engagement.
On lui a expliqué que ses cicatrices faisaient craindre un « manque de stabilité », et autres bullshit du genre. Ses explications sur le fait que l’automutilation était derrière lui depuis plusieurs années n’ont eu aucun impact.
Pif paf pouf, au revoir le boulot.

Alors comprenez bien que quand j’entends une série télé reprendre et grossir ces préjugés, je saute au plafond.
Comprenez bien que je rage.

Comprenez bien que ce qui vous parait peut-être être une anecdote insignifiante, si vous n’avez jamais eu de problèmes psy, est pour moi un révélateur de plus de la psychophobie de notre société.

Non, ça n’est pas anodin.
Oui, c’est une fiction, ET ALORS ?
Est-ce que parce que les gens sont en train de regarder une fiction, leur cerveau n’absorbe pas les merdes discriminantes à souhait qui sont véhiculées ?
Est-ce que les scénaristes ont mis ces mots là par hasard dans la bouche de « l’expert psychiatre » ?
Évidemment que non.

Juste pour info : j’ai googlé « abus sexuel trouble borderline ». Juste pour voir si une quelconque étude relevait ce « risque accru de devenir un abuseur sexuel si on est borderline ».
Je n’ai rien trouvé (sur les 3 premières pages de résultats de recherche. J’avoue je ne suis pas remontée plus loin que ça) mentionnant un risque accru pour les personnes borderline de COMMETTRE des abus sexuels.
Par contre, j’ai trouvé beaucoup de pages mentionnant le lien inverse : le fait d’avoir SUBI des abus sexuels augmente le risque d’avoir un trouble de la personnalité borderline, comme conséquence du traumatisme.

Ce qui me donne l’occasion de rappeler, en conclusion de cet article, que contrairement aux idées reçues, les personnes souffrant de troubles psychiques sont de deux à quatre fois plus à risque que le reste de la population d’être VICTIMES de violences (physiques, sexuelles ou psychologiques).
(Source : Association Canadienne pour la Santé Mentale)

3 réflexions sur “« La borderline violeuse » et autre bullshit télévisuel

  1. Je regarde cette série depuis très longtemps, et j’ai très souvent entendu louer sa justesse de point de vue concernant les atteintes sexuelles (puisque c’est la thématique traitée). Moi j’ai toujours eu l’impression, malgré la tendance à aller vers de plus en plus de spectaculaire et le fait indéniable qu’il s’agit de fiction, que le réalisme de cette série résidait d’avantage dans les préjugés énoncés par les personnages, et la dureté des systèmes judiciaires vis-à-vis des victimes, que dans la variété des cas traités et les personnalités des coupables. En bref, elle donne un bon aperçu du point de vue de la police ; mais une image biaisée de la réalité des agressions sexuelles et viols.

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