Les attirances sexuelles sont-elles oppressives ?

Bon.

Un sujet qui fait régulièrement débat entre féministes, et que finalement, j’ai envie de décortiquer un peu ici.

Entendons nous, ce que je vais dire là n’engage que moi, ça n’est pas le reflet d’un quelconque courant féministe, c’est juste des réflexions entre moi et moi-même que je mets par écrit et que je fais partager.
Chacun.e en fait ce qu’iel veut, hein !

Donc :

Affirmer une préférence sexuelle (ou juste AVOIR une préférence sexuelle) qui exclut telle ou telle catégorie opprimée est-il synonyme a « être [quelque chose]-phobe » ?

En clair, pour donner un exemple :
L’hétérosexualité est-elle une marque d’homophobie, par exemple ?
Le fait de n’avoir des relations sexuelles qu’avec des personnes minces est-il une marque de grossophobie ?
Ou, à l’inverse :
Une personne mince qui n’est attirée que par des personnes grosses fétichise-t-elle forcément d’une manière malsaine les personnes grosses (ce qui est aussi une forme de grossophobie) ?

L’argument des personnes défendant ce point de vue est que nos attirances sexuelles font partie des construits sociaux, tout comme tout ce qui régit nos relations sociales / interpersonnelles.
Et que donc, on ne peut pas extraire les attirances sexuelles du champ de tout ce qui est influencé par les constructions oppressives de notre société (racisme, sexisme, homophobie, transphobie, etc etc).

Il me serait bien difficile de réfuter en bloc cet argument, à vrai dire.
Bien sûr que « qui nous trouvons belle/beau » et « qui nous trouvons attirant.e » est influencé par les critères de notre société.
A plus ou moins grande mesure, selon la prise de conscience et de distance que nous avons faite vis-a-vis de ces critères dominants, certes (et aussi selon que nous soyons nous-même plus ou moins proches des critères dominants).

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Mais par contre, je suis toujours mega mal à l’aise quand on en arrive à des débats comme :

« une personne qui ne couche pas avec des personnes grosses est-elle grossophobe ? ».
« une personne qui ne couche pas avec des personnes racisées est-elle raciste ? »
« une personne qui ne couche pas avec des personnes trans est-elle transphobe ? ».

Parce qu’en allant aussi loin que ça dans la réflexion, on en arrive vite à un truc TELLEMENT PAS ORIGINAL dans notre société, à savoir les injonctions autour du sexe.

Il y en a BEAUCOUP (beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup. J’ai dit beaucoup ?).
Il faut aimer le sexe, mais pas trop quand même si on est une femme – ou assignée comme telle. (coincée vs salope, quoi).
Il faut aimer telle ou telle position sinon on manque de piquant (ou on est une vieille bique coincée qui ne vit pas avec son temps).
Il faut … il faut plein de trucs, chacun.e a surement sa propre liste de « il faut » à fournir.

Et toutes ces injonctions, elles foutent un merdier sans nom dans une notion quand même UN TOUT PETIT PEU capitale autour du sexe, j’ai nommé :

LE CONSENTEMENT.

Et bon. Le consentement, c’est pas comme si notre société était vraiment vraiment très très protectrice envers cette notion hein. Mais alors vraiment, vraiment pas, même.
On est nourri.es dès le biberon à la culture du viol en poudre, diluée dans un jus d’injonctions, aromatisée avec un fort arôme de culture patriarcale.

Le devoir conjugal à satisfaire, l’injonction à une sexualité reproductrice efficace, tout ça tout ça tout ça… C’est déjà autant d’obstacles à une sexualité épanouissante, consentie, sans violence.

Chaque injonction autour de la sexualité en rajoute une petite couche à la difficulté d’avoir un consentement réel, complet, sans pression extérieure ni auto-pression.

Donc je suis quand même fichtrement mal à l’aise quand on va sur le terrain de la sexualité, des préférence et des attirances sexuelles, pour donner le message à des gens qu’iels sont oppressif.ves.

Parce que même si les critères de beauté communément admis (qui sont, comme il se doit, blancs, minces, valides, hétéro et cis, hein !) ont forcément un impact dans la représentation de la personne qu’on va avoir envie d’avoir dans notre lit…
La sexualité reste un sujet éminemment intime.

Alors oui, « le privé est politique ».

Mais quand il s’agit de risquer de renforcer la culture du viol en rajoutant tout pleins de leviers de pressions implicites ou explicites (« Quoi ? Tu ne veux pas coucher avec moi ? Tu ne serais pas un peu grossophobe ? »), en rajoutant tout plein d’auto-pressions aussi (« Merde, je n’ai pas envie de lui donner l’impression de le.a rejeter à cause de son poids, mais quand même, je ne suis pas attiré.e par ellui, merde qu’est ce que je dois faire, merde merde merde »)…

J’ai quand même envie de dire qu’on se balade sur une pente allègrement savonneuse.

Et que je n’ai honnêtement pas envie – en l’état actuel de la société avec l’omniprésence de la culture du viol – de voir empruntée, pour ma part. Trop dangereux. Même « pour la cause », pour la déconstruction des préjugés, pour tout ca. TROP-DANGEREUX.

Il y a encore trop à faire dans la démolition caillou par caillou de la culture du viol pour pouvoir – à mon sens – se permettre de rajouter des pressions et des injonctions autour de la sexualité.

Par contre, qu’on s’entende bien, hein.

C’est pas une porte ouverte à dire tout plein de trucs cradement oppressifs à tour de bras et la bouche en coeur sous prétexte de justifier tes préférences sexuelles hein.
Ouais, toi là bas dans le fond, je t’ai vu, en train de préparer ton argumentation toute pleine de préjugés pour expliquer avec qui tu couches et avec qui tu ne couches pas.
Oublie l’idée. Tout de suite. Vraiment.

Tu couches avec qui tu veux hein. C’est pas le problème. (Ouais enfin. Tant que l’autre personne en a envie aussi. Cela va sans dire, mais dans notre société, j’ai quand même envie de le préciser, figurez vous !).
Mais, si tu as le droit de dire que tu te sens plus à l’aise de coucher avec [x type de personne], ça ne te donne absolument pas le droit de donner des raisons faussement « objectives » pour expliquer que les autres types de personnes sont repoussantes, hein.
Non.
Personne n’est « repoussant ».
C’est juste toi qui n’est pas attiré.e.
C’est pas pareil.
Et la différence est VRAIMENT VACHEMENT IMPORTANTE.

12 réflexions sur “Les attirances sexuelles sont-elles oppressives ?

  1. Après autant pour le REFUS de coucher (ou relationner) je suis d’accord avec toi…

    Autant la fétichisation c’est carrément malsain. Et oppressif. Donc mettre une injonction de « NE PAS fétichiser les gens de minorités où on n’est pas » ou si on arrive pas à arrêter, ne pas coucher avec pour ces raisons-là, ça réduit plutôt les risques de viol (vu que fétichisation rime souvent avec objectivation et stéréotypes hypersexualisants). Ou au pire ça les augmente pas.

    Par contre mettre des injonctions au niveau du refus « tu ne peux pas dire NON pour telle raison X » c’est très casse gueule oui

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    1. Ouais après, c’est vachement tendu quand même de mettre – de l’extérieur, je veux dire – une frontière entre « l’attirance » et « la fétichisation ».

      Après, se mettre cet interdit à soi-même, et parler des dangers de cette fétichisation : je suis bien d’accord.

      Après, déduire forcément qu’une personne qui ne couche qu’avec [tel type de personnes] le fait dans une histoire de fétichisation / d’objectification / stéréotypes hypersexualisants, c’est quand même un raccourci vachement raccourci quoi.

      Typiquement : j’ai eu un ex qui est sorti très majoritairement avec des grosses.
      Pour autant, je ne me suis jamais sentie « objectifiée » ou whatever.
      Clairement il trouvait les corps gros plus attirants, ça ouais, mais… attirants quoi. Pas objectifiés pour autant.
      Est-ce que c’est forcément mal ?

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      1. Bah de toute manière tout le débat tourne autour de « doit on SE mettre des interdits a soi-même », dans la pratique personne ne va venir voir ce qu’on fait.

        Ensuite selon moi la fétichisation c’est pas forcément une histoire de sortir que avec des gens d’une minorité X ou de quantité. Mais surtout de démarche : considérer les membres du groupe comme objets de fantasme (via des stéréotypes dégradants ou faussement positifs) et non comme des individus. Ou les considérer moins comme des individus qu’on le ferait avec les autres. Et chercher spécifiquement a coucher avec des membres d’une minorité (sur qui on a un privilège) pour cette raison.
        Et puis vouloir exposer ses conquêtes comme trophées. Ou comme un défi relevé (un mec cis qui coucherait avec une femme trans « malgré » son pénis sur un défi de ses potes ou action vérité par ex).

        Après a mon avis un mec cis peut avoir des relations avec différentes meufs trans sans les fétichiser (si il en fait l’effort, pas spontanément), ou a l’inverse ne le faire qu’un soir dans sa vie mais en fétichisant

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      2. Ouais, clairement.

        Pour ça que je trouve vachement difficile d’en faire des débats et des discussions, qui peuvent vite amener des gens à se sentir obligé.es de se justifier de leurs attirances ou non attirances sexuelles et/ou romantiques, quoi.

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  2. Très bon article..par contre juste un petit truc au niveau vocabulaire « inclusif »

    attiré.e. attirant.e -> c’est pour eviter le e entre parenthèses, certes. Mais finalement tu le repousses après un E..et c’est même pire. Le E arrive après la finalité, il se vide de son sens et contribue à accroitre cette oppression que tu dénonces…
    Pourquoi ne pas envisager un vocabulaire différent mais plus pratique
    Eattiré Eattirant -> ici le E est meme devant le mot est contribue à inverser le rapport de domination

    Voilà c’est juste comme ça dans l’idée
    Une feministe révoltée

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    1. Je vois bien l’idée, mais le problème, c’est :

      – D’une part pour les personnes qui ont des difficultés avec l’écrit (dyslexie, toussa), l’écriture inclusive est dja compliquée en soi. La rendre encore plus éloignée de ce qui est « appris à l’école », ça met un obstacle en plus.

      – Pour les personnes malvoyantes qui lisent avec une synthèse vocale, pareil, plus ça s’éloigne du vocabulaire « officiel », plus c’est la merde avec les synthèses vocales.

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  3. Je suis plutôt d’accord avec ton propos, y a juste un truc sur lequel je m’interroge. Tu dis « Mais, si tu as le droit de dire que tu te sens plus à l’aise de coucher avec [x type de personne] » -> en fait je ferais une distinction entre « être attiré-e par x » et « dire qu’on est attiré-e par x ». Je pense pas que y ait de raison de se la ramener pour dire qu’on couche qu’avec des blanc-he-s par exemple, franchement il vaut mieux le garder pour soi il me semble.

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    1. Oui, c’est sur que si tu éprouves les besoin de la ramener sur le sujet sans arrêt en mode « Moi je suis attiré.e par les […] », ben… Ouais, poses-toi des questions.

      En parlant de « droit de le dire », je pensais surtout à ces conversations entre ami.es (ou entre qui on veut d’ailleurs) tournant autour de « c’est toi ton type de mec / de meuf / de partenaire ».

      Après, c’est sur qu’on peut botter en touche en mode « Ca te regarde pas », mais je peux aussi comprendre l’envie / le besoin de parler de cet aspect là de la sexualité quoi.

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  4. Bonjour, pour ceci :

    —-
    Oui, c’est sur que si tu éprouves les besoin de la ramener sur le sujet sans arrêt en mode « Moi je suis attiré.e par les […] », ben… Ouais, poses-toi des questions
    —-

    sauf que c’est qqch de presque inhérent à l’homosexualité.

    Je n’ai pas dit qu’en pratique on entend les homos dirent sans cesse cela ; je dis juste qu’en contexte hétéro et en raison de la présomption à l’hétérosexualité, eh bien, les homos disent très régulièrement « ah non, moi j’ss pas sur les mecs », « ah non, moi j’aime la bite » « moi je suis attirée que par les nanas » et cela est dit à une fréquence significative et qui n’est pas exactement égale à un homme hétéro disant « ah les femmes, les femmes, elles me rendent dingue ». La raison en est simple : c’est qu’il n’y a pas de symétrie entre les l’hétérosexualité et l’homosexualité.

    Maintenant, Est-ce que les homos doivent se poser des questions sur ce « besoin de la ramener sur le sujet sans arrêt »… peut-être, peut-être pas, je ne sais pas.

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  5. **YEAP**
    Je vais gentiment mettre l’article en marque-pages dans « liens biens » et attendre de voir si je réussi à écrire l’article que j’ai actuellement en tête concernent le fonctionnement des attirances sexuelles que j’ai pu observer jusqu’à ce jour, et qui, à de rares exceptions notables, débouchent sur la formations de couples qui ne dureront pas.
    >Grou.

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  6. Sur « Le privé est politique », il me semble qu’il y a deux aspects à distinguer : l’aspect descriptif et l’aspect normatif. Et le lien de l’un à l’autre n’est pas aussi clair que certain-e-s l’imaginent.

    Je suis tout à fait prêt à admettre que mes fantasmes, comme tous les fantasmes, sont modelés par la société. En ce sens-là, si on veut, la sexualité est politique. Mais une fois qu’on a dit cela, ça n’implique pas qu’on doive ensuite avoir une approche normativement politique de la sexualité, c’est-à-dire se demander si telle position est vraiment cacher ou tel fétichisme tout à fait halal.

    Donc en gros je suis d’accord avec vos conclusions, mais je ne suis même pas sûr qu’il y ait besoin de passer par une réflexion sur la culture du viol pour en arriver là. Y a déjà un gros sophisme qui affleure parfois derrière une phrase comme « Le privé est politique ».

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