Hep, les Enfoirés, Barbie Psychophobe va bien ?

C’est assez rare que je tique sur un humoriste, sur un sketch.
J’ai assez naturellement tendance à chercher du second degré même là où y en a pas, et à trouver tout plein d’excuses aux humoristes quand ils/elles font de l’humour foireux et discriminant. A commencer par le fait que notre société est tellement imprégnée de tout plein de facteurs de discriminations qu’ils/elles ne se rendent pas nécessairement compte du coté problématique de leurs propos.

Par contre, là, y a un sketch auquel je n’arrive pas à trouver d’excuse. Genre vraiment aucune.

C’est le sketch des « Barbies », dans le dernier spectacle des Enfoirés.

Enfoirés

Rappelons – parce que c’est central dans mon coup de gueule géant au sujet de ce sketch – que les Enfoirés, c’est le spectacle annuel de tout plein de célébrités françaises, destiné à participer au financement des « Restos du Coeur », l’asso lancée par Coluche pour aider les personnes en situation de précarité à avoir de quoi bouffer.

Pour faire un petit résumé explicatif du sketch, nous avons des « Barbies » (interprétées par diverses célébrités que je ne connais honnêtement pas, c’est dire si ma culture TV mainstream vole haut !) un Ken et un GI Joe qui discutent.

Passons sur le sexisme (‘fin… Barbie quoi… Est-ce que y avait grand chose de valorisant pour les femmes à attendre d’un sketch qui utilise les Barbie comme trame ?).
Passons sur la petite remarque raciste sur « le beau métis » qu’adresse Ken à GI Joe (l’objectification et la sexualisation des personnes racisées n’étant « presque pas » un problème récurant, n’est ce pas ?)
Passons sur la chute homophobe (Lolilol, c’est tellement sujet à blague, le fait que Ken ait préféré GI Joe aux Barbies… Hein quoi ? De l’homophobie ? Où ça ?)

Et attardons nous un peu sur deux Barbies en particulier.

La première arrive en début de sketch, une corde autour du cou, annonçant avoir essayé de se suicider (pour introduire un sketch drôle, rigolo, agréable, quoi de mieux que le suicide comme sujet n’est-ce pas ?).
Un petit instant d’espoir : comment vont réagir ses camarades en plastique ? La soutenir ? La réconforter ?
Que nenni.
Lui signifier qu’avec un nom comme le sien (« Barbie Turique »), elle finirait bien par y arriver.
Quant à un autre Barbie, elle réagit en disant que c’est « so sad » (« tellement triste », donc, pour les non-anglophones), mais… sa réaction est présentée d’une manière ridicule.
DOOONC :

– Le suicide c’est rigolo. (Ah ? Ca tue des gens pour de vrai ? Mais c’est un détail ça, voyons).
– Le suicide par pendaison, c’est mega-lol (j’expliquerai ça aux quelques personnes que je connais qui ont essayé d’en finir de cette manière là)
– Le suicide par médicaments, c’est encore plus rigolo (j’expliquerai ça aussi à la famille d’une amie qui s’est suicidée aux médicaments, tiens. Ils seront probablement absolument ravis de l’apprendre).
– On peut à l’aise répondre à une personne suicidaire que « elle finira bien par y arriver ».
– Et c’est ridicule de compatir et d’être touché.e par la souffrance d’une personne suicidaire.

OK. TOUT VA BIEN…

Passons maintenant à une petite insulte psychophobe pour faire bonne mesure, en intermède avant de passer à une autre Barbie-à-troubles-psy :

« Toi la tarée tu dégages », dixit Ken à la Barbie au comportement « ridicule ».
Parce que évidemment, quand quelqu’un se comporte de manière ridicule, lui balancer une petite insulte sur sa santé mentale, c’est forcément une excellente idée.

Et pour terminer « en beauté », nous avons la Barbie-polaire (elle, son nom n’est que suggéré de la manière la plus fine du monde : elle porte des vêtements d’hiver, et elle change brusquement de comportement. TELLEMENT SUBTILE, n’est ce pas).

Donc. La Barbie Polaire.
Qui, quand Ken s’approche d’elle, commence par lui faire une grande tirade sur le fait qu’elle voudrait faire des enfants avec lui, puis change d’attitude et lui dit que « non mais ça va pas, je suis beaucoup trop jeune et ta chemise est moche ».

Donc.
Nous avons un bon gros cliché sur la bipolarité (la personne instable qui change d’avis comme de chemise). Sauf que c’est ASSEZ (doux euphémisme) éloigné de la réalité de ce qu’est la bipolarité, hein.
Je pense que les personnes bipolaires seraient assez ravies si leur trouble se limitait à « changer rapidement d’avis ». Mais en fait, non. Etre bipolaire, c’est alterner des phases de dépression insupportables, avec des phases dites de manie ou d’hypomanie, où les personnes peuvent se mettre en danger (physiquement, socialement, financièrement …).
C’est avoir – souvent à vie – un traitement médicamenteux lourd, avec des effets secondaires souvent difficiles à vivre.
Elle est toujours aussi drôle, la « Barbie Polaire », une fois ces détails précisés ?

Et évidemment, la Barbie Polaire se fait envoyer valser par Ken, avec un petit « toi, la folle… » pour faire bonne mesure.

Pour les personnes qui auraient envie de se faire une idée du sketch par elles-mêmes, vous pouvez le visionner sur Youtube en suivant ce lien.
Mais honnêtement : vous ne perdrez rien à ne pas le visionner, hein.

Nous avons donc un sketch « comique » qui fait la part belle à la psychophobie.

Dans un spectacle qui est, je le rappelle, destiné à financer les Restos du Coeur.
Donc à aider des personnes en situation de précarité économique et sociale.

Est-ce que ces… enfoirés savent quelle proportion des personnes qui vont avoir besoin de l’aide des Restos pour bouffer SONT PRECISEMENT DES PERSONNES EN SOUFFRANCE PSYCHIQUE ?
Combien de personnes suicidaires et/ou bipolaires (non parce que… breaking news, l’un n’exclut pas l’autre. Youhou, vous avez gagné le droit d’être représenté.es non pas par UNE, mais par DEUX Barbies Psychophobes à la fois !) vont chercher de l’aide auprès des restos ?

Parce que oui, précarité (financière, sociale) et troubles psychiques, ça va souvent ensemble, hein.
Plusieurs études font état, pour ce qui est de la population de SDF, de 30% environ de personnes présentant des troubles psychiques sévères.
Une partie de ces troubles sont causés par la situation de précarité.
Et pour d’autres personnes, ces troubles font partie des causes de la situation de précarité.

C’est 4 fois plus que dans la population générale.
Rien que ça.

Et manifestement, ça ne pose problème à personne d’utiliser – à plus forte raison dans ce spectacle – les troubles psychiques comme ressort « comique ».

Personne, ni dans les artistes, ni dans les organisateurs.trices du spectacle ne se dit que c’est PEUT-ETRE malvenu de se foutre de la gueule des personnes qu’on prétend vouloir aider.

Filer à manger à des gens d’une main, et leur mettre une grande baffe dans la gueule de l’autre, permettez moi d’avoir un peu des doutes sur le procédé…

17 réflexions sur “Hep, les Enfoirés, Barbie Psychophobe va bien ?

  1. Juste comme ça, les coups de gueule c’est bien mais ne pensez vous pas que vous êtes un peu psychorigide pour rester dans le même genre… Franchement penser à tout ça avec seulement ce sketche, c’est très fort. J’ai été personnellement touché de très près par un des points que vous avez relevé, et en voyant le sketches ça ne m’a pas blessé, même si effectivement j’y ai pensé. Je pense qu’il faut se détendre un peu quand même…

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    1. «OUAIS ! Faut s’détendre un peu hein, vous les coincé-e-s, vous qui ont un balai dans le cul. Allez, va péter un coup, et t’iras mieux.»

      Je grossis un peu les traits mais c’est exactement ça. L’article est pourtant suffisamment clair et explicatif sur le pourquoi du fait que c’est justement problématique de se fiche de la tronche des personnes ayant des affections psy, mais non. Visiblement c’est pas suffisant, et ce serait à la personne qui a rédigé l’article de se « détendre » ?

      La psychophobie est un réel problème dans notre société, les personnes qui ont des troubles psy y sont souvent mises à la marge, ce qui les conduit à subir tout un tas de violences qui ont des conséquences concrètes et matérielles. Et décréter le fait que se moquer d’elles c’est ne pas se « détendre », c’est au mieux ignorer ces violences, au pire s’en faire complice. Déso pas déso comme on dit hein.

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      1. OK…. je pense qu’on part sur de mauvaises bases mais bon. Je n’ai pas perçu ce sketch comme une quelconque atteinte ou attaque à telle ou telle personne… Après peut-être que vous si. Chacun sa façon de voir les choses. Je ne l’ai pas trouvé drôle pour autant. Le « il faut se detendre » qui n’a rien à voir avec votre « Faut s’detendre » n’avait d’ailleurs pas la connotation que vous voulez lui apporter, disons qu’il voulait plus dire de prendre ce sketch au 2eme ou 3eme degré mais c’est compliqué de nos jours puisque le moindre mot est analysé et quasi systématiquement interprété. Maintenant, ils ont fait un sketch qui ne plaît pas à tout le monde, au final je m’en balance, ils vont vendre leur DVD et aider les gens que l’ÉTAT ne prends pas la peine de sortir de la merde et heureusement qu’ils sont là même avec leur sketch qui est apparemment vraiment dangereux pour la société.

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  2. « Penser à tout ça avec ce sketche c’est très fort ».
    Ouais, je sais, chuis balèze.

    Ah ? C’est pas ça que tu voulais dire ? 😛

    Plus sérieusement :

    Comme je l’ai répondu à un ami dans une discussion au sujet de cet article :

    Le jour où les troubles psy ne seront plus source de stigmatisation, je trouverai juste ce sketch pas drôle (non parce que bon, psychophobie mise à part, je trouve sincèrement que pour des personnes habituées à être devant les caméras, les participant.es à ce sketch sont euh… Moins doué.es que bien des parfait.es débutant.es en terme de théâtre et de scène, c’est un peu triste, en soi ^^), mais je ne le trouverai plus nocif.

    Par contre, on en est loin.

    Les idées reçues sur les troubles psy font beaucoup, beaucoup, beaucoup de dégâts. Que ca soit en terme de honte de la part des patient.es, que ça soit en terme de réactions inadéquates de l’entourage (personnel, professionnel), que ça soit en terme de discriminations diverses (à l’embauche notamment, et dans tous plein d’autres domaines aussi)…

    Pour le coup, ouaip, je suis vachement attentive aux clichés au sujet des troubles psy, à leur représentation dans les médias, ce genre de trucs.

    Et à plus forte raison dans un spectacle qui récolte de l’argent pour aider des gens dont une part absolument massive ONT justement des troubles psy…

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  3. Très sincèrement, merci pour cet article. Cela fait « plaisir » de ne pas être la seule à avoir trouvé ce sketch d’une discrimination rare. Parce qu’aujourd’hui si l’on se moque des personnes de couleur, des homosexuels ou de je ne sais qui, il y aura toujours douze associations pour monter au créneau. En ce qui concerne la maladie mentale, il n’y a personne pour défendre et on entretient, petite phrase après petite phrase, « blague » après « blague » une véritable discrimination. Aujourd’hui, oser dire que l’on est bipolaire revient à se tirer une véritable balle dans le pied socialement et professionnellement dans un monde qui pourtant s’affiche comme ouvert à tous. Et cela, juste à cause de comiques pas drôle, de phrases balancées sans réflexion. Alors merci de défendre notre cause.

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    1. « Aujourd’hui, oser dire que l’on est bipolaire revient à se tirer une véritable balle dans le pied socialement et professionnellement dans un monde qui pourtant s’affiche comme ouvert à tous. »
      Très juste. Pour survivre dans ce monde merveilleux de la tolérance moderne les bipolaires doivent suivre à la lettre l’adage : pour vivre heureux vivons cacher.

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  4. Je rêve ou en plus des problèmes que vous mettez en évidence, ce sketch se termine par un superbe combo homophobie / banalisation des violences sexuelles ?

    G.I Jo visiblement réticent est entrainé en coulisses au motif que « c’est la deuxième partie du bizutage ».

    Hors ; « Bizutage : Rite initiatique, de passage mis en place par les anciens pour les nouveaux arrivants au sein d’une école, d’un groupe… Le bizutage consiste en un ensemble de brimades, d’humiliation, de vexation qui peuvent s’avérer drôles, mais également dramatiques. Cette pratique est interdite dans de nombreux pays » (source : http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/bizutage/). Donc, quand un mec cis veut en forcer un autre à avoir une « relation », non-seulement c’est drôle et pas grave, mais en plus c’est humiliant.

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  5. Je trouve dommage de ne pas juste lâcher prise… Le jugement ce fait par celui qui juge non pas celui qui ris. Moi j ai ris comme rarement! Pk? Parce que j ai adoré joué au barbie en étant petite… et ça n est pas les gens qui sont visé mais bel et bien les barbies… hé oui la barbie petasse, toujours jonché sur des talons toujours bien coiffé et pomponner! Et pour Ken… ben ouai en même temps il est pas super virilité Ken.. cliché ! Mais drôle.
    Parlons sexisme? Le fait de mettre dans les mains d enfants une poupée aussi superficielle, le problème se situe déjà là j ai envie de dire. Le créateur de barbie est déjà loin de soutenir l égalité des sexes, même si pour finir il a bien voulu en plus de la cuisine, de la garde robe, de l aspirateur, etc lui faire une voiture rose! Ho merci merci ! Nous les femmes on adooooore le rose! Oh j suis tellement contente que j ai fais un petit pipi dans ma culotte!!!
    Et qui en tant qu adulte, qui n à jamais fais faire des cochonneries auX barbies que vos filles on laisse traîné?! Hé ouai si barbie peut se mettre à 4 pattes c est pas seulement pour frotter le sol mince à la fin! Enfin bref, j ai bien ris! Et j en ris encore mais je suis triste que vous soyez incapable de juste rire… on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde.

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    1. Le sketch des Enfoirés c’est comme si le téléthon se moquait des pauvres, ces gens qui ne sont pas fichus de manger à leur faim, de se loger correctement, de se soigner dans un pays aussi riche que le notre. Les gros nazes … Je vous laisse imaginer le sketch.

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  6. Je pense plus que c’était histoire de trouver des jeux de mots avec des bi-quelque chose, il n’y avait probablement pas de mauvaise volonté derrière. Après c’est vrai que barbie-turique, barbie-polaire et barbie-zutage, ça fait beaucoup dans l’humour noir pour une seule barbie-lingue (ou un truc du genre). En ce qui concerne les clichés, c’est assez propre à l’univers de barbie en fait. Honnêtement, si mattel nous pondait une barbie suicide, elle aurait une corde rose et des médocs à paillettes comme accessoires. Je dis ça mais je ne cherche pas à prendre la défense du sketch spécialement (le seul truc que j’ai trouvé vraiment drôle c’était « si j’avais pas les bras coincés je lui en collerai une »), simplement je ne pense pas qu’ils cherchaient spécialement à se moquer de différentes personnes.

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    1. Les jeux de mots ne sont pas tous innocents. Certains ont déclenché des procès. Et l’humour qui marche très fort actuellement est celui qui stigmatise, qui exclut une minorité déjà sur la sellette. Tout parallèle avec le conformisme, un passéisme et un repli identitaire est purement voulu…

      Ok, Barbie, ce n’est déjà pas très très neuf comme thème, ni très très drôle quand on commence à comprendre que c’est un encouragement à l’anorexie. Il n’empêche.

      D’autres traitements étaient beaucoup plus décapants. La poupée Klaus Barbie, par exemple.

      Ne pas faire dans la finesse n’empêche pas d’être responsable et de ne pas jeter l’huile sur le feu.

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  7. Coup de gueule/on

    Je suis bipolaire… Et non, en effet, un Bipolaire ce n’est pas ce que ce spectacle représente…

    Mais je suis tellement habitué à être blesser par les moqueries sur ma maladies, que je vais finir par croire que je les mérites… (Si ce n’est déjà le cas)

    Mes médicaments ont des effets secondaires chiants et des effets secondaires potentiel mortel.

    (Après, ce n’est rien de grave, je risque juste : Affections hématologiques et du système lymphatique (très rare),
    Affections du système immunitaire,(très rare)
    Affections psychiatriques =Agressivité, irritabilité, Confusion, hallucinations, tics, Cauchemars (fréquent) ;
    Affections de la peau et du tissu sous-cutané (peu fréquent, mais beaucoup plus si mal manipulé)
    (Qui développe des maladies tel que : le syndrome de Stevens-Johnson et le syndrome de Lyell.),
    insuffisance rénale… (Presque à coup sûr au bout d’un très long moment de traitement, tout dépendra… Mais le traitement est presque à vie pour une bonne partie, de toute façon)

    Mais NOOOOOOON, je prends ces médicaments pour m’amuser à avoir une « fausse-maladie-risible », n’est-ce pas ?….

    *Soupire*

    Bref : Coup de gueule/off

    Désolé d’utiliser ton espace blog pour me lâcher…

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