« C’est drogué et ça fait des enfants, voilà le résultat »

Je repensais tout à l’heure à une « anecdote » datant d’il y a à peu près 18 ans, et qui reste présente dans mon esprit comme une baffe magistrale qui m’a fait réaliser à quel point les troubles psychiques et les handicaps dits « mentaux » étaient stigmatisés dans la société.
Et je me suis dit que j’allais la partager ici, histoire que si des gens doutaient encore de la réalité de cette stigmatisation, ils se prennent la même baffe que moi, histoire d’enfin ouvrir les yeux sur le sujet…

Du haut de mes un peu plus de 18 piges, je bossais en parallèle de mes études.
Je bossais pour un service envoyant des personne-relais dans des familles avec un enfant en situation de handicap (handicap mental et/ou physique, autisme, troubles psychiques ou du comportement), pour décharger pendant quelques heures les parents. Un peu comme des baby-sitters, en somme, mais avec un minimum d’information et d’encadrement et de supervision pour intervenir auprès d’enfants en situation de handicap.

J’étais encore pleine de belles illusions, débarquant fraichement dans le domaine du travail social, encore non-formée mais pleine d’enthousiasme, bref, la caricature de la novice pleine de rêves.

A peine débarquée dans « le monde des adultes », j’espérais encore que les adultes étaient un peu moins merdiques que les gamins, que j’avais pu voir à l’œuvre pendant mes années de harcèlement scolaire.
N’ayant pas encore eu (du moins, pas de manière visible par le monde extérieur) de troubles psy, je n’avais pas encore eu l’occasion de me bouffer personnellement la psychophobie de notre société dans la gueule.

Je me doutais bien que le handicap pouvait faire peur à des personnes mal informées, mais je n’avais pas la moindre idée de jusqu’où pouvait aller la stigmatisation.

Jusqu’à ce qu’une personne me claque dans la gueule (parce que j’étais avec un enfant autiste qui avait fait une crise de panique dans un restaurant parce qu’un chien avait aboyé) : « Ouais, les jeunes, évidemment, c’est drogué et ça fait des enfants, voilà ce que ça donne ».

C’est, mot pour mot, la phrase. Elle m’a assez choquée pour rester gravée.
On notera le « Ca » déshumanisant, on notera les idées reçues à la pelle, on notera la lâcheté du procédé (la personne ne s’est pas adressée directement à moi, elle a juste parlé toute seule, délibérément assez fort pour que je l’entende)…

J’ai été tellement choquée que, à part fusiller la personne du regard, je n’ai rien trouvé à répondre, et je n’ai même pas essayé d’engager la moindre discussion, parce que si je m’étais approchée d’elle, je ne peux vraiment pas garantir que je ne lui aurais pas en premier lieu dégommé une paire de baffes en lieu et place de dialogue constructif.

Mis à part le caractère assez risible de la situation (j’avais un peu plus de 18 ans, l’enfant dont je m’occupais avait une dizaine d’années, ce qui en dit long sur le sens de l’observation de la personne qui m’avait fait cette brillante remarque quand elle m’imaginait mère de cet enfant…), cette phrase m’a hantée pendant des jours, et elle ressort périodiquement de ma mémoire quand je réfléchis à la psychophobie.

J’ai été soulagée de constater que le gamin dont je m’occupais avait été encore trop préoccupé par le chien qui avait aboyé pour avoir prêté attention à cette immonde remarque…
Et j’ai été soulagée, infiniment, que ça soit avec moi, la « baby-sitter », qu’il était allé boire ce chocolat chaud, et que sa mère n’ait pas eu à se prendre dans la gueule cette remarque…

Ce jour là, j’ai soigneusement rangé dans une boite mes illusions sur « le monde des adultes » et son ouverture d’esprit.

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